Ils sont quatre mousquetaires anglais et américains à jouer en 2010 de la soul music comme dans les années 60 et 70. Le succès actuel de Plan B devrait rejaillir sur les trois autres et donner à cet été un rafraîchissant supplément d’âme.
Au départ était un battement de Seal qui a peut-être tout fait basculer. En publiant l’an dernier un album de reprises de standards soul signés Al Green, Ann Peebles ou Sam Cooke, le chanteur britannique préféré des ménagères et des dermatologues reconnectait des millions de paires d’oreilles aux délices anciens d’une musique un peu oubliée du grand public. Problème : la soul de Seal est une soupe lyophilisée, et faire passer ces molles vessies pour des lanternes magiques serait insultant pour leurs interprètes originels.
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Il n’empêche, ce carton mondial qu’accompagna en arrière-fond le cinquantième anniversaire de la Motown, puis les images sépia de bambins en afro lors de la disparition de Michael Jackson, tout cela aura sans doute préparé le retour auquel on assiste aujourd’hui. En cet été 2010, deux des gros tubes qui affolent les transistors – She Said de Plan B et I Need a Dollar d’Aloe Blacc – n’auraient pas eu à rougir aux grandes heures cuivrées des Smokey Robinson ou Gil Scott-Heron auxquels ils tentent avec succès de se mesurer.
Un cran derrière, les disques récents signés Eli “Paperboy” Reed (Come and Get It!) et Mayer Hawthorne (A Strange Arrangement) témoignent aussi de la vitalité d’une “classic soul”. Celle-ci ne cesse de gagner des parts de marché sur le r’n’b climatisé tel qu’on l’endurait depuis une quinzaine d’années, et contre lequel ils se positionnent. Détail amusant, trois des protagonistes de cette “new old soul” sont blancs, et le quatrième (Aloe Blacc, comme son nom l’indique) reprend l’un des titres les plus diaphanes du répertoire rock, Femme fatale du Velvet Underground, dans une lecture vertigineuse.
La plupart d’entre eux sont des affranchis du hip-hop ayant eu à coeur, plutôt que de tourner autour des mêmes boucles, d’en remonter les sillons jusqu’à la source authentique. Avec son allure de Karim Benzema engoncé dans un costard de Soprano, Ben Drew, alias Plan B, n’a ni l’élégance, ni la suavité d’une vedette de la Motown. Lorsque parut en 2006 son premier album, Who Needs Actions When You Got Words, on lui colla une embarrassante étiquette d’Eminem anglais qui n’était pas totalement usurpée.
Plan B pratiquait alors un hip-hop blafard et anxiogène à la The Streets, et son storytelling sans pitié comme ses rictus un peu forcés de bad boy affinèrent les ressemblances avec Slim Shady. Quatre ans plus tard, Plan B squatte les sommets des charts européens avec The Defamation of Strickland Banks, un deuxième album au titre et au concept éminemment Eminem – la déchéance d’un chanteur et la rédemption au fond des geôles – mais au contenu presque 100 % soul. Vintage, classe, fiévreux et mélodiquement imparable, avec un chapelet de hits (Stay Too Long, She Said, The Recluse…) qui pourrait bien lui valoir un Amy (Winehouse) Award du plus grand coup d’éclat de l’année.
Lorsqu’on l’interroge sur ce retour aux valeurs refuges de la musique noire, Ben Drew feint de ne pas entendre la question. “Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant que j’allais faire un disque de soul. J’ai toujours composé des chansons dans ce style, mais à l’époque où j’ai débuté, le rap était le médium le plus adapté à l’urgence de ce que j’avais à exprimer. Je n’ai pas fait de la musique pour atteindre les premières places des charts mais pour raconter la vie des jeunes désoeuvrés avec lesquels j’avais grandi. Lorsque je suis parti sur cet album-concept sur la trajectoire d’un chanteur de soul, il était logique que j’adapte la musique au sujet. J’ai donc écrit deux albums, l’un dans une tonalité soul, l’autre hip-hop. Tous deux racontent la même histoire de deux points de vue différents, et mon idée était de les sortir ensemble. Mon label a trouvé que c’était une mauvaise idée, préférant bien sûr promouvoir l’album soul. L’autre sortira un peu plus tard sur un label indépendant.”
Parfaitement synchrone avec une demande populaire en la matière, le plan b de Plan B déborde largement sur sa carrière première de rappeur, au point de la compromettre. Il reste bien dans son album quelques stigmates de son flow hargneux, entre deux coulées de caramel Motown, mais la distinction qui lui faisait défaut comme rappeur – surtout comparé à Mike Skinner – éblouit depuis qu’il a glissé vers un autre registre. On reste sidéré qu’à un tel corps noueux et tendu appartienne une voix presque aussi touchante et sensible que celles de Donny Hathaway ou de Smokey : “J’ai longtemps tourné autour de la soul, griffonné des bribes de chansons que je ne parvenais jamais à terminer. Lorsque j’avais 16 ans, mon parrain m’a fait écouter The Tracks of My Tears de Smokey Robinson & The Miracles en m’expliquant que celle-ci contenait toutes les structures des chansons soul et pop. Cette démonstration m’a décoincé, et j’ai par la suite écrit trois chansons par semaine sur ce modèle, qui a servi de matrice à mon album.”
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