Michael Penn Au premier abord, il est aisé de se désintéresser du cas de Michael Penn.Un premier album sur une major, un son dominé par le genre de grosse batterie claquante très prisée aujourd’hui et qui fait ressembler la musique à ce qu’elle est de plus en plus souvent : un produit usiné à la […]
Michael Penn
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Au premier abord, il est aisé de se désintéresser du cas de Michael Penn.
Un premier album sur une major, un son dominé par le genre de grosse batterie claquante très prisée aujourd’hui et qui fait ressembler la musique à ce qu’elle est de plus en plus souvent : un produit usiné à la chaîne. Pourtant, une fois passé ce désagréable péage, c’est le paradis pop,
ou presque.
Des mélodies à la louche, des comptines que ne désavoueraient pas Dylan ou Costello, digressions sur la Grande Ville aliénante ou variations acides sur les relations avec l’autre sexe.
Et puis, test suprême, le gaillard passe impeccablement la rampe de la scène : chaleureux mais pas putassier, concentré sur son sujet mais toujours relax et naturel. Avec lui, une manière de super garage-band : Gulf Morlix qui traînait
sa guitare avec les Plimsouls embryonnaires, Wareen, son pote de toujours et co-arrangeur du disque, et DJ Bronebaque en rade de X. Ensemble, escouade serrée et nerveuse, ils font oublier les bourrelets coupables d’un album trop bien nourri.
(Serge K. / photo : Eric Mulet)
Electronic
Caprice vaniteux de deux dinosaures de la new-wave ou bien mariage béni des dieux pop ? Ils auraient donc réuni les deux noms les plus marquants, les plus séduisants, les plus enchanteurs du rock anglais des années 80 ? New Order et les Smiths, via Barney Sumner et Johnny Marr. Avec nos activités parallèles à New Order, Hooky et moi avons été accusés de nous distraire avec de simples passe-temps. Mais la vérité est que lorsque j’ai commencé Joy Division, c’était un passe-temps, et je veux que ma musique soit à nouveau comme un passe-temps. Plus aussi lourde et sérieuse, plus une activité industrielle. Lorsque je reviendrai à New Order, je serai plus relax, moins possessif avec les chansons’ (Sumner). New Order a été prévoyant. A la fin de leur tournée, ils ont décidé de faire une pause pour aider le groupe à survivre. Si les Smiths m avaient donné ne serait-ce que deux semaines de répit, je crois que tout se serait bien passé. A la fin de la tournée américaine de New Order avec Echo & The Bunnymen en 87, je me suis débrouillé pour venir voir Barney, histoire de rigoler. Peu de temps après, Peter Hook m a demandé si je voulais travailler avec lui. Je lui ai répondu Désolé mon gars, mais Barney t’a pris de vitesse sur ce coup-là? (Marr). Leur unique single, Getting away with it, agréablement racoleur mais bâclé par la flemme, n’était pas une réponse à la question du début. Les seuls à l’avoir pour l’instant sont les 120 000 Californiens venus au Dodger s Stadium de Los Angeles se prosterner devant Depeche Mode, pour qui Electronic ouvrait en guest-star de grand luxe. Baskets-pataugas, pantalon taille géant vert et T-shirt chemise de nuit, en bons Mancunians, ils ont adopté la panoplie de leurs petits frères. Neuf morceaux dont deux prétextes à accueillir des Pet Shop Boys pétrifiés mais valeureux ? craignant la scène comme l’eau glacée, ils n’y sont, de toute leur
vie de mignonnets, montés qu’une petite dizaine de fois ? et deux instrumentaux ? Barney, expert en dilettantisme, ne leur a toujours pas écrit de textes. Je sais bien que sur le papier, Electronic a l’air d’une sacrée stratégie, mais c’est tout le contraire : juste deux potes de Manchester qui font des disques ensemble. Deux potes qui adorent faire de la pure dance-music autant que du rock sombre et intéressant (Marr). Pour leurs deux premiers et uniques concerts, ils n’ont pas sous-estimé leur statut : on a vu les choses en grand, en très grand, en monumental. L’idée, c’est de ne pas utiliser beaucoup de matériel, que nous puissions louer celui que nous utilisons, de façon que, si on nous demande de faire un concert dans un lieu intéressant comme… l’Irak par exemple, il nous suffise de sauter dans un avion pour jouer (Barney). Qu’on ne s’attende pas pour autant à les voir jouer dans une salle à échelle humaine pour un cachet humain. Il y a des sujets sur lesquels on ne plaisante pas.
(C. Fevret / photo : Kevin Cummins)
Prefab Sprout
Il nous avait promis une comédie musicale retraçant les aventures de Zorro. Mais, hanté par des fantômes qu’il n’ose pas encore tutoyer ? Sondheim,
Gershwin ?, Paddy McAloon a humblement baissé les bras. J’ai eu peur. Peur de faire une comédie musicale rock et contemporaine. Moi, je veux la faire à l’ancienne, faire rire les gens aux éclats.
Et le rock, c’est tout petit, quatre temps… Comment peux-tu raconter une vraie histoire, établir un drame dans un format si ridiculement étroit ? Le rock t oblige à être concis, intense ; il faut des manchettes où tout est dit mais rien n’est expliqué. Et je veux tout expliquer.? Toujours aussi fantasque que modeste, McAloon voudrait nous faire croire que Prefab Sprout n’est finalement qu’une histoire de rock. Mais qui d’autre que lui, en ces temps de pénurie, pouvait s’offrir l’exubérance d’un album en dix-neuf facettes aussi cossues qu’ambitieuses ? Jordan ? The comeback, ou le retour du meilleur de Steve McQueen sous les traits d’Elvis-King Burger. Jordan, c’est mon image d’Elvis. Il se terre, il est dans le désert. Il n’est pas mort, mais il attend la chanson, il attend la bonne chanson pour ressortir au grand jour. Et elle n’arrive pas. Jordan, ça peut également être moi-même.?
Après cinq ans de désert, Paddy McAloon nous a promis de reprendre sagement la scène cet automne et de venir nous voir fin novembre. Si je tiens le coup. Mon problème, ça va être d’apprendre toutes les paroles par c’ur. Je suis tellement distrait.?
(JD Beauvallet / photo : E. Mulet)
David Lynch
J’aime que les choses soient ordonnées. Pendant sept ans, j’ai mangé au Bob Big s Boy. J’y prenais un milk-shake au chocolat et quatre, cinq, six, sept cafés avec beaucoup de sucre.? Quand David Lynch est-il devenu un maniaque et un obsédé ? Régulièrement, j’allais à New York rendre visite à mes grands-parents et ça me faisait flipper. Je voyais des choses dans le métro. Je commençais à ressentir la peur… Une vraie peur de l’inconnu. Je voyais des choses… auxquelles je n’étais pas habitué, c’était très déstabilisant.? On pourra dorénavant dater et nommer le paroxysme de ses « qualités » : 1990, Sailor et Lula. Un film aux ongles sales, du vernis par-dessus. Dans l’archétype du décor américain ? une route, des paysages qui défilent, des motels ?, deux oies blanches sont prises en chasse par le Mal. Sailor, voyou d’apparence mais bon gars, aime Lula, girafe décervelée, née le feu au derrière. La romance n’est pas du goût de la mère, lancée à leur poursuite pour les enfoncer dans l’horreur. Facile, un Bonnie & Clyde plongé dans l’acide fin de siècle, dont tous les verrous auraient sauté. Pas de bornes, pas de code moral. Aucun rail, sinon ceux de l’esprit décapsulé de Lynch, de ses obsessions qui refusent toute camisole : sexe et violence font claquer tous les vu-mètres. L’immoralité, ce sont les films qui glorifient la négativité, il y en a beaucoup. L’un d’eux était Saturday night fever. La scène familiale qui se déroule à table est l’une des choses les plus horribles que j’aie jamais vues. Je n’adore pas la violence ou la perversion sexuelle, mais j’imagine que je suis attiré par les histoires où l’on trouve ce genre de choses. J’adore les histoires de meurtres et leur mystère. Mais il ne faut pas oublier que c’est un monde de cinéma. C’est dans la sécurité d’un théâtre qu’on peut faire l’expérience de choses différentes.? La chevauchée baroque de ses dégénérés prend alors l’allure d’une salade psychédélique bien jouissive, très flatteuse pour nos sens, composée de tous les ingrédients de l’américana. N’importe quel film d’auteur dans la tradition se serait alors muni d’une plume pour les redessiner. Tout le contraire ici : rigoureux dans sa démesure et intelligent certainement, mais surtout pas raffiné. Lynch, déguisé en balourd, chausse des moufles et s’arme d’un marqueur ? tout réside alors dans la souplesse du poignet ? pour faire de Sailor et Lula un film bubon, une excroissance monstrueuse et suitante qui voit tout en énorme avant de tout voir en macabre bouffonnerie :
le voyage se terminera dans ce que nos héros croient être leur Eden, Big Tuna.
A l’entrée, la pancarte-symbole de la ville, un thon béat maladroitement dessiné. Grotesque.
On s’amuse donc presque autant que Lynch lui-même, à peine démangé par le sentiment que ce road movie-spaghetti serait plus attachant qu’impressionnant s’il y avait quelque part une faille, du doute, de la faiblesse. Le sentiment d’avoir été trop habilement manipulé par un type qui semble revenu de tout, sorti d’un univers tellement comblé qu’il peut absolument tout se permettre, même de prétendre maîtriser la violence et la perversité.
Maintenant, il mange tous les jours le même sandwich dans le même restaurant new-yorkais : bacon, salade et tomate. Cet homme est dangeureux.
(C. Fevret / photos : Thierry Rajic)
Archives du n°25 (sept.90)
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