Depuis dix ans, Pierre Joseph s’amuse à nous amuser. Aujourd’hui, il affiche sa volonté d’apprendre : tout et n’importe quoi, du base-ball au surf en passant par le japonais.
L’été dernier, la Villa Arson accueillait une oeuvre d’abord énigmatique : un studio télé avec, au mur, un fond bleu comme pour la météo. Mais une fois entré sur le plateau, le spectateur se retrouve soudainement téléporté dans les images fluorisées de Tron, le premier film construit sur le mode des jeux vidéo, et peut se regarder dans les moniteurs en train de participer à l’action du film. Interactivité ludique : ce double principe, l’artiste Pierre Joseph l’explore depuis 1988, c’est-à-dire à une époque où le milieu de l’art parisien s’enflammait pour les croûtes de Combas et les assiettes de Di Rosa. « Quand je suis entré au Magasin, l’école d’art de Grenoble, l’art pour moi, c’était Picasso et les impressionnistes. Mais la rupture a été soudaine : avec des professeurs allumés comme Ange Leccia ou Jean-Luc Vilmouth, avec d’autres élèves comme Dominique Gonzalez-Foerster ou Philippe Parreno, on s’est lancés dans une course à la nouveauté, on a ressenti la nécessité d’aller puiser nos références dans une culture très actuelle, de voir l’art comme quelque chose d’amusant et de léger. On montrait nos travaux dans des conditions farfelues qui se moquaient du ghetto de l’art. L’expo « Siberia » par exemple avait lieu dans un caisson de marine peint en blanc et installé à l’entrée du Magasin, c’était une parodie du white cube, des galeries aux murs blancs, sans rien de convivial. Puis en 1991, on a monté à Nice les Ateliers du Paradise : on vivait dans la galerie avec les oeuvres autour de nous comme éléments de mobilier. Ce n’était pas de l’art à contempler, mais plutôt à vivre, des oeuvres avec lesquelles on pouvait jouer. »
A partir de 1992, Pierre Joseph fait un nouvel éclat avec ses fameux « personnages à réactiver » : pour ses expositions, il engage des gens qu’il habille en tenue de Catwoman, de surfer, de Blanche-Neige. En se promenant dans les couloirs du musée, on rencontre un Robin des Bois vivant mais fatigué, un Superman déprimé, voire Ayrton Senna mort, allongé sur le dos et les bras en croix, avec à ses côtés une petite voiture rouge télécommandée. Autant le dire : Pierre Joseph n’est pas seulement l’un des meilleurs et des plus innovants artistes de la jeune génération. Né en 1965 à Caen, il est aussi à lui tout seul un point de départ de la nouvelle création contemporaine. Rien que ça.
Raison de plus donc pour le suivre dans ses nouvelles aventures. Mais voilà : les jeux, la technologie et l’esprit fun, c’est bien fini tout ça. « Maintenant, tout le monde se dit interactif, c’est devenu la tarte à la crème de l’art contemporain. » A peine installé dans le paysage, Pierre Joseph va voir ailleurs, arpente d’autres terres ça tombe bien, il revient justement du Japon : « Là-bas, j’étais un peu perdu et j’ai voulu apprendre des choses, expérimenter des domaines pour moi inconnus, mais évidents aux yeux des Japonais. Je me suis initié à la lecture du japonais, j’ai appris à jouer au base-ball, véritable sport national là-bas. Et puis une fois revenu à Nice, j’ai commencé à faire du snowboard. » Des vidéos, des photos, un plan de la ville de Moriya dessiné à partir de ses propres balades en vélo… les travaux exposés à la galerie Air de Paris sont la traduction de ces apprentissages pitoyables et drôles mais où s’invente, mine de rien, un autre rapport au monde : non seulement il s’agit pour Pierre Joseph d’afficher et de transmettre ses lacunes et ses manques, là où d’autres artistes étalent leur savoir-faire. Mais il est plus encore question de faire l’expérience des choses : « Je veux tout simplement essayer le monde dans toutes ses directions. » Faire l’examen de son propre savoir, avec le risque évident que le spectateur en sache plus que l’artiste. Mais aussi se mesurer au monde jusqu’à en perdre haleine. Pas un cours magistral donc, plutôt une leçon de vie.
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