Sur son dixième et dernier album sorti vendredi, le rappeur et producteur continue de dérouler le film de sa carrière. Un très long-métrage, où la figure du gangster trafiquant est calquée sur celle des films du genre, entre Miami Vice et Scarface. Changer de recette ? Plutôt mourir, et criblé de balles si possible.
Lorsque Rick Ross a annoncé que son nouvel album serait une sorte de suite à son tout premier sorti il y a treize ans, Port Of Miami, bien des dents ont grincé. Comment vouloir faire perdurer l’héritage de ce qui est probablement le plus mauvais projet du rappeur ? Pourquoi chercher une suite à ce qui pourrait certainement être oublié ? Les retours aux sources ne sont jamais un gage de qualité. Par ailleurs, suivre la carrière de Rick Ross, c’est assister, impuissant, à un éternel recommencement aussi jouissif qu’ennuyeux, un film dont lui seul est le héros, un règne autoproclamé, sans partage, et donc indiscutable. Il appartient à cette race de rappeurs, aux côtés de Kanye West et consorts, qui existent certes par ce qu’ils produisent, mais aussi par ce qu’ils sont, sans que la critique et le qu’en-dira-t-on ne viennent perturber leur intention première. Elle les touche, très certainement, mais ne les détourne pas ou peu. Ils sont des personnages, des êtres fictifs, et entretiennent constamment la confusion entre mythe et réalité. Pour Rick Ross, c’est là le point central de sa discographie.
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La caricature du big boy rap
Autre point commun entre les rappeurs nommés précédemment, il n’y a pas d’alter-ego. Il y a des humeurs, des envies, des états d’esprit différents, oui, mais comme Kanye reste toujours Kanye, avec ses excès et ses envolées égocentriques, Rick Ross reste Rick Ross. Port Of Miami 2 en est l’exemple parfait. Ross a marqué sa discographie du sceau de la réussite, coincé entre un personnage à la Tony Montana, et celui d’un type que pourrait bien traquer Ricardo Tubbs et James Crockett, les deux flics de Miami Vice, dans les rues et les canaux de Floride. Un gros bonnet qui nargue, qui se fait « empereur » sur l’un des meilleurs titres de l’album, Turnpike Ike, et qui affiche les kilos de coke comme des trophées, comme dans le refrain de White Lines. La première partie de l’album est celle d’un Rick Ross que l’on connaît par cœur : un self-made-man illégal, une caricature du big boy rap, bien campé dans le morceau d’ouverture, Act a Fool (feat. Wale). Massif, pompeux, sans filtre…
Le filon est exploité, comme toujours. Redondant ? Qui a dit que Rick Ross se préoccupait de votre ennui ? Il a toujours fui les on-dit, n’a jamais été réellement déstabilisé par les coups durs. Lorsque le New York Times avait révélé au début de sa carrière son passé de maton, qui tranchait franchement avec le personnage de trafiquant de haut vol qu’il tentait alors de se forger, il répondra, limpide, qu’il faut bien nourrir les gosses. Alors il continue, quitte à nous servir des titres anecdotiques tels que Nobody’s Favorite ou Bogus Charms, que même le talent de son grand pote Meek Mill, toujours au rendez-vous, ne parvient pas à sauver. Mais au milieu de la glorification de son mode de vie, on décèle des petites traces de morales, subtiles ou non. Sur BIG TYME, produit par Just Blaze, il dit soudainement : « Did I pray somebody tell you about these bumby roads / Only maps to follow is your bible quotes« . L’hôpital qui se fout de la charité, et tant mieux. En fait, on ne le sait pas encore, mais l’album glisse, doucement mais sûrement.
« Paid da cost to be da boss«
Peu à peu, le natif de l’État sudiste du Mississippi nous dévoile l’envers du décor. Alors, attention, il ne s’agit pas d’effacer Rick Ross pour laisser place aux sentiments de William Leonard Roberts II, comme il s’appelle dans le civil, mais plutôt d’apporter un zeste de profondeur à son personnage. Car oui, un voyou a des fêlures, des regrets, car la vie de gangster n’est pas de tout repos. La dualité des malfrats est un thème que le cinéma a déjà ratissé de long en large, pourquoi ne pas s’inscrire dans cette lignée ? Le succès a un prix, concept énoncé en une phrase récurrente dans le rap américain : « Paid da cost to be da boss« . Snoop Dogg en avait fait le titre d’un de ses albums, Rick Ross en avait fait un morceau en 2010 en featuring avec Slim Thug… Cette fois, c’est Drake qui la rappe en featuring sur le titre de clôture, le séduisant Gold Roses. Même si on ne peut s’empêcher de souffler en entendant le Canadien partir en introspection à propos de ce qu’il ressent lorsqu’il est au bord du terrain des Golden State Warriors, il n’en reste pas moins que c’est le thème de la mort qui achève ces quinze titres, échappatoire presque inéluctable du trafiquant. Un film, on vous dit.
La seconde partie de l’album est faite de cela, d’avertissements. Pour être comme Rick Ross, il faut payer un prix élevé. Il évoque sans cesse la figure de Black Bo, son ami et ancien manager décédé en 2017 d’un malaise cardiaque. De cœur, il est aussi question sur I Still Pray. Le rappeur a lui aussi été hospitalisé dans un état grave l’an dernier, a même plongé un temps dans le coma. Tel un grossiste, Rick Ross fait l’inventaire de ce qu’il faut débourser sur Fascinated, l’un des quelques titres à ne pas engager de featuring : la perte de ses amis d’enfance, de membres de sa famille, les balles auxquelles il faut échapper, lui qui a été victime d’un drive-by armé en 2013, les crises d’épilepsie, la prison, le racisme… Ce dernier point, justement, lui est cher, au point d’être, entre les lignes, l’un des sujets de prédilection de sa discographie. Alors lorsqu’il évoque Kanye West et ses propos polémiques sur l’esclavage dans le morceau Vegas Residency, ça n’est pas pour aller dans le sens de Ye : ‘Watching Kanye’s interview, feel like I wanna cry / For every innocent brother charged with a homicide / Went from battle raps to now wearin’M.A.G.A. hats« . Ce qui ne tue pas (encore) rend plus fort.
Les bras droits et l’équipe fidèle
Rick Ross fait donc du Rick Ross, comment pourrait-il en être autrement ? Son concept, qui a connu son climax avec des albums désormais classiques tels que Deeper Than Rap (2009) ou Teflon Don (2010), s’était essoufflé, et c’est peu dire, sur Hood Billionaire (2014) ou son dernier album en date, Rather Me Than You (2017). Ici, le fait de faire une suite à son premier effort donne l’impression que l’envie est de boucler la boucle, rendant Port Of Miami 2 plus captivant. Les productions de la J.U.S.T.I.C.E. League, qui lui reste fidèle depuis onze ans, de Jake One ou de CAMEone, continuent d’exploiter la dualité entre instrus volumineuses, bourrées de synthés et samples soul. Un vrai gangster sait s’entourer, sait à qui faire confiance. Quitte à ne pas changer de recette, jamais.
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