Avec leur cocasse Plagiarism, les Sparks revisitent, sourire aux lèvres, une longue et sinueuse carrière qui les vit côtoyer le sublime comme les plus infréquentables bas-fonds. Une vie en plusieurs actes inégaux où ils inventèrent l’électro-pop des années 80, influençant aussi bien les chaloupements mélancoliques des Pet Shop Boys que la pop asexuée de Pulp, […]
Avec leur cocasse Plagiarism, les Sparks revisitent, sourire aux lèvres, une longue et sinueuse carrière qui les vit côtoyer le sublime comme les plus infréquentables bas-fonds. Une vie en plusieurs actes inégaux où ils inventèrent l’électro-pop des années 80, influençant aussi bien les chaloupements mélancoliques des Pet Shop Boys que la pop asexuée de Pulp, les opérettes d’Erasure que les chansonnettes de Blur.
On devrait logiquement haïr les Sparks. Au nom de quelques principes de base un chanteur acceptable ne doit jamais franchir le troisième octave, un groupe qui compte parmi son fan-club Jean-Paul Gaultier et les Rita Mitsouko est forcément suspect, les amis de Giorgio Moroder sont nos ennemis, etc. , on devrait confortablement se ranger derrière la majorité virile qui ricane grassement à la seule évocation du nom des frères Mael. Pire encore : il y a ceux qui vous réduisent à l’impuissance en vous retournant en pleine face la mélodie colle-bonbons de When I’m with you you-ou you-ou you-ou sur laquelle ils ont pourtant brûlé bien des calories et ruiné quelques chemisettes durant l’été 79.
En France, la carrière des Sparks se résume ainsi à deux ritournelles de camping larguées sur les ondes à dix ans d’intervalle : en 79, donc, année faste où les frères Mael produisent Bijou (Pas dormir) et s’octroient avec leur propre When I’m with you un triomphe strictement hexagonal, puis en 89 lorsqu’ils fusionnent avec les Rita Mitsouko le temps d’un Singing in the shower qui sauve in extremis de la douche froide le poussif Marc et Robert du duo parigot. A l’instar de quelques dictateurs africains et de Gregory Peck, les Sparks sont venus s’échouer en France lorsque le reste du monde à l’exception notable du Japon, l’autre mouroir des vieilles stars déchues leur signifia qu’il n’y avait plus rien à voir et qu’il était grand temps de circuler. Oubliés, à l’orée des années 80, les menus services rendus par la famille Mael pour rendre le rock des seventies un peu moins ronflant et prétentieux. Terminée, la belle époque où This town ain’t big enough for both of us hit mondial de l’année 74 permettait encore au duo de sauver la face dans les raouts mondains. Le punk a massacré les Sparks sans même s’en rendre compte, tandis que la disco leur a tout aussi involontairement porté l’estocade en les accueillant dans son giron.
Paradoxalement, les eighties virent pousser comme des champignons une quantité de groupes/couples bâtis d’après le modèle déposé par les Sparks : à savoir un chanteur agile et agité flanqué d’un imperturbable garde du corps aux claviers, combinaison toujours efficace de (l’armoire à) glace et de feu (aux fesses), schéma archétypal de la pop gay et fière de l’être. Ainsi Soft Cell, les Pet Shop Boys et autres Blancmange, Bronski Beat ou Erasure furent démoulés selon la recette éprouvée des frangins Mael, qui sont au rock ce que les soeurs Tatin sont à la tarte aux pommes : des maladroits inspirés, créateurs accidentels d’une variété pop nouvelle qui a fini par disperser ses saveurs un peu partout. Musicalement, on trouve en effet trace des Sparks dans les gènes des Associates, Pulp ou Blur qui le reconnaissent volontiers , voire aussi quelques restes diffus chez Divine Comedy ou Morrissey. Leur sens du spectacle non dénué d’une certaine emphase aura au moins permis de décoincer quelques vocations. Grâce à eux, nombre de crapauds complexés se sont mués en princesses, assumant pleinement leur goût pour les falbalas et les falsettos d’opérette.
Le monde du spectacle a très tôt tiré les Mael de leurs couches. Russell et son frère aîné Ron ont intégré dès l’enfance une troupe de théâtre de Los Angeles, branche active du Urban Renewal Project des années 60. Etudiants à l’UCLA en 68, ils fondent Halfnelson, la première esquisse des Sparks, en compagnie d’une autre paire familiale, Jim et Earle Mankey et du batteur Harley Feinstein. Mis à part les serveuses des bars aux alentours de Los Angeles très sensibles aux bouclettes de séraphin du jeune Russell , personne ne remarque Halfnelson. Par chance, l’une des serveuses, Miss Christine, a une aventure avec un ténébreux musicien, leader des déjà fameux Nazz auprès duquel elle introduit ses protégés. C’est ainsi que Todd Rundgren offrira au groupe la possibilité d’enregistrer un album sur son propre label Bearsville et se chargera de produire lui-même ce premier essai. Halfnelson ne sonne comme aucun groupe de la région ni de l’époque mais ressemble étrangement à… Devo , ce qui ravit Rundgren mais laisse assez indifférent le milieu rock californien, toujours égaré parmi les lucioles psychédéliques.
Rebaptisé Sparks, le groupe publie un second album en 72, A Woofer in a tweeter’s clothing, produit par l’ex-Electric Prunes James Lowe. Il gagne alors ses premiers galons internationaux grâce au single Girl from Germany. Malgré le succès promis et la réédition sous le nom de Sparks de l’unique album de Halfnelson, le quintette éclate en 73, Earle Mankey entamant une carrière solo, tandis que son frère Jim ne réapparaîtra que vingt ans plus tard au sein de Concrete Blonde. Ron et Russell Mael profitent du déménagement de leurs parents en Angleterre pour tenter de donner sur le Vieux Continent une seconde chance aux Sparks. Elton John, qui abusait sans doute trop de la poudre pour avoir du flair, avait parié avec Muff Winwood (frère de Steve et producteur de l’album Kimono my house des Sparks) que This town ain’t big enough for both of us ne serait jamais un tube. Le brave Elton voyait surtout d’un mauvais oeil que ces deux hurluberlus américains cambriolent son fonds de commerce l’exubérance, les voix haut perchées, l’homo-triomphalisme , qui plus est en n’embarquant que l’or et les plumes, laissant volontiers le graillon à son propriétaire. En marge de quelques autres fameux spécimens de l’époque Roxy, Bowie, Bolan, Queen , la trilogie anglaise des Sparks, celle constituée par les (mini-)chefs-d’oeuvre baroques et rococo que sont Kimono my house, Propaganda tous deux publiés en 74 et Indiscreet en 75, trace un sillon suffisamment singulier pour que l’histoire ne le laboure pas sans ménagement.
Mélangeant pop et glam-rock, music-hall américain et vaudeville anglais, les Sparks vont infester de chansons abracadabrantes les hit-parades du milieu des années 70 : Amateur hour, Never turn your back on mother earth, Something for the girl with everything et autres Looks, looks, looks. L’impassible Ron Mael s’y illustre comme un auteur-compositeur-farceur assez unique, maniant le non-sens et les mélodies à tiroirs tel un Anglais de souche, tandis que Russell joue les Castafiore androgynes au premier plan. Produit par Tony Visconti, Indiscreet ose notamment d’audacieuses figures instrumentales à l’extrême limite du mauvais goût sans jamais y tomber , comme le final hallucinant justement nommé Bon voyage. En 76, les Sparks commettent l’erreur fatale, alors que tout se passe en Angleterre, de partir enregistrer leur sixième album à New York, avec des requins de sessions et les peu finauds producteurs Rupert Holmes et Bob Clairmountain aux commandes. Malgré sa fameuse pochette signée Richard Avedon, Big beat est un objet assez ingrat et pesant qui fera un flop même s’il contient ce scoop sidérant : Russell Mael chantant I like girls et amorcera la chute lente des Sparks. A l’exception d’une version hollywoodienne du I want to hold your hand des Beatles avec grand orchestre, les sessions de Los Angeles pour l’album suivant s’avèrent encore plus calamiteuses et Introducing Sparks, au grand soir du punk, se fait étriller en beauté.
Entre alors en scène un sauveur providentiel à moustache, Mister Disco en personne, l’ineffable Giorgio Moroder, qui va redimensionner à sa manière le son des Sparks : synthés, beatbox, maillots de corps et hop en 79, les Sparks sont disco, coco. Ça arrache un peu de le dire, mais Number one in heaven n’est pas un mauvais disque. Il règne même, dans l’arrière-salle de ce night-club moite et clinquant, un imperceptible climat de mélancolie qui préfigure ce qu’on adorera des années plus tard chez New Order ou les Pet Shop Boys. On l’a vu, les années 80 seront féroces avec les frères Mael. Russell, l’ancien éphèbe pasolinien, apparaît désormais looké comme une pub pour Cani-coiffe. Ron ne bouge pas, ne bouge plus. Cryogénisé derrière ses synthés, il laisse Moroder piloter seul les albums suivants Terminal jive (80), Whomp that sucker (81) ou Angst in my pants (82). En 83, In outer space offre avec le single Cool places coécrit par la guitariste des Go-Go’s Jane Wiedling un ultime hit américain aux Sparks. L’Angleterre ne se souviendra de sa paire adoptive que dix ans plus tard, lorsque When do I get to sing my way marquera son retour et un (relatif) regain d’inspiration.
Aujourd’hui, après une série espacée d’albums médiocres, Ron et Russell Mael ont retrouvé Tony Visconti pour mettre en oeuvre Plagiarism, une sorte d’auto-tribute où les Sparks revisitent en s’amusant leur répertoire, tantôt avec un orchestre à cordes et une chorale, tantôt avec les guitares aux hormones de Faith No More, tantôt façon techno-Prisu. Un joyeux galimatias auquel ont participé quelques mâles amis des frères Mael, dont Jimmy Somerville et les membres d’Erasure. Ça va chauffer sérieux dans les boxer-shorts.
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