Les français de Phoenix viennent de poser leur valises en Angleterre pour une première série de concerts. Récit de leur première prestation londonienne.
« L’idéal, ça aurait été le vénérable Marquee, temple de toutes les débauches du rock anglais, des Who à Bowie, de T-Rex aux Pistols. Un lieu idéal pour un groupe qui a appris le rock en regardant le photos dans les encyclopédies – bien avant de se rendre compte qu’il existait aussi des disques et des écrits. Mais le Marquee est devenu un musée de cire triste pour touristes nippons, alors c’est au presque aussi légendaire Dingwalls que Phoenix a posé, mardi dernier (le 24 octobre), son petit cirque rock’n’roll.
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Avant même que le groupe monte sur scène, couvrant scandaleusement les chansons trop délicates des Turin Brakes, les conversations tentent déjà de régler le cas Ph nix, ce groupe boudé par sa France natale (à peine huit mille albums vendus, à peine une journée de travail pour Louise Attaque) mais vénéré depuis sa naissance par l’aile chic des faiseurs de mode anglais – The Face en tête. Pourtant, le cynisme était visiblement sur la guest-list : ici, on entend qu’il y a plus « »d’attitude que d’altitude« » dans les chansons de Ph nix, là que l’influence de Cheap Trick – flagrante – se résumerait à la traduction littérale de ce patronyme : « »coup tordu« » ou « »tour de cochon« ». La prise d’assaut du bar par une industrie du disque londonienne venue se pavaner en masse en dit long sur l’importance historique de la soirée : la pop-music aurait changé de camp, serait passée à l’ennemi français. Ah ben merde.
Et immédiatement, c’est le sourire, plus amusé que sardonique, qui l’emporte quand le groupe monte sur scène, serré dans ses petits costards CBGB 1976, engoncé dans des poses rock’n’roll mille fois trop grandes pour lui, plaqué derrière des Ray-Bans psycho-killer 72 qu’on n’avait plus vues depuis Delivrance. On pourrait, bêtement, s’arrêter à ces trompe-l’œil, prendre pour une déclaration de foi ces maladresses touchantes. On sourit, assez tendrement en fait, mais on ne rit pas du tout. Cette image outrancièrement gauche ne saurait distraire de l’essentiel. Car quand Ph nix tient une chanson, il ne la lâche pas, l’enferme dans le clavier infernal d’un tignasseux impensable, d’un batteur qui doit tout au Muppet Show et qui cogne comme si chaque gnon allait enclencher une explosion pyrotechnique, de guitares qui ont appris à parler en écoutant, au coin du feu, les légendes de Tonton Man’uvre. Car ce groupe, des chansons vierges, il a réussi à en dénicher une incroyable brochette, dans ce harem de vieilles putasses sur-labourées qu’est devenue la pop. Too young, Honeymoon (chanson de l’année, à coup sûr), une bonne moitié de Funky squaredance, If I ever feel better, Summer days, Heat wave : combien de groupes français ont-ils aligné de chansons aussi incontestables dans TOUTE UNE CARRIERE ?
Et qu’importe si Phoenix démarre là un revival soft-rock, le grand retour de la power-pop sage, s’il réhabilite les cassettes que votre père écoute dans la Laguna : Todd Rundgren, Cheap Trick, les DB’s ou les Cars. Qu’importe, aussi, s’il tente des gestes insensées – solo de vocoder, reprise de Prince, ballet de manches de guitares. Qu’importe, finalement, si ce groupe donne envie de faire plein de gestes compliqués avec les doigts pour les brandir au ciel, comme les vrais pros du hard-rock. On peut – et on doit – l’aimer précisément pour ce qu’il est : un admirable groupuscule d’artisanat pop auquel les mauvaises lectures a donné des informations baroques et cocasses sur l’attitudes à adopter. Le plus triste ne serait donc pas de détester Ph nix mais de l’aimer pour de mauvaises raisons. Comme une partie du public qui, ce soir, a décidé de l’aimer au deuxième degré – cet ennemi fondamental du rock -, de l’accueillir comme on va au cinéma se répéter bêtement les gags de Spinal Tap ou Rocky Horror Picture Show, dans une lamentable chorégraphie de briquets brandis, d’applaudissements aériens, de rires entendus. Alors que ce groupe est le plus facilement du monde aimable au premier degré, celui de ses chansons fleur bleue. D’ailleurs, à la sortie, quelques barons de la pop anglaise s’avouent sportivement vaincus, trop contents de voir que la pop-music, cette sublime invention locale – sans doute, même, la plus belle contribution de l’Angleterre post-45 -, avait enfin trouvé, ailleurs, loin de ses bases blasées et éc’urantes de cynisme, une terre d’accueil. Un lieu sans histoire propre dans ce domaine, où elle pouvait renouer avec son insouciance branlotine, sa fraîcheur de pucelle, sa mirifique futilité.
Phoenix sera présent au festival des Inrocks – Mobicarte 2000 le 10/11 à l’Aeronef (Lille), le 11/11 à la Cigale (Paris), le 12/11 à l’Olympic (Nantes) et le 14/11 au Bikini (Toulouse)
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