Les platinés Phoenix reviennent avec leur nouvel album, Bankrupt! : Thomas Mars nous explique tout et plus dans une interview exclusive.
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Quand tout s’est terminé après Wolfgang Amadeus Phoenix, comment vous-êtes vous sentis ? Il n’y a pas eu de sas de décompression, de période un peu mélancolique ?
Thomas Mars : Si, il y a eu un moment assez mélancolique de fin de tournée, une sorte de baby blues. Juste après le Madison Square Garden, on a eu le sentiment d’avoir réalisé quelque chose de grand, d’avoir réalisé les désirs qu’on avait quand on était ados, et avoir pu faire ça avec Daft Punk nous donnait le sentiment d’avoir accompli quelque chose de particulier. Et on sentait qu’on allait ensuite, pour la fin de la tournée, un peu redescendre. Ca nous a donné envie d’aller tout de suite en studio. On ne prend jamais de pause, on tourne à la française : deux semaines de tournée, deux semaines de pause, un truc que les Américains, un peu plus intenses, ne comprennent pas.
Après avoir atteint de tels sommets, retourner en studio était une manière de ne pas perdre la dynamique, de ne pas être gagné par la peur de ne plus y arriver ?
Il y a eu un moment où on s’est préparé à l’échec, où on a même vu une forme de beauté dans l’échec. Le titre vient peut-être de là. C’était une manière de se blinder, de se protéger, de mettre un peu de distance entre nous et le succès : à la fin du processus de Wolfgang Amadeus Phoenix, on ne parlait plus que de succès, de rien d’autre. On a voulu simplement pouvoir ne reparler que de musique. Revenir dans des rails plus normaux. Plus normaux et moins dangereux ; quand on parle de succès, on parle aussi en filigrane d’échec, il y a des notions comme celle d’artistes sacrifiés qui nous travaillaient, aller en studio tout de suite était une manière d’éviter ça. On fait de toute façon notre musique, depuis toujours, de manière un peu égoïste. Pas pour plaire au plus grand nombre. On devait retrouver cet égoïsme : si ça nous plaît à nous, ça plaira à d’autres gens. Revenir en studio est aussi venu d’une manière particulière : Adam Yauch des Beastie Boys nous a proposé de venir dans son studio, en nous disant qu’on pouvait y rester autant de temps que l’on voulait.
Vous avez d’une certaine manière voulu reconquérir votre propre liberté ?
Oui, exactement. On savait, en plus, que retourner en studio allait prendre beaucoup de temps. On voulait faire quelque chose d’intéressant. Il y a tellement d’albums qui sortent tous les jours, il y a trop d’albums ; on ne voulait pas faire partie de ce « trop », c’est embarrassant, c’est kamikaze de vouloir en faire partie. Prendre ce temps et disparaître nous a paru vital. C’est de toute façon ce qu’on a toujours fait, on a depuis le départ été un groupe de studio. C’est dû au fait qu’à Versailles il n’y avait pas de public, qu’il n’y avait même pas la tentation de jouer pour des gens, qu’il n’y avait pas de salle de concert. Les premiers plaisirs, c’était enregistrer chez nous, dans notre chambre, acheter un magnéto à bande et enregistrer dessus. Un système D qui était plus jouissif que le défoulement que tu as, ado, quand tu joues live -même si le son d’une grosse caisse amplifiée est quelque chose d’irrésistible pour n’importe quel jeune garçon.
Comment fait-on pour s’extraire de ce « trop d’albums » ?
La tournée a duré tellement longtemps qu’on a fini par oublier comment écrire une chanson. On a perdu l’alchimie qu’on a tous les quatre. On s’entoure aussi de sons, de textures, d’instruments différents à chaque album. Tout ça fait que c’est assez simple de repartir de zéro. On n’a jamais vraiment appris à jouer de nos instruments, le côté virtuose, dans la musique, ne nous attire pas, on a tendance à faire jouer le moins bon bassiste pour une partie de basse, on n’a pas de batteur, le côté amateur est plus attirant pour nous que le côté professionnel. Ca vient de notre enfance, à Pigalle, quand on allait acheter un instrument et qu’on se retrouvait entouré de guitar heroes, quelque chose qu’on a totalement rejeté. On s’est créé notre propre truc, dont on est un peu prisonnier, mais c’est aussi ce qui permet de ne pas s’enfermer dans des recettes, des automatismes, les structures des chansons finissent par se créer toutes seules. On veut court-circuiter notre cerveau, qui a toujours envie de quelque chose de familier. En général, on a l’impression d’aimer les premiers morceaux qu’on enregistre, parce qu’ils nous sont familiers ; mais quelques jours plus tard, on se rend compte qu’ils ne sont pas bons. Et des choses qui semblent n’avoir aucun intérêt peuvent deux jours plus tard se retrouver à la base d’une chanson.
Ca ne peut pas être un peu effrayant, d’avoir cette impression d’avoir tout perdu ?
Si, on espère que ça va revenir. Mais ce qui est curieux est que la créativité change, les fonctions et rôles passent d’un membre à l’autre, ça change d’un album à l’autre, l’un sera plus producteur, l’autre plutôt arrangeur ou compositeur, ce n’est jamais la même configuration. Ce n’est pas en fonction des envies, c’est naturel et aléatoire. Et c’est cette formule qu’on doit trouver à chaque nouvel album.
Et cette fois-ci, comment les choses se sont-elles dessinées ?
Il y a d’abord eu trois mois de recherche de sons. C’est surtout Deck et Laurent qui s’en sont chargés, qui ont créé cette palette. Elle nous a donné une liberté particulière : l’idée était de pouvoir jouer un morceau très classique, un blues en do, mais qu’il sonne neuf, qu’il y ait cette sensation de faire quelque chose de nouveau. Je pense au film Purple Rain : tu peux entendre quelques secondes d’un morceau, mais tu sais, tu reconnais immédiatement et sans hésitation que c’est Prince, et que c’est Purple Rain. C’est un fantasme que j’ai toujours eu : disposer d’une palette d’instruments qui te permet d’identifier instantanément quel album c’est. J’aime aussi avoir du mal à reconnaître quel instrument fait quoi, on aime nous surprendre nous-mêmes, ne pas savoir de quoi est fait l’envers du décor. Sur Wolfgang Amadeus Phoenix, je ne sais même plus qui joue quoi… On aime ne pas pouvoir totalement décortiquer un album.
Et la palette de Bankrupt!, comment la définirais-tu ?
Elle est difficile à définir comme ça, car elle est très technique. On s’est entourés soit d’instruments très très cheaps, soit d’instruments qui nous faisaient fantasmer quand on était ados. Par exemple, on a acheté la console qui a servi à faire Thriller, et qui donne une couleur hyper spécifique. J’ai aussi acheté une boîte à rythmes qui s’appelle une LM-1 et qui est la première boîte à rythme, qu’utilisait notamment Stevie Wonder, un homme à la pointe de la technique qui se faisait développer des machines pour lui seul. Cette LM-1 est peut-être l’instrument le plus identifiable sur l’album. Une madeleine de Proust, noyée dans plein de couches d’autres sons…
Soniquement, l’album est ample, complexe ?
C’est un album plus riche que les autres. Même si, à chaque fois qu’on termine un album, on a du mal à la juger. Ca se décante avec le temps.
Quelles ont été les influences, musicales ou non, de Bankrupt! ?
Chaque chanson a son propre univers. Il y a par exemple une chanson qui s’appelle Don’t, et elle a probablement été influencée par le premier vinyle que mon frère m’ait offert, en rentrant des Etats-Unis : un album de Sigue Sigue Sputnik, c’était Love Missile F1-11, et c’était plus un jouet qu’un vinyle, avec une ambiance de robots, Transformers, sur la pochette. Il y a une partie qu’on a volée aussi à Lemon Incest ; je ne sais pas pourquoi ce type d’effet n’a pas été utilisé plus souvent dans la musique. C’est un peu un collage de tout ça, que ce soit un peu nostalgique, ou une vision un peu bizarre du futur, une vision du futur à l’italienne. Il y a aussi cette nouvelle de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Blade Runner), qui m’a beaucoup marqué. C’est donc comme ça : les choses, plein de choses, se mélangent par hasard, sans qu’on décide, en groupe, de parler de ci ou de ça.
Que peux-tu me dire de l’enregistrement de Bankrupt! ?
Il y a eu trois phases. Les trois premiers mois dans le studio d’Adam Yauch, Oscilloscope ; il nous avait très généreusement dit qu’on pouvait y rester aussi longtemps que l’on voulait, mais on ne voulait pas abuser, et trois mois nous a semblé être le bon équilibre entre la politesse et la possibilité d’être fructueux. Ensuite on est allés dans un studio dans le Xème arrondissement de Paris, on y est restés un an et demi, sans pause, pas d’arrache-pied non-plus, aidés de Laurent d’Herbécourt. On a ensuite fini l’enregistrement et le mixage dans le studio de Philippe Zdar, à Montmartre.
Que peux-tu me dire du rôle de Zdar ?
Son rôle a changé. Il était déjà indispensable sur Wolfgang Amadeus Phoenix, je pense qu’il l’a été encore plus cette fois. On a davantage mixé tous ensemble, il a davantage produit, il passait nous voir dans le Xème, tous les mois, faire un genre d’état des lieux et nous remonter le moral. Il est très fort pour ça. Car il y a des moments, sur plus de deux ans d’enregistrement, où le fait de ne pas pouvoir faire écouter ta musique à personne te rend un peu vulnérable, tu te sens coupé de tout, tu n’es plus sûr de rien, les ambitions sont énormes mais tu ne sais pas si tu y arrives ou si tu fait de la merde… Lui et Laurent d’Herbécourt, avec qui on bossait dans le Xème, étaient les deux personnes qui écoutaient ce qu’on faisait, et ils étaient bienveillants avec nous. C’était primordial pour nous. Zdar a les références qui collent parfaitement : il sait toujours, précisément, où on veut en venir. Et humainement, il s’est beaucoup impliqué, il y a eu des moments émotionnels très forts.
Que peux-tu me dire du titre de l’album, Bankrupt! ?
Encore une fois, je pense que ça vient de cette idée de se protéger du succès du précédent album. Et de l’idée qu’une fois en studio, on recommence tout à zéro. On peut tout perdre : c’est une idée qui nous semble plus précieuse que le fait de gagner des trophées. C’est quelque chose qui n’est pas utilisé en musique : les choses qui sont faites glorifient le succès, ce qui brille, ce qui rapporte. Ma femme Sofia Coppola a aussi fait un film, The Bling Ring, qui tourne autour de ce thème. Les séries de unes de Warhol, ou la série Celebrity Autographs de Richard Prince, où il signe de faux autographes de vedettes, sans même prendre la peine de changer son écriture, nous ont sans doute aussi influencés. Il y a beaucoup de charme dans la falsification, dans des choses un peu cheap : sur beaucoup de chansons, on essaie de créer la plus grande distance beauté-laideur. Un peu comme Sébastien Tellier, le maître de ça. Sur certains morceaux, c’était difficile d’aller plus loin sans tomber du mauvais côté… (rires)
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