Réédition essentielle des collaborations perchées d’un ex-Japan et d’un ex-Can. Impros et krautrock au menu.
Un soir d’hiver, en 1986, David Sylvian atterrit à Cologne où il doit retrouver Holger Czukay. L’ex-bassiste et fondateur de Can l’attend dans son studio, un ancien cinéma devenu le bastion des pionniers du krautrock dans les années 1970. Ce qui devait être une simple session “voix” pour un titre Rome Remains Rome (1987) va se transformer en deux nuits d’improvisations captées sur bande par Czukay.
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Bien lui en a pris. Car Plight & Premonition (sorti en 1988) et son lumineux jumeau Flux + Mutability (1989) sont des disques d’ambient géniaux, aujourd’hui réédités pour notre plus grand plaisir par Grönland Records. Avec à la clé un nouveau mix signé Sylvian et une remasterisation ad hoc pour apprécier à sa juste valeur le travail d’orfèvre de deux titans laissant libre cours à leur créativité.
Si les deux lp cultivent des ressemblances (deux longues plages sonores d’au moins seize minutes pour l’un et l’autre), leur histoire n’est pas la même. Plight & Premonition est le résultat du premier passage à Cologne de Sylvian, en 1986 donc. Le touche-à-tout est alors dans le studio de Czukay comme à la maison. Il s’approprie les instruments, les teste, expérimente et va où son inspiration le mène ; derrière la vitre, Holger Czukay joue les guides invisibles et enregistre chaque note, secrètement. De ces errances nocturnes naîtront deux morceaux sur lesquels plane l’ombre d’une menace inconnue. Aux improvisations sur claviers et guitare de Sylvian, Czukay greffera des drones inquiétants et des samples inattendus (radio, orgue) pour une longue promenade en terres lunaires.
Flux + Mutability a lui été enregistré trois ans plus tard alors que le mur de Berlin s’apprêtait à tomber. En 1989, la donne a changé, l’ambiance également (“Tout était plus lumineux”, dira Sylvian), ainsi que le modus operandi puisque l’improvisation totale a cette fois été en partie remisée au placard. Les membres de Can contribuent à l’effort collectif sur Flux (A Big, Bright, Colourful World) : Jaki Liebezeit avec de discrètes percussions et Michael Karoli en superposant sa guitare à celles de Czukay et Sylvian. Les nuages menaçants de Plight & Premonition ont laissé place à un ciel beaucoup plus dégagé, empli de quiétude. C’est particulièrement frappant sur les vingt-et-une minutes planantes de Mutability (A New Beginning Is in the Offing) où Sylvian est cette fois seul maître à bord.
Cité dans le livret de cette réédition, l’ex-leader de Japan affirmait en 1988 aimer “les photos qui capturent un instant (…) comme un mouvement gelé à l’intérieur d’un cadre. Ce qu’elles dégagent change avec l’humeur de celui qui les regarde”. Une belle définition de cette ambient fascinante qui nous permet de toucher du doigt, du moins brièvement, des univers que l’on pensait inatteignables.
Plight & Premonition Flux & Mutability (Grönland Records)
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