Une exploration plantureuse et onéreuse de l’avant-The Dark Side of the Moon. Des fulgurances de Syd Barrett aux exubérances des années 1970, l’évolution pas à pas d’un groupe qui aura fait du rock un art total.
Septembre 1962. Trois étudiants de l’école d’architecture de Regent Street, à Londres, se piquent d’entrer à leur tour dans la ronde pop qui commence à se former dans la capitale anglaise. Roger Waters, Nick Mason et Richard Wright seront rejoints quelques saisons plus tard, au cours de l’été 1964, par un ami de Waters, Roger “Syd” Barrett, débarqué lui aussi de Cambridge pour étudier dans l’école d’art de Camberwell.
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En 1972, soit dix ans après les premiers germes de Pink Floyd, les trois architectes ont bâti l’une des plus impressionnantes cathédrales de la pop music et s’apprêtent à embarquer pour un voyage du côté sombre de la Lune (The Dark Side of the Moon) qui fera d’eux des démiurges d’un certain rock pyrotechnique et, accessoirement, des milliardaires.
Syd Barrett, Icare de la génération LSD, aura dans l’intervalle grillé ses ailes et ses fusibles, ne laissant à la postérité floydienne qu’une poignée de singles prodigieux et un premier album impérial, The Piper at the Gates of Dawn, avant de retourner en position fœtale et fatale chez sa mère, remplacé dans le groupe par le plus sage David Gilmour.
https://www.youtube.com/watch?v=Bus-_3qgyrc
27 CD et 14 heures de vidéo
C’est cette irrésistible ascension et son dramatique dommage collatéral
que le coffret The Early Years s’emploie à documenter de manière méthodique, à travers un festin (12 heures d’archives audio et plus de 14 heures de vidéos, réparties sur 27 disques CD/DVD/Blu-ray), dont même les collectionneurs les plus affamés en floyderies ne connaissaient pas tous les plats.
L’objet, une énorme boîte noire barrée d’une bande blanche qui rappelle
le premier tour bus du groupe, renferme sept coffrets chapitrés par périodes, cinq 45t réplicas des années Barrett, un nombre incalculable de reproductions d’affiches, de programmes, de tickets de concerts et de flyers ; son inconvénient majeur étant qu’il coûte pas loin de la moitié d’un Smic (450 €). Ceux qui vendront un rein pour l’acquérir en auront
toutefois pour leur argent et devront prévoir largement plus qu’une convalescence postopératoire pour en faire le tour.
Un nombre impressionnant d’inédits
Côté audio, hormis une version remasterisée de Obscured by Clouds (la musique du film La Vallée), aucun des sept albums parus dans la période n’y figure, au bénéfice de versions de travail et de sessions radio ou enregistrements live qui en prolongent ou redéfinissent les perspectives. Aucun groupe n’aura autant que Pink Floyd conçu sa musique comme un corps organique en mouvement, en composition et décomposition permanente, l’humain projeté face à l’inconnu – l’espace, le cosmos intérieur, les affres névrotiques, la nature, les visions lysergiques – étant chez Waters un sujet unique et obsessionnel.
L’une des raretés précieuses du coffret (sur le volume 3) est l’intégralité
du projet The Man & The Journey, concert de soixante-seize minutes bâti autour des activités humaines pendant vingt-quatre heures, dont certaines parties figureront sur la BO de More et sur Ummagumma, mais dont l’essentiel était resté inédit jusqu’ici. Idem pour les séances dédiées au film Speak, du cinéaste expérimental John Latham (sur le volume 1), passionnante exploration de quarante minutes autour du thème initial de Interstellar Overdrive. Les obstinés du mythe Syd Barrett seront ravis de retrouver aussi les premiers enregistrements de 1965 d’un groupe encore en chantier qui donne dans le garage-blues en compagnie d’un guitariste, Rado Klose, ensuite disparu des radars.
Une avalanche d’images folles
Plus mythiques encore, les titres Vegetable Man ou In the Beechwoods, qui n’avaient jusqu’ici circulé qu’en pirates crapoteux, bénéficient enfin d’une restauration officielle, tout comme un concert à Stockholm en 1967 inespérément exhumé. Quant à l’intégralité de la BO de Zabriskie Point (sur le volume 4), moment de grâce d’un groupe en transit vers ses conquêtes des années 1970, on se demande comment elle aura pu demeurer aussi longtemps dans les cartons.
Mais toutes ces découvertes ne sont rien encore comparé à la partie vidéo qui démarre par un petit scopitone de Chapter 24, en 1966, où un Syd Barrett encore frais et juvénile escalade une colline, avec des images du groupe prises dans les rues de Londres. Ensuite, c’est une véritable avalanche d’images folles prises à l’UFO Club, berceau du son floydien, où les spectateurs ostensiblement défoncés mais heureux répondent à distance à l’incompréhension d’un vieux présentateur à moustache de la télé noir et blanc, qui interviewe le groupe en avouant son désarroi. Les révolutions en cours – sonore, visuelle, morale ou sexuelle – trouvent aisément leur bande-son idéale parmi ces longues plages dilatées, ces fulgurances pourpres, ce mélange unique de primitivisme blues et d’expérimentations électro-acoustiques.
Souvent filmé dans des environnements futuristes (l’Atomium de Bruxelles en 1968) ou des décors télé qui rivalisent d’effets psychédéliques, Pink Floyd est le premier groupe à avoir rendue sexy et télégénique une science musicale parfois ardue qui restait autrement confinée dans les laboratoires de recherche. Les images des télévisions du monde entier, notamment en France pour Pop 2 ou Bouton rouge, comme les extraits des JT et autres performances extravagantes (les ballets de Roland Petit sur Set the Controls for the Heart of the Sun) contribuent en outre à nous faire accepter ce qui agit chez d’autres comme un repoussoir ultime : la prétention, le sérieux, l’emphase, ces antithèses du rock’n’roll que
Pink Floyd aura su pourtant élever au rang de grand art.
coffret The Early Years 1967-1972 (coffret 27 CD/DVD/Blu-ray). Existe également une compilation 2 CD des meilleurs extraits du coffret (Warner)
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