In & out. Quand deux musiciens de jazz complices investissent le champ du contemporain en quête d’émotion pure. Voilà plus de quinze ans maintenant qu’ils se croisent, se côtoient, s’influencent, s’enrichissent, chacun renvoyant à l’autre, comme un miroir, la singularité de son parcours. Du Big Band d’Eddy Louiss au Swing String System de Didier Levallet […]
In & out. Quand deux musiciens de jazz complices investissent le champ du contemporain en quête d’émotion pure.
Voilà plus de quinze ans maintenant qu’ils se croisent, se côtoient, s’influencent, s’enrichissent, chacun renvoyant à l’autre, comme un miroir, la singularité de son parcours. Du Big Band d’Eddy Louiss au Swing String System de Didier Levallet (actuel patron de l’Orchestre national de jazz) en passant par le Pandemonium de François Jeanneau (entres autres !), les deux hommes ont au fil du temps et des rencontres appris à se (re)connaître Dominique Pifarély, ténébreux, taciturne, toujours en quête, inquiet, d’un équilibre, idéal et fugitif, entre une certaine perfection formelle et la grâce spontanée du geste ; François Couturier, lyrique et réservé, pianiste aux harmonies sophistiquées et à l’élégance tout instinctive, accompagnateur secret et précieux…
Deux personnalités bien trempées, deux attitudes distinctes face à la musique, complémentaires, et à l’arrivée, une complicité rare qui bien qu’ayant déjà trouvé à s’exprimer maintes fois sur disque atteint là, en duo, une authentique consécration. Cet enregistrement vient en fait ponctuer magnifiquement certaines orientations esthétiques déjà perceptibles chez Pifarély depuis la création en 1992 de l’Acoustic Quartet. Une musique pensée, réfléchie, « en travail », austère souvent, d’une beauté hiératique, mais profondément émouvante dans sa façon honnête et rigoureuse d’aller au bout de ses partis pris. Le dispositif comme les références évoquent, sans conteste, plus le récital de musique de chambre que la conversation improvisée et comme inopinée qu’affectionnent les musiciens de jazz. Il y a là un souci d’écriture, un goût pour la structure, des tendances atonales (Berg, Webern…), un lyrisme mélancolique et des véhémences rythmiques dérivant plutôt de la musique russe (Prokoviev, Chostakovitch), un sens du « folklore imaginaire » que n’aurait pas désavoué Bartók bref, tout un réseau d’influences relevant très clairement d’une esthétique occidentale…
Et puis incidemment, au détour d’une phrase, certaines inflexions du violon, certains accents ou rebonds du discours appartenant définitivement au registre du jazz, nous rappellent d’où vient cette musique. C’est là tout le charme du propos : d’abord dérouter pour mieux tracer son chemin. Si cette musique emprunte toutes les voies/voix de la modernité et de ses environs, c’est pour se frayer un parcours tout personnel, intime. On sent à chaque étape de cette traversée des styles, à chaque détour, une réminiscence, une évocation secrète. Chaque phrase est comme hantée, doublée d’une présence. D’où cette mélancolie inquiète teintée d’une violence sourde qui affleure constamment dans la plénitude du son, rompt la pureté de la ligne et réintroduit définitivement cette musique tentée par une certaine pureté « hors temps » dans le chaos de son époque.
Dominique Pifarély & François Couturier Poros (ECM/Polygram)