De passage à Rouen en juin dernier pour deux dates exceptionnelles, coup d’envoi d’une grande tournée européenne, les Pixies en profitaient pour répondre à nos questions. L’occasion d’évoquer en long “Doggerel”, leur nouvel album, l’évolution des standards de la pop et de voir Black Francis se laisser aller à quelques considérations sur l’état de la création.
22 juin 2022, ville de Rouen. Dans le lobby de l’hôtel de Bourgtheroulde, des touristes américain·es s’interrogent : qui sont ces quinquagénaires que des journalistes français·es viennent interviewer ? “On est musicien·nes, on a sorti quelques disques”, minimise Black Francis. Nul n’est prophète en son pays. Les Pixies viennent tout juste d’arriver en Normandie avec, au programme, deux dates exceptionnelles dans la salle du 106, avant d’entamer une grande tournée européenne. Joey Santiago, le guitariste, et Black Francis, que tout le monde appelle Charles en coulisse (son vrai nom, Charles Thompson), répondent à nos questions, enfin, surtout Charles, Joey se contentant de quelques phrases toujours bien senties, mais très occasionnelles.
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Après avoir évoqué Doggerel, leur huitième album studio, on les suit dans le dédale des couloirs de la salle rouennaise, en bordure de Seine, où le temps semble s’écouler au ralenti. Là-bas, on apprend que Charles serait bien tenté par une escapade à Brest pour peindre, les paysages industriels de l’arsenal semblant l’inspirer plus que de raison. Après un soundcheck laborieux, et tandis que les technicien·nes s’activent, le reste de la journée aura consisté à attendre le moment de monter sur scène dans un calme presque olympien. Le show aura finalement duré presque deux heures très intenses, durant lesquelles le quatuor aura essoré sa discographie jusqu’à l’os, préférant rester économe en mots adressés au public, pour pouvoir faire rentrer au chausse-pied un morceau de plus. Les Pixies s’efforcent “d’être réglos en affaires”, nous confiera Charles. Rencontre.
Comment se sont passés les premiers concerts aux États-Unis au printemps, plus de deux ans après votre dernière date à Melbourne, en mars 2020 ?
Black Francis – Les premiers concerts se sont bien déroulés, mais, dès le deuxième show, j’ai perdu ma voix. Elle n’était pas encore bien rodée, les répétitions remontaient à un moment déjà. Je crois que je couvais quelque chose. En anglais, on appelle ça “Postnasal drip”. Ta voix peut endurer la maladie, mais avec ce genre de syndrome, elle s’éteint petit à petit.
Vous étiez donc en tournée en Australie quand le Covid a frappé. Vous êtes rentrés aux États-Unis in extremis avant la vague de confinements.
On voyait que la pandémie était en train de gagner du terrain, on a donc annulé nos dates en Chine et au Japon. On sentait qu’on ne pourrait pas jouer. A cette époque, comme tout le monde, on ne savait pas à quoi s’attendre. Après nos deux concerts à Melbourne, on est allé·es à Brisbane pour la suite de la tournée et on regardait les news en boucle. La situation avait l’air d’empirer de minute en minute. On a fini par avoir notre tour manager au téléphone, qui nous a demandé si on voulait jouer ou rentrer à la maison. On a choisi de rentrer. On a pris l’avion le matin suivant, et quand on a atterri aux Etats-Unis, ils étaient en train de boucler le pays et d’annuler tous les vols. Juste à temps.
“Parfois, avec des erreurs, c’est mieux”
Vous débutez votre tournée européenne à Rouen, avec deux concerts. Pourquoi ce choix ?
Pourquoi avons-nous choisi Rouen ? Bonne question. Je sais pas, c’est le job de nos agents et managers de penser à ça. Mais quand tu regardes bien, on n’a pas l’habitude de débuter nos tournées dans des endroits incontournables comme Paris, Londres, New York ou Tokyo. C’est une décision pratique, qui évite beaucoup de tension à tout le monde. C’est moins de pression pour nous, le promoteur et même pour le public, qui est très content de nous voir dans des salles plus petites. Ça nous permet aussi de trouver les bons réglages. On est un vrai groupe, on n’a pas de bande sonore derrière nous. C’est le son d’une formation 100% garage que tu retrouves sur scène.
Cette façon d’être sans filet, alors que vos tournées sont gigantesques, constitue t-elle pour vous une sorte de prise de risque ?
Les standards de la pop aujourd’hui t’imposent une certaine idée de la perfection. Le métronome est partout. Je ne dis pas qu’on n’utilise pas de métronome quand on enregistre un disque, mais on ne le fait pas de manière systématique. La façon dont on perçoit la place de la musique aujourd’hui a beaucoup évolué, on a tendance à attendre d’une performance live qu’elle soit parfaite. Je ne dis pas que le public n’est pas réceptif quand tout n’est pas parfait, il a même souvent la sensation que quand ça n’est pas le cas, c’est qu’il assiste à quelque chose de vrai, je dis juste que, de manière générale, l’époque est en quête de perfection. Tu le ressens, quand rien ne dépasse, les gens te disent : “Oh, wahou, c’est là, ça y est, on touche à la perfection, quel groupe parfait !”
La perfection a quelque chose de chiant à mourir, non ?
Oui, bien sûr que c’est chiant à mourir. Mais d’un autre côté, cette ambition est acceptable, les artistes en recherche de perfection ont le cœur à la bonne place. L’idée même de se dire, “On sait à quoi ressemble quelque chose d’imparfait, voyons comment ça sonne quand on s’approche de la perfection” me semble louable. En tendant vers cela, on obtient même parfois d’excellents résultats. Mais quand c’est trop, quand ça devient une obsession, ça ressemble surtout à quelqu’un qui n’a aucun caractère.
Avoir recours à tout une batterie d’outils qui rendraient le son des Pixies parfait vous permettrait-il de vous soulager d’une certaine pression justement, après toutes ces années à tourner ?
Je ne pense pas. Tu sais, à force d’enchaîner les dates et d’enregistrer des albums, on commence à faire la différence entre quelque chose qui sonne correctement et quelque chose qui sonne de façon incorrecte, mais qui, d’une certaine façon, a ce qu’on appelle un supplément d’âme. Je ne dis pas que les Pixies veulent faire des erreurs intentionnellement, mais il se trouve que, parfois, avec des erreurs, c’est mieux. C’est subtil, mais ça sonne mieux. C’est plus excitant. En concert, on ne fait pas de setlist, par exemple, parce que c’est pas nous, ça.
Vous fonctionnez un peu à la manière d’un Neil Young, qui choisit de jouer un morceau et c’est au groupe de suivre derrière.
Ce n’est pas aussi fou que ça non plus. On se met d’accord sur une liste de cinquante chansons, dans laquelle on piochera tout au long de la tournée. Je ne peux pas avoir 100 morceaux en tête, prêts à être lâchés en pâture. C’est beaucoup trop. En gros, on sait qu’il y a 25 titres que le public aura envie d’entendre, ce sont les mêmes chaque soir. Quoiqu’il arrive. On peut choisir d’être accommodant·e, ou moins accommodant·e. La plupart du temps, je ne vois pas l’intérêt de ne pas l’être. Il n’empêche, on pourra jouer n’importe quoi, il y aura toujours des gens pour ne pas avoir eu droit à leur morceau préféré. Certain·es n’auront pas ce qu’ils et elles veulent, c’est inévitable.
Vous avez besoin de sentir que vous tenez tête au public ?
Tu nous vois arriver sur scène et dire : “On ne va jouer que des raretés et autres morceaux non-sortis et vous allez payer 50 sacs pour ça” ? Non, ça ne peut pas marcher. On s’efforce d’être réglos en affaires. On essaye de trouver un équilibre entre la somme que l’on demande au public de payer et les attentes du public à notre endroit. Mais ce n’est pas automatique pour tout le monde. Je comprends qu’un·e musicien·ne ne soit pas commode, qu’il y ait une sorte de confrontation avec son public. Je pige ça et j’aime ça. Certain·es sont meilleur·es que d’autres à ce petit jeu. Je ne suis pas bon à ça, je pense. Pourtant, ça serait sûrement plus facile parfois.
Ce que tu viens de dire me rappelle le premier couplet de Nomatterday, morceau d’ouverture du nouvel album, quand tu chantes “You know, I know that you don’t really hate me, but I suppose that I probably irritate you”. Je trouvais que ça serait une bonne façon détournée de s’adresser aux fans.
Joey Santiago – Ça n’a probablement rien à voir, mais c’est une très bonne interprétation.
Black Francis – Les textes d’un morceau peuvent être interprétés de telle ou telle manière, c’est le cas des chansons de Neil Young, dont tu parlais tout à l’heure. Plus le spectre d’interprétation est large, mieux c’est. Je ne m’y connais pas beaucoup en poésie, mais si je ne me trompe pas, la langue française est une très vieille langue et la poésie française est prestigieuse. En français, certains mots ont quatre ou cinq sens différents. Si tu arrives à créer quelque chose qui donne des pistes d’interprétation différentes aux gens, c’est bien. Ça donne plus de vie à la chanson.
Ce que tu dis là nous ramène au titre du dernier album, Doggerel, qui, en anglais, évoque un procédé poétique de rupture dans le rythme, avec effet comique. Et qui ouvre donc à de multiples interprétations.
C’est vrai que ça sonne comme un nom d’album des Pixies. J’imagine que c’est parce que les Pixies ont enregistré cet album [rires].
Tu parlais de formation garage band, mais on ne peut pas dire que ce disque soit à ranger dans la catégorie punk rock. Il est plus orienté Americana que n’importe quel autre album des Pixies. C’est quelque chose que tu avais en tête depuis longtemps, ce genre de disque ?
Je n’avais rien en tête. J’ai juste écrit des chansons. La seule chose qui a changé, peut-être, c’est que j’avais ce pote à Nashville avec qui on prévoyait, peut-être, de faire un disque. Un jour. Pourquoi pas. C’est un homme occupé, je suis un homme occupé, on a tous les deux des enfants, mais c’est le genre de conversation que l’on a depuis longtemps, lui et moi. Bref, pendant la dernière tournée, j’ai commencé à écrire quelques chansons dans le tour bus. Il se trouve que ces chansons, écrites pour ce mec, semblaient davantage orientées country, en tout cas plus country que ce que les Pixies ont l’habitude de jouer. C’était ma version de ce que les gens de Nashville font.
Mais, tu sais, quand j’ai pris ma guitare, je ne me suis pas dit que j’allais écrire de la country ou autre chose. J’ai juste pris une guitare, histoire de voir ce qui allait se passer. Il en est sorti un truc. C’était ok pour moi, je n’allais pas aller contre. J’allais finir ces foutues chansons, certaines iraient à Nashville, pour cet ami, et les autres pour les Pixies. Puis, quand j’ai commencé à les jouer à Tom Dalgety, notre producteur, il a tout de suite été attiré par les titres plus country. Faire le tri n’avait alors plus de sens, le tracklisting s’est monté en fonction de ce que le producteur et le groupe aimaient entendre et voulaient jouer. Je ne me suis soucié de rien et c’était agréable de fonctionner comme ça. Je n’ai pas analysé ce disque, peut-être qu’il tranche avec le reste de notre discographie, je ne sais pas. Pour tout dire, je n’ai même pas choisi les morceaux sur ce disque. J’ai dit au producteur : “Voici quelques démos, choisis ce que tu veux”. D’ailleurs, Tom n’est pas du genre à faire des disques de country, il aime les choses plus agressives. Il n’y avait pas de plan. Ou alors si, le même plan que d’habitude : “Allo, il est de temps de rentrer en studio pour enregistrer un nouvel album”.
C’est toi qui appelles tout le monde pour rentrer en studio ?
Quoi ? Non ! On n’a même pas besoin de s’appeler. C’est notre manager, Richard, qui appelle : “Les gars, vous voulez travailler ?” Et nous : “Ok, on est bon, on arrive. On se voit dimanche”. On n’est pas du genre à se réunir pour discuter des heures. De quoi tu veux parler ? Il n’y a rien à discuter. Guitare, basse, batterie, micro, chansons, studio. C’est tout ce qui compte.
Et ça marche à tous les coups ?
La seule règle, c’est de savoir si ce qu’on fait est chiant ou excitant. On essaye de faire en sorte que ce soit excitant.
C’est si simple ? Il n’y a pas d’autres règles, d’autres contraintes au moment d’entrer en studio ?
Il n’y a rien de plus facile. On aime la musique. On comprend ce qu’on fait, mais c’est pas comme si on avait un nombre incalculable de règles, non. Ou du moins, on n’a pas des règles conscientes. Mais il y a forcément des règles inconscientes, en effet. Je n’ai pas envie d’être déplaisant, mais la bassiste qui a remplacé Kim Deal après son départ en 2013 (Kim Shattuck, décédée en 2019, ndlr), n’avait pas assimilé nos règles. C’était quelqu’un de bien, je l’appréciais, mais quand on est parti·es en tournée, on a tout de suite senti que ça ne marcherait pas. C’est là qu’on a réalisé nous-mêmes qu’on avait des règles. On n’a pas de cahier des charges qui dit “ça c’est ok et ça non”, mais elle franchissait une ligne. Elle n’était pas comme nous et, elle, comme nous, on ne comprenait pas pourquoi. La première fois qu’on a travaillé avec Tom (au moment de l’enregistrement de l’album Head Carrier, en 2016, ndlr), il a voulu qu’on essaye d’enregistrer séparément. On n’a rien questionné et on a foncé. Mais quelque chose ne tournait pas rond. On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas fonctionner comme ça : il fallait que l’on soit quatre dans la pièce pour que ça marche. C’est la règle. On ne sait jamais qu’on a une règle, jusqu’à ce qu’on enfreigne la règle.
Paz Lenchantin, la nouvelle bassiste des Pixies, s’intègre bien, elle ? Elle a même chanté sur l’album précédent, même si on ne l’entend pas sur celui-ci.
Dès qu’elle est arrivée, on a compris que ça marchait. Je ne sais pas pourquoi, mais sur celui-ci, elle ne chante pas. On a déjà commencé à travailler sur un prochain album et elle a déjà enregistré deux chansons. Donc on ne sait jamais. Les choses se font naturellement.
Il paraît que vous aviez beaucoup plus de démos pour ce disque que pour n’importe quel autre disque des Pixies. C’est parce que tu avais plus de temps devant toi durant la pandémie ?
Non, pas vraiment. Les sessions ont eu lieu en janvier et février de cette année et elles étaient bookées depuis septembre dernier. On avait peut-être quelques chansons bien entamées, mais on ne peut pas dire qu’il y en avait beaucoup. Pendant longtemps, je n’étais pas très motivé à l’idée de reprendre ma guitare. Je me disais que j’avais le temps. À l’approche de Noël, tout le monde était un peu nerveux et puis j’ai fini par monter dans mon atelier, au troisième étage. J’ai dit à mes gosses : “Je vais être occupé les trois prochaines semaines, vous êtes grands, nourrissez-vous tout seuls et laissez-moi tranquille”. Je n’avais plus beaucoup de temps devant moi, mais je m’y suis mis à fond. J’ai commencé à enregistrer des démos, d’ailleurs tout doit être encore là-dedans (il me montre son téléphone, ndlr). Je bossais la nuit jusqu’à ce que le soleil se lève. Je ne dormais pas. J’écrivais, comme un maniaque. Je ne savais pas si tout tenait la route, mais j’avais énormément de matériel à la fin.
C’était important pour toi d’être seul pour trouver l’inspiration et te mettre au travail ?
Je n’ai pas besoin d’inspiration, j’ai besoin de temps. Il te faut du temps pour qu’une idée arrive et te reste coincée dans la tête. Je ne parle pas beaucoup avec les gens quand j’écris, et quand les gens essayent de faire la conversation, je suis distrait. Ça ne sert à rien de jouer beaucoup, il faut jouer un peu, mais que quelque chose finisse par tourner en boucle dans ta tête.
La littérature, Richard Brautigan, que tu aimes particulièrement, la peinture, la musique des autres, ce n’est jamais une source d’inspiration ?
Non, rien de tout cela. Du moins, pas consciemment, encore une fois. Le truc qui m’inspire vraiment, c’est le coup de fil de mon manager pour me dire : “Le 20 janvier prochain, rendez-vous en studio”. C’est le détonateur. C’est pas que je m’en fous, c’est juste qu’il me faut une deadline. Il me faut une raison. Être inspiré n’est pas une bonne raison pour moi.
“Le but, c’est de produire un disque qui n’est pas chiant.”
A quelle vitesse vont les choses, une fois en studio ?
Je dirais deux semaines. On a fait plus long. Plus court, c’est pas assez et plus de trois semaines tu deviens fou. Je te parle de la mise en boîte des chansons. Le mixage, c’est autre chose, mais de toute façon, on n’est pas présent·es pour ça, on fait confiance au type qui en a la charge. Si on ne lui faisait pas confiance, on ne l’embaucherait pas. Il peut il y avoir des ajustements, à la toute fin du processus, mais c’est vraiment à la marge. Tu ne peux pas mettre cinq personnes autour de la table, tu n’avancerais pas. Avec un gars, tu vas plus vite, plus loin. C’est un truc qu’on apprend avec l’expérience. En gros, on peut faire un album en un mois.
Tu n’as jamais réfléchi à l’idée de produire un album seul ?
Si, bien sûr, je l’ai fait dans le passé. C’est fun, mais c’est beaucoup de travail. Tu perds beaucoup de vision. Tu te retrouves comme un rat dans son trou, tu peux devenir fou. C’est important que le producteur soit peu en dehors du groupe. Et, surtout, c’est important d’apprécier les personnes avec qui tu bosses. Il faut que l’on puisse dîner ensemble.
Le dîner, c’est le moment où tu sais que ça va marcher avec quelqu’un ?
La première fois qu’on rencontre quelqu’un pour les affaires, on dîne ensemble. Je me rappelle que, quand Tom est venu dîner, on s’est tapé sur l’épaule au bout de cinq minutes et on s’est dit que c’était la personne qu’il nous fallait. On n’a même pas eu besoin d’écouter son travail. C’est un truc que les musicien·nes comprennent et qui peut surprendre en dehors de certains cercles. Le but, c’est de produire un disque qui n’est pas chiant. Tu ne peux donc pas travailler avec quelqu’un avec qui tu ne pourrais pas sortir dîner.
Joey Santiago – Je crois que Prince a dit, un jour, que si tu ne prends pas ton pied en studio, c’est que tu fais mal les choses.
Prince aurait sûrement brisé quelques règles dans la machinerie Pixies. Vous n’avez jamais travaillé avec lui ?
Black Francis – Jamais, non. Mais ça aurait sans doute fait un bon disque.
Vous avez documenté la confection de cet album dans un documentaire vidéo. C’est important pour vous d’avoir ce genre d’archive ?
C’est la façon moderne de communiquer. Ma théorie, c’est que, comme c’est souvent le cas dans l’immobilier, il y a eu une bulle dans le business de la musique. Les gens ne vendent plus de disques autant qu’ils en vendaient par le passé. Je me rappelle une époque où, quand tu vendais 200 000 albums, c’était un échec pour les maison des disques. Jamais on ne vendrait autant de disques aujourd’hui. Si on vendait 200 000 disques aujourd’hui, je peux te dire qu’on serait en Une de tous les magazines ! Culturellement, la musique n’a plus autant d’importance, les gens ont d’autres façons de prendre leur pied, ils suivent des trucs virtuels. Tous les accès aux choses sont ouverts aujourd’hui. Il y a une demande des maisons de disques, du public, des journalistes, une sorte de soif de “contenus”. Plus d’images, plus de vidéos. N’importe quoi qui pourrait attirer le regard. Mais si tu veux vraiment comprendre tout le processus, je veux dire, dans sa chair, il faudrait que tu sois impliqué dans le processus au-delà de ce qu’on t’autorise à voir ou non. Quand le journaliste nous suit en studio, il y a toujours le producteur qui est là pour le foutre dehors à un moment ou un autre. Tu ne peux pas tout capter, tout comprendre.
Tu penses que les gens n’ont plus envie de lire une interview de dix pages des Pixies ?
Dix mots, peut-être.
Beaucoup de kids aujourd’hui s’intéresse aux nineties et citent les Pixies. Ils pourraient avoir envie d’en savoir plus.
Joey Santiago – Quel âge ont ces gosses ? Je ne comprends pas pourquoi ils et elles s’intéressent à cette période. Mais d’un côté, j’étais fasciné par les années 1950. Peut-être qu’ils et elles fantasment une période et veulent y revenir alors qu’ils et elles ne l’ont jamais connue.
Vous vous voyez comme des survivant·es des années 90 ? Plusieurs artistes qui ont été vos contemporain·es m’ont confié que c’était une période psychologiquement difficile pour les musicien·es.
Je sais pas si les années 1990 ont été plus dures avec nous que les années 1950 l’ont été avec Bo Diddley, pour être honnête : “Tu ne peux pas rentrer dans ce restaurant parce que tu es noir, tu ne dormiras pas dans cet hôtel non plus et, par-dessus le marché, tu renonceras à tes royalties pour qu’un type blanc se gave sur ton dos”. Non, désolé, je n’ai pas à me plaindre.
Propos recueillis par François Moreau
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