Le quatuor de Brighton prouve, encore une fois, que les chants les plus désespérés sont aussi les plus beaux. L’occasion d’une discussion à l’heure du thé pour évoquer leur excellent troisième album.
Cette journée d’avril se présentait pourtant sous les meilleurs auspices. Rendez-vous était pris avec Porridge Radio, dont les deux précédents albums avaient révélé l’une des voix féminines du rock les plus fascinantes. Un grand soleil balaie l’élégant salon d’un hôtel parisien, où Dana Margolin, compositrice, guitariste et chanteuse, et Sam Yardley, batteur, se lovent sur un canapé tels des chats paresseux. La veille, Dana avait remué le cœur du public de la salle de La Boule Noire, en lui offrant une heure de catharsis musicale intense.
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La fatigue est bien légitime, certes, mais c’est le spleen qui s’invite soudainement dès les premiers mots de la conversation. Dana fuyant d’emblée la simple question du “Comment vas-tu ?”, afin de ne pas y répondre par la négative. Non, le moral ne va pas beaucoup mieux. Et l’on serait presque tenté de dire “Tant mieux”. Ce n’est pas pour nous réjouir, mais la chanteuse nous a démontré plus d’une fois qu’elle portait fièrement ses cicatrices, fouillant du bout du doigt ses blessures pour en vérifier la profondeur, puis les exhibant à travers des textes frontaux et puissants.
La journée avait pourtant si bien débuté… Et voici que le trouble s’installe en écoutant cette jeune femme évoquer l’angoisse existentielle de la vie tout en affichant un sourire à la fois radieux et tendre. Quelle est la part de sincérité dans tout cela ? Pour le comprendre, il faut regarder en arrière pour réaliser d’où vient le groupe, et comment il a fédéré son public autour de l’exploration incandescente de ses sentiments les plus violents, de ses échecs les plus personnels. Dana l’a toujours clamé : “La musique m’aide beaucoup à calmer mes angoisses.” Nulle pose au final, Dana sort ses tripes en studio et sur scène, et ce, depuis ses débuts.
Un nouvel album dans la droite lignée des précédents
Originaire de Londres, Dana compose ses premiers titres en 2012, puis s’entoure de Georgie Scott (claviers), Maddie Ryall (basse) et Sam Yardley (batterie) en 2015, à Brighton, pour muscler l’interprétation de ses morceaux. Le premier album, Rice, Pasta and Other Fillers (2016), est une production à l’esprit DIY, avec un son lo-fi désarmant de sincérité. C’est encore l’époque où le groupe publie ses propres maquettes en ligne. Signé sur le label Secretly Canadian et enregistré dans un véritable studio, l’excellent Every Bad (2020) dévoile une production plus léchée et propulse le collectif sur le devant de la scène.
Back to the Radio, morceau d’ouverture du nouvel album, donne le ton : “Lock all the windows and shut all the doors. And get into the house and lie down on the cold, hard floor. Talk back to the radio, think loud in the car. I miss everything now, we’re worth nothing at all.” Nous voici de retour en terrain connu, sur le sol aride d’un rock mâtiné d’indie-pop, de noise et de post-punk, qui élève la chialade et l’autoflagellation au rang d’art au travers d’hymnes désespérés. Ce nouvel album s’est construit le plus naturellement du monde, c’est un enchaînement quasiment direct qui s’opère avec les compostions du précédent.
“Nous avions de nouvelles chansons en tête dès la fin de l’enregistrement d’Every Bad. Ces morceaux sont nés spontanément, de manière presque organique. J’ai toujours eu envie d’exprimer mes sentiments à travers la musique, mais je ne réfléchis jamais à une thématique précise ; je regarde ce qui vient de jaillir de moi, puis je retourne travailler sur cette matière brute un peu plus tard. Nous échangions régulièrement nos démos musicales avec Sam, mais aussi beaucoup de musique, que ce soit Deftones, Tom Waits, Charli XCX, Mouse on Mars, parmi une myriade de groupes punks DIY.”
Un rock fiévreux et direct
Musicalement, le rock de Porridge Radio n’est ni le plus révolutionnaire, ni le plus le virtuose. Peu importe, il porte parfaitement la scansion enflammée et douloureuse de Dana. C’est une musique fédératrice pour beaucoup de leurs fans – un Radeau de la Méduse improvisé sur le lit d’une chambre adolescente où chacun est libre de venir y échouer ses peines. Sans tomber dans l’écueil de la surenchère lacrymale, le côté démonstratif du groupe ne plaira pas à tout le monde. Ici, on ne souffre pas en silence, on hurle son mal-être à la face du monde. Ce n’est guère discret, mais cela a le mérite de porter la fièvre au creux des salles de concerts. Il faut voir la ferveur partagée par Porridge Radio et son public en live. Cette voix rageuse, à la limite perpétuelle de l’effondrement, prête à repartir conquérir des sommets d’émotion l’instant d’après. Cette voix, qu’elle n’a jamais réellement travaillée, s’est nourrie de diverses influences. “J’ai grandi en écoutant The Carpenters, The Cranberries ou Guns N’ Roses, cela a dû laisser des traces sur ma façon de chanter, mais je n’ai jamais pris de cours. Ma mère chantait souvent à la maison, et j’ai ainsi toujours trouvé naturel d’utiliser sa voix pour exprimer ses joies et ses peines.”
Waterslide, Diving Board, Ladder To the Sky laisse désormais la place à de titres qui osent la douceur (Flowers ou Splintered) : “En repensant à ces merveilleux moments passés avec le groupe, j’ai eu envie de laisser la place à des compostions plus sereines, plus apaisées. J’ai nettement moins peur d’être douce que par le passé. Gravité et légèreté devaient pouvoir cohabiter harmonieusement sur ce nouvel album.” Dana Margolin est le cœur et l’âme de Porridge Radio, mais elle insiste sur le fait que ce n’est pas un projet solo caché derrière un backing band : “C’est un groupe, et c’est aussi moi. J’ai beau écrire les chansons et être sur le devant de la scène, Porridge Radio est avant tout un projet collaboratif que nous faisons entre ami(e)s. Nous évoluons tous en même temps, nous sommes plus patients et exigeants à la fois. Nous progressons, mais l’idée n’est pas d’avoir un son de plus en produit, nous tenons à garder notre sincérité, notre approche rugueuse et brute.”
Dana écrit toujours de la poésie, comme elle le faisait déjà dans ses cahiers de jeunesse. Les poèmes deviennent des paroles, et à l’inverse, des textes de ses morceaux se transforment en poèmes. “Les deux se nourrissent mutuellement. Ces textes m’apparaissent comme des fragments que je recompose pour dessiner une image finale, des rebuts littéraires qui font sens en les observant avec du recul.” Waterslide, Diving Board, Ladder To the Sky est le résultat direct de cette approche poétique. Un disque brûlant et émouvant, qui ose désormais faire se côtoyer violence et douceur. Le groupe est encore jeune, c’est le plus bel argument de sa victoire. Les amateurs de musique triste ont encore de beaux jours devant eux.
Waterslide, Diving Board, Ladder To the Sky (Secretly Canadian/Modulor). Sortie le 20 mai.
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