Gorillaz, la création cartoon-pop de Damon Albarn, crache son dernier album : sombre, audacieux et sous influence hip-hop. Critique et long entretien avec Murdoc, teigne insolente et seul survivant du groupe, ronchon sur sa Plastic Beach.
Vous êtes désormais le seul représentant de Gorillaz. Il y a eu des soucis d’ego dans le groupe ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Je me suis aperçu que mon fidèle ami le Taser permettait de régler les différends musicaux dans le studio : 30000 volts dans la nuque, je vous assure que vous écartez n’importe quel problème d’ego ! Le truc, c’est que le mien a toujours été énorme, dès que j’ai jailli de l’utérus de ma mère… Le succès n’a fait que confirmer mon génie. Tous les groupes sont pareils : une lumière et trois débiles qui secouent leur tête. La première fois que j’ai pensé embarquer pour un troisième marathon Gorillaz, j’ai fait l’effort, sans enthousiasme je l’admets, de retrouver les autres. Je crois même avoir collé une affiche sur un lampadaire vers le quartier de Neasden, au nord de Londres. “Avis de recherche : trois rock-stars maladroites, aperçues pour la dernière fois dans le groupe itinérant Gorillaz. Récompense : 70 euros.” Je n’ai eu aucune réponse. Alors je me suis dit : “Pourquoi aurais-je besoin d’eux ? Je pourrais programmer les batteries moimême !” Et vous savez quoi : après la mort de Noodle suite à l’explosion du site du clip El Mañana, j’ai réussi à récupérer son ADN et à créer son cyborg. Une belle réussite ! Une meilleure guitariste, et plus besoin de me farcir la cyclothymie et les médisances d’une ado !
Avez-vous déjà eu envie d’arrêter Gorillaz ?
A chaque fin d’album, parfois même dès le début. Je crois chaque fois qu’un nouvel enregistrement m’ouvrira les portes du royaume très privé des élites immortelles et que je n’aurai plus jamais à travailler avec tous ces connards… Mais il se trouve que non : au final, vous devez toujours vous y recoller. Vous ne pouvez pas priver le monde d’une personnalité comme la mienne, ce serait cruel. Les lundis matin sont souvent terribles pour moi. A un moment, j’ai pensé rejoindre le girls-band anglais Girls Aloud. J’avais une terrible gueule de bois. Je commence à lire la presse. Je tombe sur une énième photo de Sarah Harding sortant d’un club, un peu en vrac… Je me dis “ça a l’air cool”. Plus cool que de rester assis dans mon studio toute la journée à magouiller des modules et des effets sonores. Alors j’ai pensé : plutôt que d’essayer de redéfinir le concept même de l’album de pop moderne, plutôt que de fondre les différentes cultures musicales de la planète dans une nouvelle forme audacieuse qui transgresserait les âges, les lieux, les genres, les types et la religion, ce que je pourrais faire, c’est oublier cette histoire de troisième album de Gorillaz et aller traîner avec Girls Aloud. Je jouerais de la basse. L’après-midi, j’avais les idées un peu plus claires et j’ai réalisé que ça contredisait tous mes propos précédents… J’ai bu une tasse de thé et je suis retourné en studio.
Seriez-vous d’accord pour affirmer que cet album symbolise le gâchis, la destruction ?
Je tiens à écarter tout malentendu. Ce n’est pas un album vert ou écolo mais la BO d’une plage en plastique. Comme une série de photographies prises dans des tas d’endroits différents sur la planète puis réunies sur un panneau d’affichage pour voir comment elles peuvent cohabiter. Ce n’est pas une manière de juger le monde mais une photographie.
[attachment id=298]Vous avez vendu des millions d’albums et vous êtes ruiné. Que s’est-il passé ?
Après les concerts pour Demon Days, j’ai fait la fête partout, j’ai emmerdé mon monde et renversé des verres partout sur la planète. Puis l’argent a commencé à manquer. J’avais aussi investi dans plein de choses, des entreprises de téléphonie mobile à la con… Sans compter ces histoires de systèmes pyramidaux : j’ai acheté beaucoup de pyramides à Gizeh en Egypte. Mais il se trouve que le type qui me les a vendues – Bernie Madoff – était une grosse crapule. Au final, les contrats ne valaient même pas les parchemins sur lesquels on les avait écrits. J’étais fauché, j’avais besoin de nouveaux financements. J’ai essayé le trafic d’armes amateur, très sympa ! J’ai acheté un exemplaire de As Used on the Famous Nelson Mandela de Mark Thomas dans un magasin de livres d’occasion. Super bouquin : il montre comme il est facile d’acheter des vieux stocks d’armes aux pays en voie de développement, pour les repeindre puis les revendre à d’autres groupes. Une fois les problèmes de paperasse réglés, tout roule non ? C’est ce que font les gouvernements. En tout cas, l’histoire avec Madoff était une connerie. Je me disais qu’avec cette crise et les fluctuations incessantes de l’économie, mon argent resterait en sécurité dans une pyramide. Visiblement non. Cela dit, j’aime penser qu’un bout de mon coeur demeure quelque part dans une tombe égyptienne à côté de Toutânkhamon.
Vous avez enregistré à Beyrouth avec le National Orchestra Of Arabic Music…
J’y suis allé incognito, j’ai mis une burqa noire. J’avais envie que cette région du monde figure sur l’album alors j’ai fait péter l’hélicoptère, quitté Plastic Beach et mis le cap sur Beyrouth et la Syrie. C’était fondamental : si vous vous contentez de lire les journaux ou de regarder la télévision, vous aurez une image faussée. Gorillaz, c’est un service public !
Des rumeurs ont laissé entendre que vous aviez volé des morceaux inédits de Blur…
Je ne sais pas mentir : tout cela est vrai. “Le talent emprunte, le génie vole.” C’est une de mes citations. Damon et sa petite pute de Jamie Hewlett travaillaient sur ce projet de Carousel (projet musical évoqué par le dessinateur en 2008 – ndlr) et certains éléments ont pris une résonnance toute particulière dans mon esprit boueux. La mélancolie des jetées sur la mer, avec les fêtes foraines en ruines et les manèges abandonnés… Blur était trop occupé à tourner pour la reformation et pour les thunes : j’en ai profité, je me suis incrusté, j’ai piqué les morceaux sur leur disque dur, détruit leur copie et cavalé au studio. J’ai pris ce dont j’avais besoin, jeté le reste et fait Plastic Beach. Ce que Damon avait composé était super, très suggestif et très bouleversant mais ça avait quand même besoin de couilles. Je ne sais pas comment les membres de Blur ont réagi. A vrai dire, je ne les fréquente pas trop.
Plastic Beach sera-t-il le dernier album de Gorillaz ?
Disons que oui. Ne pleurez pas ma disparition : comme les Destiny’s Child, I’m a Survivor. Ce n’est pas le dernier chapitre de l’histoire de Murdoc Nicalls.
Quelle est votre plus grande fierté avec le groupe ?
Nous avons réussi à gouverner cet imposant navire qu’est l’industrie du disque loin des roches de la catastrophe. Nous n’avons peutêtre pas tout changé pour tout le monde sur Terre, mais nous avons certainement dessiné une nouvelle image, un nouveau modèle à partir duquel on peut travailler. Nous avons montré qu’il était possible d’innover hors de tout scrupule et en trichant. Possible aussi de faire collaborer les vieux musiciens de génie avec les plus jeunes. Tout ne doit pas toujours tourner autour du choc de la nouveauté. Ces grands musiciens, animateurs, acteurs, graphistes qui oeuvrent ensemble à créer autre chose qu’un projet éphémère et jetable, uniquement destiné à faire du fric et chapeauté par un obscur gourou vaniteux (autre que moi), on peut en être fier.
Votre plus grande déception ?
Probablement le fait qu’après tant d’albums platinés, de collaborations innombrables, de millions d’innovations et de façons de réinventer la musique et le divertissement, de milliards d’interviews, on me demande encore de justifier mon génie et mon authenticité. A part ça, tout va pour le mieux, rien à déplorer. Où est cette fichue bouteille de rhum ?
{"type":"Banniere-Basse"}