Bouillonnant et inventif, enragé et bordélique, Pioneer soundtracks, premier album des Anglo- Gallois de Jack, ressemble furieusement à son maître d’œuvre, Anthony J. F. Reynolds. Jeune homme frustré et pressé, robinet à mots choisis et tranchants impossible à fermer. Je n’avais qu’un but en créant ce groupe : échapper à ma vie, à Cardiff. Je […]
Bouillonnant et inventif, enragé et bordélique, Pioneer soundtracks, premier album des Anglo- Gallois de Jack, ressemble furieusement à son maître d’œuvre, Anthony J. F. Reynolds. Jeune homme frustré et pressé, robinet à mots choisis et tranchants impossible à fermer.
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Je n’avais qu’un but en créant ce groupe : échapper à ma vie, à Cardiff. Je pourrissais dans la région où j’ai grandi, au pays de Galles, une région très ouvrière où il n’y avait aucune place pour la sensibilité. J’avais essayé de rentrer dans le rang, en travaillant à la poste ou dans une usine, mais je revenais systématiquement à la musique. Ce n’était pas seulement une question d’ego : pour ça, je n’avais qu’à me taper toutes les filles qui passaient. C’était plus grave : une façon unique de donner un peu de sens à ma vie, qui partait à vau-l’eau depuis des années. A 16 ans, je me suis fait virer de chez mes parents. Ils étaient un peu dérangés, ma mère était alcoolique… J’avais l’impression de gêner, de ne pas être leur fils. Mon père était grutier et tout le monde s’attendait à ce que moi aussi je finisse par bosser sur les chantiers.
A 17 ans, j’ai eu la révélation : à 20 ans, je serai célèbre. Avec mes copains, nous nous sommes donc préparés à cette éventualité. Nous avons complètement arrêté de bosser à l’école, attendant patiemment notre heure.
Et il ne s’est rien passé. Ça m’a vraiment secoué. J’avais l’impression d’être au volant d’une voiture, d’avoir pris le mauvais chemin mais de m’entêter malgré tout à conduire tout droit, à fond. Tout le monde se foutait de ma gueule. Quand une de mes copines m’invitait chez ses parents, on m’humiliait : « Alors, fiston, tu veux chanter ? » Heureusement, mon ego était là pour remonter le moral de mon amour-propre.
A 5 ans, j’ai commencé à remettre en question toute forme d’autorité. C’est pour ça que je m’entendais si mal avec mon père, car il ne pouvait rien m’apprendre sur moi-même. Je ne me suis jamais senti meilleur que les autres, mais toujours différent. Pour tout le monde, je n’étais qu’une gigantesque déception. A l’école, mes profs étaient tristes que je sois si paresseux. Je tirais une satisfaction perverse de les voir déçus. A l’époque, je m’identifiais avec des gens comme Cocteau, Oscar Wilde, David Sylvian ou Bowie. Même si je ne me sentais pas particulièrement proche de leur travail, loin de leur talent, j’y voyais des similitudes dans la sensibilité. Comme moi, ils n’auraient pas tenu très longtemps à Cardiff. Je m’en suis sorti grâce à eux.
Je suis né homme, mais ce n’est pas de ma faute. Grâce à Bowie ou Bolan, j’ai compris que personne ne m’obligeait, en tant qu’homme, à me comporter comme une brute épaisse, un macho. Ils m’ont appris à ne pas refuser ma féminité, ma sensibilité. Je voulais avoir le droit de me comporter comme une tante si j’en avais envie, tout en étant assez masculin pour me défendre le cas échéant. Porter une robe et foutre des coups de boule. Ce n’était pas de la provocation : je me cherchais, c’est tout. J’ai reçu une éducation catholique, où le sexe était réservé à une fonction très précise : faire des gosses. J’avais envie d’expérimenter un peu. C’est si malsain pour un gamin de 16 ans de se retrouver chez les frères à l’école, sans une femme à l’horizon. En sortant, j’avais peur d’elles. En plus, elles n’arrêtaient pas de se moquer de moi, j’étais moche comme un pou. Et à 19 ans, je suis venu à Paris en vacances avec deux copains et on a passé notre temps à écouter la compilation Boychild de Scott Walker. Je ne sais pas si ça a un rapport mais en rentrant en Angleterre, comme par miracle, toutes les femmes me couraient après.
Je suis un enfant du Summer Of Love… Ma mère écoutait de la musique en permanence à la maison. Surtout du Motown, Scott Walker et les Walker Brothers. A 4 ans, je connaissais tous ses disques et logiquement j’ai commencé à former des groupes vers 13 ans. Ça n’a jamais été pour m’amuser, c’était déjà crucial, ma vie était en jeu. Je lisais religieusement la presse musicale, ça me reliait au monde extérieur. Entre 15 et 23 ans date à laquelle Jack a finalement empoché son contrat , je suis passé par des phases de frustration épouvantables. J’étais de plus en plus obsédé par ma musique, je regardais sans arrêt l’âge auquel mes musiciens favoris avaient commencé à enregistrer et je m’en éloignais petit à petit. Mais d’un autre côté, je me disais que Miller avait publié Tropique du Cancer à 33 ans, que Leonard Cohen n’avait pas sorti un disque avant un âge avancé. C’était mes bouées de secours, une façon de me cacher que j’étais très triste. J’ai beaucoup donné, beaucoup sacrifié pour en être là. C’est dur de s’apercevoir que tout le monde se fiche de Jack, que j’ai consacré des années de ma vie à un groupe qui n’empêchera pas la terre de tourner. Mais à chaque fois que je rencontrais un adulte, je sentais un vide dans sa vie : Untel aurait aimé écrire des chansons, Untel publier un livre, Untel apprendre à peindre. Moi, je voulais profiter de la jeunesse pour tenter le coup, à 100 %. Je trouvais tragique ce gâchis de talent, ce massacre des aspirations. Ça a bousillé ma mère : elle rêvait de suivre des cours d’art, mais ses parents l’ont forcée à devenir secrétaire.
Le jour où j’ai commencé à porter des lunettes, j’ai été sacrément handicapé. Jusque-là, j’étais bon au rugby mais soudain, plus question de jouer. Je me suis retrouvé avec les parias, les délaissés petit à petit, mes copains d’école m’ont quitté pour devenir médecin ou avocat. Je préférais encore être seul plutôt que jouer un rôle, me forcer à m’intégrer dans telle ou telle bande. Moi, je cherchais un partenaire pour la musique, quelqu’un de très différent de moi : c’est là que j’ai rencontré Matthew A. Scott (guitare). J’étais plutôt romantique, nostalgique, et lui possédait ce qui me manquait : un côté abrasif, un amour des guitares sales. Moi, j’aime les chansons douces du Velvet ; lui, son truc, c’est White light/white heat. On ne s’entend pas très bien, mais on est complémentaires. Je le trouve incroyablement talentueux. Après notre rencontre, on est partis chercher l’aventure à Londres. A Cardiff, on faisait, chacun de son côté, du surplace depuis huit ans, à attendre qu’on vienne nous chercher. Et là, en quelques semaines, tout s’est concrétisé : on a signé un contrat et même trouvé quelques groupes comme Divine Comedy ou les Tindersticks partageant avec nous des influences communes.
En débarquant à Londres, j’avais l’impression d’être ivre en permanence. Soûlé par la foule, les néons, la trépidation… J’étais intoxiqué, c’était magnifique. Je n’en revenais pas, après avoir grandi dans un bled, qu’il puisse se passer autant de choses, qu’il puisse se tramer autant de vies dans aussi peu d’espace. Curieusement, la fascination ne s’est jamais émoussée. J’aime m’y perdre, m’y laisser couler, n’y connaître personne, que personne ne m’y reconnaisse alors qu’à Cardiff, l’anonymat était impossible. Je passais ma vie à changer de trottoir. A Cardiff, chaque quartier, chaque rue était associé à mon enfance : ma première bagarre, mon premier flirt… Impossible de regarder devant quand tout me retenait en arrière. Pour me trouver, il fallait en fait que je me perde.
Au début, je suis tombé dans tous les excès : drogue, sexe, alcool… Ivre, j’arrivais enfin à communiquer facilement avec les gens ; boire est alors devenu comme un ami. Aujourd’hui, on se voit moins avec cet ami : une ou deux fois par semaine seulement. Mais quand on se retrouve, c’est la fête. Les drogues, par contre, j’ai presque arrêté en débarquant à Londres : à quoi bon, je n’avais plus besoin de m’évader de mon quotidien. Là-bas, il n’y avait qu’à sortir de la ville pour récolter des champignons hallucinogènes. Tout le monde en bouffait, c’était une échappatoire moins nocive que la bière.
On pourrait être mille en studio, je serais encore le chef d’orchestre, celui qui canalise les idées. Matthew et moi savons exactement ce à quoi doivent ressembler nos chansons. Il faut être un peu dictateur. Si je ne l’étais pas, avec le nombre de musiciens qu’il y a dans ce groupe, ce serait l’anarchie. C’est pour cette raison que nous avons choisi un producteur comme Peter Walsh : il ignore tout de l’ego. Et puis, il venait de produire Tilt, de Scott Walker, qui m’avait impressionné. Il nous a raconté que le matin, Scott Walker arrivait au studio et disait aux musiciens « Je veux que la chanson ressemble à ça ! » Et il leur dessinait un triangle. Parfois, il sortait de ses poches du gravier et disait au guitariste « Voilà de quoi ton solo doit avoir l’air. » Ça correspondait assez bien à ma façon de voir la musique. Beaucoup de producteurs auraient rigolé si j’avais demandé un son « planche qui rebondit contre le mur ». Mais Peter Walsh comprend ce langage. Il est capable de produire des sons crasseux ou luxuriants, ce qui est très rare et nécessaire pour Jack. Il m’a aidé à formuler ce qui traînait dans mon cerveau depuis des années. On me laissait enfin enregistrer mes chansons : j’en pleurais de bonheur.
J’ai réglé beaucoup de mes problèmes en écrivant. La question est de savoir si j’écrirai encore quand tout ira bien… La plupart des chansons de l’album sont écrites directement à l’intention d’une personne à laquelle j’étais incapable de parler. Je lui ai envoyé le disque à Cardiff, mort d’angoisse, m’attendant à ce qu’elle me rappelle en larmes. Et tout ce qu’elle a trouvé à me dire, c’est « Ouais, c’est pas mal, ton truc ! Quoi ???? Pas mal ? Mais c’est toute ma vie, ce disque ! » Sa mère est tombée sur l’album et elle, elle a parfaitement compris. Elle m’a envoyé une longue lettre pour m’expliquer à quel point elle avait été touchée par mes chansons.
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