Successeur à son propre titre de « meilleur festival Européen » en 2015, le Sziget de Budapest vient de battre un nouveau record avec 441 000 participants venus du monde entier. Si le line-up a tôt fait de convaincre ces derniers, on vous explique pourquoi le vrai challenge se situe ailleurs.
A défaut d’avoir un Burning Man en ses terres, l’Europe oppose depuis désormais 23 ans un concurrent sérieux au fameux festival américain. Situé sur l’île d’Obuda, au cœur du pays des Magyars, le festival Sziget devient chaque été durant 7 jours un rendez-vous incontournable pour les festivaliers marathoniens. Moins sauvage et colonisé par les drogues que Dour, mais bien plus festif, diversifié et mieux organisé que la plupart des festivals du vieux Continent, le Sziget a explosé cette année des records de fréquentation, avec 441 000 festivaliers venus de 89 pays pour profiter du spectacle du 10 au 17 août. Autre preuve de son attractivité : 90 % des billets ont été vendus hors de la Hongrie. En outre, le retour de l’Arena et l’agrandissement des deux scènes principales (Main Stage et A38) ont favorisé le succès titanesque de cette édition.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En arrivant au Sziget, c’est cette impression d’abondance et de grandeur qui prend aux tripes le festivalier non-initié. Qu’il s’agisse des bars, des scènes (une soixantaine au total), ou du nombre de drapeaux bretons éparpillés, tout atteint un chiffre démesuré. Les points forts du Sziget frappent vite celui ou celle qui n’a jamais mis les pieds ici: les paiements se font sans la moindre monnaie, grâce à une carte ou une montre rechargeable (ce système arrive bientôt en France); les activités extra-musicales font florès (plage, cirque, théâtre, village sportif, saut à l’élastique, « Art zone » pour donner vie à des structures originales, un club LGBT…) et la propreté du festival – comparativement à sa taille – pourrait faire pâlir d’envie bien d’autres organisateurs.
Pourtant, jamais le Sziget n’aura connu un soir d’ouverture si mouvementé. Après la prestation honorable du groupe hip-hop hongrois Irie Maffia, la venue de Robbie Williams crée des vagues de panique et des malaises, avec 75 000 groupies réunies devant le Main stage.
Sueur, trans et acide lysergique
Le mardi, 40°C de soleil furieux tapent dur sur la verdure et le bitume. L’atmosphère est exaltée mais, bientôt, le record de poussière générée donne l’impression d’avoir intégré la fournaise de Mad Max. Avec en prime le guitariste survolté: ce jour-là, les musiciens ska de Babylon Circus, complices, énergiques et extrêmement fédérateurs délivrent l’une des meilleures prestations offertes par un groupe français au Sziget.
Selah Sue, en revanche, nous déçoit par sa sono mal réglée, qui peine à mettre en avant sa voix rauque et la Télécaster rubiconde de son guitariste. This World et Alone sortent du lot sans pour autant enchanter. La voix de la belle rousse Florence Welch, de Florence + The Machine, combat mieux les étapes de la poussière et de la surpopulation, devant un parterre de drapeaux britanniques. C’est entre 1h du matin, après la soul très cool, humide et chaude de Jungle, et 3h, lorsque s’éteint la trans brutale et magistrale d’Infected Mushroom, que l’on croise la route des premiers verres de palinka, eau-de-vie familière aux Hongrois, qui n’apporte qu’une dérouillée conséquente aux étrangers qui ne l’ont pas apprivoisée. Pour beaucoup, la nuit s’arrête ici.
Mercredi, 8h du matin. C’est quand tapent les premières basses de Radio Kebab, le traiteur accolé au camping qui se prend pour un soundsystem (et recommencera tous les matins), que se corse le parcours initiatique du débutant du Sziget. On se dit qu’on ne tiendra pas la semaine. Les premières entorses, fractures et minerves trainent leurs carcasses dans le camping. Les festivaliers alchimistes cuvent leurs remontées d’acides. Pour ceux qui préfèrent à ces dernières de bons psychotropes musicaux, Alt-J et Tyler the Creator prennent parfaitement le relais. Vaporeux, léger, lascif et charnel, le premier confirme la maturité de son second album (Every over freckle, Left hand Free). Le show du rappeur alternatif de Californie est, quant à lui, visuellement et musicalement délirant. Les hallucinations aériennes derrière la scène se délitent et s’emmêlent, comme pour doper ce concert au valium, et conforter le leader d’Odd Future dans son travail anticonformiste.
Pussy Riot, thermes et asthénie
Le jeudi, le soleil a fait la peau de beaucoup de festivaliers (« La nuit, c’est cool, y a de l’ombre dans ma tente » confie l’un, « Je suis au soleil toute la journée, même la nuit » transpire un autre). Les indiens-kinés du camping sauvent les dos endoloris en chantant des chansons paillardes, les Pussy Riot viennent discuter liberté au Sziget, et ceux qui veulent cesser de respirer des cendres font un tour vital aux thermes de Budapest. Nous, on se dit que même avec une programmation très maintstream, le simple climat du Sziget vaut le détour. « Les gens ne viennent pas que pour le line-up, qui sont les mêmes dans beaucoup de festivals, mais surtout pour l’ambiance. On leur doit d’avoir quelque chose en plus » confie le fondateur du festival, Károly Gerendai. Au sujet de la liberté de la presse si peu chère au président hongrois Viktor Orban, il rétorque qu’il voit le Sziget comme une « république indépendante qui possède ses propres codes ».
« A notre échelle, nous faisons en sorte que la situation ici soit différente de celle du pays. Nous nous détachons des valeurs du gouvernement. Et celui-ci n’entrave pas le festival, en raison des retombées économiques et de la notoriété que nous apportons à la Hongrie. »
Ce jour-là, entre un stormtrooper couvert d’un drapeau breton et un homme-lapin qui fait du stretching sous LSD, les festivités reprennent avec Balthazar, talentueux quintet belge auteur d’un rock candide et orchestral, suivi de MØ, la petite protégée de Diplo, qui fêtait ses 27 ans et à laquelle on assigne une mention bien pour son live pêchu et ruisselant de sueur, mené de main de maitre grâce à une voix pop gracile et rare. A sa suite, les Ting Tings ravissent le public avec un live bien plus électro que par le passé tandis qu’Interpol assouvit les fans de rock indé US.
Peinturluré par une Color Party qu’aurait déconseillé tout bon cancérologue, on assiste le vendredi aux meilleures prestations de cette cuvée 2015, Kasabian et Gramatik en tête. Carton plein pour le quatuor de rock indé anglais qui, non content de placer haut la barre avec Shoot the Runner en début de show, complète son live de très bonnes reprises (Praise You de Fatboy Slim, Word Up de Cameo…) et augmente progressivement en intensité. Preuve s’il en est que feu Oasis possède depuis longtemps un héritier légitime. Quant à Gramatik, le DJ slovène a immédiatement conquis un public majoritairement français, suffoquant sous la chaleur et la MD. A l’inverse, le groupe de punk celtique Dropkick Murphys remporte, lui, la palme de la sono la plus désastreuse. Absolument inaudibles du début à la fin, les musiciens et le chanteur peuvent remercier leur public de groupies mâles testostéronées, qui pogotaient sans oublier la moindre parole.
Du porno, des pogos, de la pluie
Les deux derniers jours sont un véritable challenge, mais aussi la preuve qu’un festivalier voulant bien faire les choses doit essayer le Sziget au moins une fois dans sa vie, juste pour tester sa capacité de résistance. Le vendredi soir, le collectif ragga-électro Major Lazer fédère un public increvable, bien que parsemé de quelques éclopés, avec des effets visuels cartoonesques parfois pornos, fidèles à ses clips. Il fait la part belle à MØ avec Lean on Me avant que Diplo, enfermé dans une bulle géante, ne se jette et court au milieu d’une foule survoltée. A minuit, le même engouement tient en haleine le public du Colosseum, scène de l’électro minimale, lorsque Vitalic se place derrière les platines. Tout s’enchaine très vite. Les verres pleins tombent à terre, Stamina, Second Lives, Poison Lips et La mort sur le Dancefloor se succèdent, une baston démarre, tous en redemandent. Une heure de set du DJ français aura suffi pour que l’on soit à bout de forces. Avec 13 heures de sommeil en six jours, difficile de tenir le cap au-delà de 5 heures du matin.
Le dernier jour, l’île d’Obuda essuie les dégâts d’un orage nocturne. Des béquilles, des matelas détrempés et des ponchos robotiques se meuvent dans la boue. On se sent un peu misérables, mais toujours vivants, avec une capacité pulmonaire divisée par deux. La clôture n’en est pas moins spectaculaire grâce à Limp Bizkit (« en cinq ans de Sziget, je n’ai jamais connu un concert aussi violent« , dixit un rescapé), qui reprend Up in Here de DMX et Killing in the Name of de RATM. Mention Très Bien au garçon inventif qui a confondu la formation d’un cercle pit avec un emplacement idéal pour ouvrir sa tente 2 secondes. Martin Garrix précède le show final coloré de feux d’artifices. On passe la main pour C2C, qui clôt définitivement le festival, parce qu’il faut bien qu’on trouve de la place pour dormir dans l’aéroport et que l’orage reprend de plus belle. Un peu comme le Graal d’un certain film, le Sziget demande à passer pléthore d’épreuves pour en être digne, mais la fierté de le posséder enfin compense tout. Il est facile à reconnaître : c’est le plus poussiéreux.
{"type":"Banniere-Basse"}