Chez Placebo, l’heure de la remise en question a enfin sonné : loin du routinier et patraque Meds, on redécouvre un groupe cinglant et ambitieux, porté à bout de bras par un Brian Molko qui a fait le grand ménage dans sa vie. Quitte à trouver des cadavres dans les placards.
[attachment id=298]Placebo revient de loin. D’un trou noir, sans fond, pas glop, où l’avait poussé la routine des excès et abus à l’époque de son dernier album, Meds. Un album plus comateux que médicamenteux avec lequel le groupe – et une partie de son public – frôla l’overdose : incapable de se renouveler, amoché par son hygiène de vie, des tournées sans répit et des relations internes calamiteuses, Placebo avait alors failli jeter l’éponge. Mais Brian Molko tenait trop à ce groupe qu’il avait fondé comme sortie de secours à une vie morne pour le laisser filer. Depuis, dans son coin, le trio s’est reconstruit, à redécouvert la joie simple de jouer, la vie sans drogues ni alcool, une carrière sans major-company pour le presser. Nouveau label, indépendant cette fois, nouveau batteur, nouvel allant, nouvelle fringale : c’est un Brian Molko passablement remonté et soulagé d’être sorti indemne de ces sombres années qui nous reçoit chez lui à Londres. Sur le nouvel album, l’ambitieux et serein Battle For The Sun, on l’entend chanter “J’ai besoin de changer de peau”. La bonne occasion pour lui proposer de se mettre à nu pour une interview sans la moindre langue de bois.
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Le nouvel album commence par ces paroles : “J’ai besoin de changer de peau”.
Brian Molko – Il y a vraiment un sentiment de renaissance. Après Meds, nous étions arrivés en fin de contrat avec notre major, ça nous a forcés à nous poser la question : quel futur imaginons-nous pour Placebo ? C’était l’heure du grand nettoyage, nous n’étions plus heureux dans ce groupe. Si nous n’avions pas pris le taureau par les cornes, nous aurions maintenu le groupe en survie pendant quelques années, avant un inéluctable déclin. Je n’ai pas tout sacrifié pendant quinze ans pour laisser le groupe mourir à petit feu. Quand un angle s’affaisse dans un triangle, ça met en péril tout l’équilibre. Là, nous nous éloignions les uns des autres, la créativité s’en ressentait. Au lieu de faire front, comme à nos débuts, Stefan (Oldsdal, bassiste) et moi nous nous sommes recroquevillés chacun dans notre coin, par instinct de survie. Placebo, au lieu d’être un band, est alors devenu une brand, une simple marque : j’étais dans le compromis, sans la moindre sincérité, j’avais l’impression d’aller au travail, avec des collègues de moins en moins proches de moi. C’était un simulacre de démocratie.
A quel moment as-tu senti ce déclin de Placebo ?
Pendant l’enregistrement de Meds… Nous sommes sortis du studio sans fierté, désunis, lessivés. Mais il y avait un tournée à assurer, alors nous sommes partis au front, comme si de rien n’était. J’espérais que ça allait cicatriser les plaies : ça les a amochées. Pendant deux ans, sur le route, je me suis vraiment senti seul. Je n’avais pas d’autre choix que continuer – je ne sais rien faire d’autre, c’est mon destin, ma seule valeur… Avec Stefan, nous avons alors décidé de récupérer notre groupe, son esprit, l’innocence qu’il avait lorsque nous composions, en 94, dans une cité HLM… Nous ne pouvions plus continuer dans ce cynisme. Même sur scène, on faisait semblant, ce n’était plus “nous contre le reste du monde”.
Concrètement, le problème venait de votre batteur, Steven Hewitt. L’as-tu réglé en personne ?
A la fin de la tournée, on n’arrivait même plus à se regarder dans les yeux… Il était… imprévisible, j’avais peur de sa réaction, émotionnellement et même physiquement. Je l’ai donc prévenu par email, puis notre manageuse lui a annoncé officiellement qu’il ne faisait plus partie du groupe. C’était il y deux ans, nous ne nous sommes jamais reparlé. Depuis, nous avons recruté un autre Steven (Forrest) à la batterie, sa jeunesse, sa fringale, son optimisme de jeune californien ont été cruciaux pour nous. Il a tatoué “open minded” sur ses phalanges, et ce n’est pas pour rire. Nous avions besoin de lui pour nous sortir de nos crises de trentenaires, pour refaire de nous des mioches.
Avez-vous changé jusqu’à vos habitudes d’enregistrement ?
Pendant l’enregistrement du nouvel album, nous nous sommes forcés à rester le plus loin possible du rock, nous n’écoutions que du classique, ou alors les Fleet Foxes et Sígur Ros. C’était important de vivre dans le vide complet, de sortir de nos habitudes, des tentations – c’est pour ça que nous avons quitté Londres pour le Canada. C’était en réaction à Meds, à son côté monochrome, claustrophobe, sans espoir – et aussi à son contexte de débauche. Je rêvais d’un album plus positif, plus coloré, en technicolor plutôt qu’en noir & blanc gros grain… Nous avons ressenti un vrai soulagement en finissant Battle Of The Sun, nous nous sommes surpris nous-mêmes, en nous débarrassant de nos inhibitions… Nous avions besoin de nous défier. Nous revenons de loin.
Etiez-vous tombés dans une routine avant Battle For The Sun ?
Depuis nos débuts, il y a quinze ans, il n’y a jamais vraiment eu de répit, une routine s’était installée : écriture, puis enregistrement d’album, puis deux ans de tournée, puis six mois de désœuvrement… Là, le fossé a été encore plus long, car nous n’avions plus envie de confier notre musique à une major-company, nous voulions tout financer et faire nous-mêmes. Du coup, l’enregistrement à Toronto de Battle For The Sun a été un vrai bonheur, sans directeur marketing dans le dos à se demander si nous avions un single en chantier… Même notre manageuse ignorait ce que nous faisions. Elle recevait des factures – enregistrement de cuivres ou de cordes – et s’inquiétait de ce qui se tramait…
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