A peine sorti, Minneapolis, le nouveau disque de Michel Portal, suscite polémiques et attaques virulentes, le plus souvent extra-musicales. Le musicien, coutumier de ce type d’échappées libres, s’explique sur ses motivations profondes et répond à ses détracteurs.
Dès l’annonce de son projet d’enregistrer en Amérique, avec des musiciens américains, qui plus est totalement étrangers esthétiquement à la sphère du jazz, Portal a fait scandale. On a vu soudain tout un petit monde de notables pourtant confortablement installés (journalistes, musiciens, producteurs, etc.) entrer en effervescence et envisager curieusement la sortie de ce disque comme un affront personnel, une menace à combattre aussitôt par une série d’attaques stratégiques, pensées comme autant de contre-feux : Portal se faisait manipuler, allait corrompre son intégrité artistique en faisant de la musique commerciale (du funk, du jazz-rock, que sais-je encore ?) et surtout trahissait une pseudo communauté de musiciens de jazz français et européens en allant fricoter avec les sbires du Grand Satan’
Tous ces arguments de pure mauvaise foi pourraient faire sourire, s’ils ne colportaient (malgré eux ?) une image frileusement nationaliste et étroitement identitaire du jazz hexagonal, qui en dit long sur son état de délabrement moral. Que ce soit finalement Portal, à qui ce même petit milieu n’a cessé tout au long de sa carrière de refuser ses papiers officiels de jazzman (argumentant sur le principe implicite d’une hypothétique « loi du sang » aux arrière-plans idéologiques douteux) ? n’est sans doute pas le moindre des paradoxes de cette petite histoire édifiante. Mais par ailleurs que ce soit une fois de plus Portal, qui en prenant la tangente fasse office de détonateur au point que tout l’édifice vacille aujourd’hui sur ses bases, n’est sans doute pas, non plus, un hasard. Ce musicien surdoué et irrécupérable ne pouvait pas impunément renouer avec son cycle de métamorphoses sans bouleverser de fond en comble l’équilibre fragile d’un petit monde artificiel et consanguin où tout n’est qu’affaire d’auto-congratulations, auto-promotions, autosatisfactions’ Le moindre souffle de vie, la moindre marque d’indépendance et c’est l’ensemble du système qui se rétracte et se détraque. Alors que Minneapolis vient à peine de sortir, suscitant comme prévu, polémiques et attaques virulentes, Michel Portal s’explique sur ce climat étrangement délétère et met définitivement les choses au point :
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Le professionnalisme
« Quatre mois après l’enregistrement de ce disque à Minneapolis, j’ai un drôle de sentiment. J’ai toujours été franc dans cette histoire : j’avais une appréhension du fait que j’allais être plongé dans un univers musical qui n’est pas le mien’ J’avais la peur de ne pas parvenir à en sortir quelque chose de valable, de cette rencontre. Et puis je suis allé là-bas, aux USA, et j’ai découvert des gens simples, gentils, professionnels, qui n’ont pas le sens du drame Là-bas je n’ai pas senti de pression, je me suis même détendu au fil du temps, je me suis amusé? Il y a un vrai professionnalisme qui ne se transforme jamais en » star system « ? La journée de studio se termine et la vie reprend son cours, c’est simple. Je ne me suis à aucun moment senti jugé? »
Le sens du jeu
« C’est curieusement ici, que tout s’est soudain dramatisé. Je me retrouve pris dans une sorte de guerre des clans. Tout à coup ce disque devient l’objet d’une controverse qui le dépasse largement ? comme s’il était le révélateur de quelque chose de latent depuis un petit moment et que c’était encore moi qui me retrouvais en première ligne à jouer le rôle de détonateur.
Ce disque, je l’ai fait très innocemment sans chercher à rien révolutionner, en poursuivant simplement mon chemin, mon parcours de papillon, qui passe d’un genre à un autre, qui a besoin de ça pour continuer à progresser, à vivre.
J’ai l’impression que quelque part malgré tout ce temps passé, c’est une spécificité de ma personnalité que l’on ne me pardonne pas. Et c’est même de moins en moins accepté, de moins en moins sympathique la façon dont on me jette ça à la figure Tous ces gens qui me jugent a priori ont à mon sens perdu le goût du risque et le sens du jeu ? ce que c’est que de « jouer » dans tous les sens du terme : se marrer et se mettre en jeu ? simultanément. Ici il y a une tendance à dramatiser et à se regarder le nombril qui va à l’encontre de cette attitude simple face à la musique «
Médaille
« Les gens en France aujourd’hui font des disques pour avoir des médailles, des clefs, des chocs, que sais-je encore, et ça déteint sur leur musique, de plus en plus académique, calibrée et dénuée d’humour Putain, j’ai quitté le collège à cause de ça, et maintenant à mon âge, je suis rattrapé par ces absurdités’ Moi ce disque, je l’ai fait pour expérimenter de nouveaux champs, pour me confronter à d’autres façons de faire de la musique, pour m amuser et continuer d’apprendre. Pas pour faire le chef-d’ uvre définitif, pas pour faire la révolution. Et demain je referai des disques avec des jazzmen ou avec des pygmées ? parce que je suis comme ça, c’est ma façon d’être «
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