Pionnier de la musique électroacoustique, le compositeur de Messe pour le temps présent est décédé le 5 juillet, à 89 ans. Retour sur une vie de chercheur.
Il n’est pas sûr que la vente des disques de Pierre Henry, hormis peut-être cette Messe pour le temps présent qu’il appelait non sans ironie son “boléro” en référence au “tube” de Ravel, progresse vertigineusement ces jours prochains suite à son décès le 5 juillet à l’âge de 89 ans.
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Pas de phénomène marchand posthume à la Bowie pour ce grand explorateur sonique. Pas de rassemblement devant quelques lieux symboliques avec portraits, fleurs et bougies. Pourtant, Pierre Henry doit être considéré comme la seule vraie star de la musique contemporaine.
Un statut qu’ont achevé de lui octroyer ses nombreuses incursions dans le monde du rock, de l’electro, ses concerts dans des salles telles que l’Olympia ou la Cigale, peu habituées aux performances avant-gardistes, où il trônait derrière ses machines comme un DJ patriarche assumant, sans racolage jeuniste aucun, ce rôle de précurseur du remix qu’il était réellement.
Un génie dissident au sens inné de l’événement
Son sens inné de l’événement – par exemple la série de concerts donnée chez lui, dans cette fameuse maison de Facteur Cheval du son qu’il occupait près du métro Picpus – lui aura en outre garanti un supplément d’affection de la part d’un public qui n’éprouvait aucun mal à se renouveler, auquel il n’était nul besoin d’expliquer que ce papy un peu hirsute, aux lunettes de Geppetto, aux yeux formidablement malicieux, à la voix si distinguée qu’elle en devenait sensuelle, produisant ce langage d’une rare élégance, techniquement précis, était l’un des leurs. L’un des nôtres.
En sa présence, on se sentait directement en lien avec ce génie dissident français du siècle passé, celui d’Erik Satie, Raymond Roussel ou des surréalistes. On lui devinait l’envie de faire remonter jusqu’à nous ce formidable élan d’inventivité qui avait alors traversé le pays.
A la différence d’un Pierre Boulez, qui n’a jamais caché un certain mépris pour les musiques non-écrites, Henry s’enticha aisément de jazz, de rock, d’electro. Tout en restant lucide et critique sur les carences imaginatives et le conformisme ambiant d’une production musicale passée dans l’ère hyperindustrielle.
Un “primitif” de la musique électroacoustique
En 1970, Ceremony, album réalisé en collaboration avec le groupe anglais Spooky Tooth avait quelque chose d’un peu forcé. Dans les années 1990, les remixes electro de sa Messe pour le temps présent lui ouvrirent en revanche de nouvelles perspectives.
Comment s’étonner que St Germain, Château Flight ou Coldcut soient venus à l’époque butiner comme des abeilles ses jerks électroniques et ses psychés rock ? N’était-il pas à l’origine de la synthèse entre musique concrète et musique électronique, l’un des premiers dans les années 1950 à faire usage de techniques révolutionnaires, dont le sampling, qui allait tout changer ?
Ses premières œuvres comptent parmi les classiques de la musique concrète. Ses partitions pour les ballets de Maurice Béjart (La Reine verte, Le Voyage…) sont les “primitifs” de la musique électroacoustique. Sa rencontre avec le grand public viendra en 1967, avec cette fameuse Messe pour le temps présent, encore pour Béjart, à laquelle Michel Colombier apportera cette touche pop faisant toujours date. Pierre Henry ne boudera pas ce soudain succès populaire, se délectera même des retombées financières de ses différentes utilisations, notamment pour la pub.
Un pionnier passé par Le Groupe de recherches musicales
Mais à l’immense différence d’un Jean-Michel Jarre, autre pionnier passé par Le Groupe de recherches musicales de Pierre Schaeffer auquel Henry avait appartenu, il ne versera jamais dans la trivialité d’une muzak pour grande surface.
Peut-être parce qu’au fond, un peu à la manière d’un Nikola Tesla, il a voulu rester toute sa vie un chercheur au sens le plus technicien du terme. Or chez lui, le technicien savait toujours se hisser au niveau du musicien et le musicien au niveau du poète.
Au début du film Pierre Henry ou l’art des sons (Arte) que lui ont consacré Frank Mallet et Eric Darmon en 2007, on le voit tel un chasseur de papillons tendre une perche surmontée d’un micro à la recherche de ce qu’il avait coutume d’appeler le “son inouï”, auquel il a voué sa vie entière.
Des révélations auditives quasi mystique
Entendre ce vieux monsieur demander à son assistante, qui le suit pas à pas dans sa battue : “Mets donc le micro un peu plus fort, je perçois quelque chose de mystérieux…”, procure un délicieux réconfort, nous rassure sur la capacité qu’ont certains humains à savoir préserver en eux, même sur le tard, un peu de l’enfant.
Dans une longue interview qu’il nous avait accordée en 1997 dans cette maison improbable du quartier Picpus où livres, bandes magnétiques, consoles et tableaux réalisés à partir d’éléments électroniques occupaient tout l’espace d’étages auxquels on accédait par un escalier étroit, il nous parla de son enfance en région parisienne, du grand jardin, de la rivière qui coulait en contrebas et de la révélation auditive, quasi mystique, que cet environnement avait provoquée.
Cette religion du son, il la pratiqua avec une rigueur monacale dont atteste son immense œuvre enregistrée. Mais aussi avec ce grain de folie qui rendait sa quête aussi passionnante que follement amusante. L’entendre dire qu’enregistrer le remplissage d’une auge à cochons lui procurait autant d’émotion que s’il s’agissait des chutes du Niagara, restera l’un des moments les plus délicieux, et libérateurs, d’une vie d’intervieweur.
Pour ce qui concerne la suite, il nous suffit d’écouter Le Voyage, d’après Le Livre des morts tibétain pour savoir que Pierre Henry a rejoint cette immensité vibrante qu’est l’univers et qu’il est heureux.
coffret Polyphonies (12 CD), à paraître le 17 novembre (Mercury/Universal)
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