Le coffret consacré aujourd’hui à sa production, onze années (de 1955 à 1966) étalées en ordre chronologique sur quatre CD, ne possède pas la fulgurance aveuglante de Back to Mono, son équivalent spectorien. Le génie de Meek est plus volontiers diffracté, anarchique, son mur du son est lézardé de toutes parts, pillé brique par brique […]
Le coffret consacré aujourd’hui à sa production, onze années (de 1955 à 1966) étalées en ordre chronologique sur quatre CD, ne possède pas la fulgurance aveuglante de Back to Mono, son équivalent spectorien. Le génie de Meek est plus volontiers diffracté, anarchique, son mur du son est lézardé de toutes parts, pillé brique par brique depuis cinquante ans, si bien qu’on n’en reconnaît plus forcément le propriétaire. Ponctué par des extraits d’interviews du maître, Portrait of a Genius contient l’essentiel des titres ? dont une vingtaine d’inédits ? permettant d’ébaucher effectivement un portrait raisonnable, quoique incomplet, du plus irraisonné des acteurs de la musique anglaise.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On passera vite sur le premier cd, collection laborieuse de morceaux allant du jazz au skiffle, Meek n’étant alors qu’un ingénieur du son dont la singularité n’est pas encore bien identifiable. A la fin des années 50 pourtant, les arrangements aériens pour Marty Wilde (Sea of Love) ou Mike Preston (Mr. Blue) commencent à poser un style, à mi-distance des harmonies laiteuses des frères Everly et du rock’n’roll attendri de Buddy Holly, son idole absolue ? il se suicidera le jour anniversaire de sa mort.
Le deuxième disque démarre par ce qui restera comme l’œuvre la plus personnelle de Joe Meek, I Hear a New World, tentative de prospection futuriste qu’il enregistre avec The Blue Men. Une fantaisie spatiale qui lui fut inspirée par l’envoi par les Russes de la chienne Laïka dans l’espace. Désormais indépendant, à la tête de son propre label modestement intitulé Triumph, Meek se veut un pionnier de la conquête de l’espace sonore, imposant des vues radicales tout en restant arrimé à la sphère encombrée des hit-parades. Il y réussit d’ailleurs de jolis coups, comme celui consistant à faire chanter George Chakiris, le bellâtre de West Side Story à la voix chaude comme une brioche sortant du four.
Le troisième disque, qui débute par une version demo de Telstar où Meek hulule comme un possédé, fait la part belle à la space-music instrumentale mise en orbite interplanétaire par les Tornados. Bien sûr, la transcription sonore des fantasmes de science-fiction par les Thunderbolts (March of the Spacemen, Lost Planet) a plus à voir avec Ed Wood qu’avec Kubrick, mais c’est aussi ce qui fait son charme. Peu à peu, le dérèglement général de l’état mental de Joe Meek aura de sérieuses conséquences sur l’efficacité de son travail ? bien que le quatrième cd, le plus fou, vaille furieusement le détour.
Parano au dernier degré ? il suspectait les gens du label Decca d’avoir posé des micros derrière les parois de son studio ?, il finira par entendre des voix lui tambouriner dans la tête, comme sept ans plus tôt il entendait un nouveau monde . Un monde qui ressemble désormais à la préhistoire de toute la musique pop anglaise, et dont on n’a pas fini de déterrer les vestiges.
{"type":"Banniere-Basse"}