Première soirée affichant complet pour cette 29e édition du festival des Eurockéennes. On y était.
Pour cette vingt-neuvième édition, peut-être en répétition générale du grand raout d’anniversaire de 2018, Les Eurockéennes de Belfort ont vu large, avec une programmation tous azimuts étalées sur quatre jours. La controverse – sur la présence de Booba ou PNL par exemple – n’ont pas eu de prise sur le public : tout est complet.
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Shame : aussi sensuel que brutal, toujours branleur
Sur la ravissante et bucolique scène de La loggia, c’est Serge Bozon qui accueille les premiers festivaliers de cette édition 2017. Puriste et gourmet, le réalisateur ne mixe que des 45 t. Garage, Texas punk ou soul, tous ont en commun leur furie, leur énergie amphétaminée. En coulisses, les Anglais de Shame n’en perdent pas une miette, surexcités de voir plus tard Iggy Pop. Une première pour le groupe, raconte Charlie leur chanteur, dans une année de dépucelages quotidiens : premier concert en Espagne etc (longue liste de pays), premier album presque fini, premier festival sur une presqu’île… Mais puceau du live, certainement pas. En moins de deux ans, le groupe du Sud de Londres a gagné en cohérence et en puissance ce qu’il n’a surtout pas perdu en folie, en affolement, en imprévisibilité… Sec et compact, il s’approprie quarante ans de rock anglais, de Clash à The Fall en un argot de sa génération néant. C’est aussi sensuel que brutal, toujours branleur, alimenté à la morve et la morgue. Mais ça tient désormais la route sur les grandes scènes, malgré une cheville foulée pour ce chanteur rebondissant.
Après l’Angleterre des caves, on passe immédiatement aux USA des honky-tonks avec d’autres habiles détourneurs d’héritage : les Lemon Twigs. Les frangins délaissent déjà le glam rock, pour une revue soul très convaincante, évidée des poses fantasques de leurs concerts de 2016. Sans esbroufe mais avec électricité, ils embarquent le public, très jeune en ce soir où l’on est visiblement venu fêter les résultats du bac.
Jeu de scène minimal et public maximal pour PNL
Et qui de mieux que PNL pour offrir libération des corps et euphorie des poings levés (pour quelle cause déjà ?) à ce public très majoritairement en dessous de 19 ans ? Et le bruit qu’il fait est phénoménal : 20 000 personnes reprennent en choeur les rimes pourtant si mélancoliques du duo au charisme récalcitrant, au jeu de scène aussi minimal et juste que sa musique. Sur la grande scène, habituée à la pyrotechnie, le dispositif de PNL pourrait sembler chiche, voire négligent. En refusant la surenchère, le show accompagne parfaitement le parti pris radicalement nu de cette musique pauvre et riche en même temps. Rarement a-t-on vu public fêter la vie et sa jeunesse avec un tel abandon alors que la musique est si mélancolique et désossée en un funky squelettique, aussi lente et poisseuse. Le public en sort hagard, hypnotisé par la lenteur fatale de ces slow flows à la torpeur contagieuse. Sans la moindre démagogie, sans le moindre effort de séduction, PNL offre une rasade de sirop toxique, de downers hyper puissants – cette musique dort mais elle ne rêve pas.
Récemment, Iggy Pop participait à une vidéo en faveur de la protection des animaux. Et la protection de la bête qui sommeille en lui, l’Américain en connaît un rayon. Gentleman dans le civil, il libère l’animal (et pas seulement quand il baisse son pantalon) dès qu’il monte sur scène, en des rituels sauvages qui font un peu reculer la jeunesse groggy après le show impassible de PNL. Il faut dire que la bête commence en boule électrique par un I Wanna BeYour Dog toujours aussi dangereux, fulminant. Ici et là, on entend pourtant des pisse-vinaigres mettre en doute l’authenticité du noueux vétéran, se moquant de ses engagements publicitaires – eh, les gars, si vous voulez qu’Iggy ne vive que de sa musique, achetez ses disques ! Il faut pourtant autant de cynisme que de surdité pour s’attaquer à cette carrière en pièce de théâtre aux trois actes – grandeur, gamelle et rédemption. Ce soir, ça a été beaucoup de grandeur, de la malice, quelques ficelles. Mais on peut tout se permettre quand on a écrit des chansons du niveau scandaleux de The Passenger ou Lust For Life, qu’il incarne toujours, des décennies et des cassures plus tard, avec sa voix améliorée de crooner défroqué par l’église des tourments.
En hommage involontaire au concert si magnifiquement triste de PNL, il joue No Fun. Ça boucle la soirée. On croise les garçons de Shame. Ils paraissent plus électrocutés qu’électrifiés par leur expérience nouvelle du jour : se faire botter le cul par leur grand-père.
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