C’est en direct de New York, dans l’émission Saturday Night Live, que le groupe français a entamé la campagne qui l’emmènera au sommet de la pop. Nous y étions.
Pour qui aime le rire, c’est un peu impressionnant de se retrouver dans l’antre du Saturday Night Live (les habitués disent SNL), et de humer, à peine arrivés dans ses immenses studios new-yorkais, le parfum des vannes de tous ceux que l’émission a révélés depuis 1975 : Dan Aykroyd, l’immense John Belushi, Eddy Murphy, Will Ferrell, Chris Rock, Mike Myers, Adam Sandler, ou aujourd’hui Andy Samberg, idole des filles et auteur de parodies r’n’b inouïes en compagnie de Justin Timberlake (My Dick in a Box, et plus récemment Mother Lover).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et pour qui aime la musique, c’est presque plus impressionnant encore. L’émission, diffusée le samedi soir en direct, programme à chaque édition un artiste live. Elle a eu le temps de voir défiler tous les gros poissons, sans exception : Simon & Garfunkel, Madonna, Nirvana, Björk, Neil Young, Snoop Dogg, Bruce Springsteen, U2, Arctic Monkeys, et plus récemment Kanye West. Ce soir, c’est Phoenix qui fait le show. Deux titres sont prévus, Lisztomania et 1901. L’invité comique sera Seth Rogen, le fantastique acteur de Supergrave et de En cloque mode d’emploi (les deux petits chefs-d’oeuvre du nouvel homme fort d’Hollywood, Judd Apatow).
Dans le long couloir qui mène au studio et aux loges du groupe, un type vient vers nous, comme s’il avait repéré de loin nos têtes de Français. Il faut dire que Phoenix est le tout premier groupe hexagonal à jouer au SNL. “Salut, moi c’est Speedy, je m’occupe des live de l’émission depuis vingt-cinq ans, je suis le plus ancien salarié du show. Vous êtes français ? Vous cherchez les garçons ? Ils sont dans la loge à côté de celle de Seth Rogen. Ils ont été incroyables en répétition.”
En général, il en faut plus pour impressionner Speedy, cheveux grisonnants jusqu’aux épaules (“Je les ai coupés une fois, c’est Mc- Cartney qui m’a dit de le faire, il paraît que c’était vraiment trop long, que ça faisait sale”), longiligne et décontracté en permanence (“On a fait de sacrées fins de soirées, mec. Je ne m’en souviens même plus, surtout celles avec John Belushi, mon Dieu…”), et plutôt habitué aux performances de très haut niveau (“Gamin, ne me demande pas qui j’ai vu passer ici, je les ai tous vus, tous. J’ai branché la guitare de la Terre entière sur les amplis du SNL”).
Tout juste revenu de vacances à Paris et encore fasciné par son voyage, Speedy est ce soir le meilleur des guides possibles. Il nous traîne dans les couloirs du SNL, jusqu’à la minuscule loge occupée par Phoenix, devant laquelle passe Seth Rogen.
Chez Phoenix, l’ambiance est plutôt bonne. Le groupe est arrivé il y a deux jours à New York pour une première prise de contact. “C’est dingue le temps que ça prend, on a déjà fait des répètes hier, c’est ultrapro et l’ambiance est excellente, on n’est pas chez Taratata”, plaisante Branco, le guitariste, avant de reprendre l’inspection de tous les artistes qui sont passés avant eux et dont les photos, signées, sont affichées dans la loge. “Je crois qu’il ne faut pas trop regarder ça, sinon on va se mettre une fausse pression”, dit-il, pendant que Deck d’Arcy, le bassiste, travaille aux derniers réglages sur son ordinateur portable.
Devant la porte, Christian Mazzalai, l’autre guitariste du groupe, fait claquer les talons de ses bottes sur le sol en plastique. Et boxe les bras de Rob, l’ami du groupe (auteur de deux albums fantastiques chez Source et d’un fascinant Dodécalogue, à sortir cette année chez Institubes), qui s’occupe des claviers sur quasiment toutes les tournées. Accoudé au mur et très discret comme à l’habitude, Thomas Hedlund, le batteur suédois du groupe, regarde ses amis avec le sourire.
Ici, à New York, et alors qu’arrive leur quatrième album, Wolfgang Amadeus Phoenix (quel titre fabuleux), on retrouve Phoenix comme on l’a toujours connu. Collectif, passionné, serein, uni et faisant preuve d’un détachement incroyable face à l’événement – qui est pourtant de taille ce soir aux USA. “J’ai compté : si l’émission fait une bonne audience, c’est comme si on faisait à peu près sept Sacrée soirée en même temps, c’est pas mal non ?”, plaisante le chanteur Thomas Mars.
Phoenix, souvent pris en grippe par une presse rock française déconcertée par son parcours (et son humour), est en train de vivre ce soir-là, à New York, le début d’une marche triomphale vers l’Amérique, où le groupe avait déjà été repéré via quelques minitubes (Too Young, Consolation Prizes), des génériques de films (L’Amour extra-large des frères Farrelly) ou de séries (Six Feet under). Mais Wolfgang Amadeus Phoenix, qu’on peut déjà raisonnablement nommer disque officiel de l’été 2009, avec ses éclairs de génie (Lisztomania, 1901, Rome, Fences) et ses passages plus complexes qui offrent au groupe une toute nouvelle dimension (sur l’étourdissant Love Like a Sunset, découpé en deux parties, ou encore Armistice), devrait emmener Phoenix vers les sommets de la pop mondiale. Avant cela, la pression monte autour de la loge. Les producteurs du SNL, les acteurs, mais aussi Seth Rogen s’affolent alors que débute la première répétition du show – pour laquelle Phoenix est censé jouer ses deux morceaux à blanc.
On espère que l’effet obtenu ce soir-là au SNL sera le même sur les gens qui découvriront Wolfgang Amadeus Phoenix prochainement. Avec ses morceaux joués au plus près de l’os mais épatants de groove, le groupe parvient à incarner une présence pop toute particulière. Et Speedy, avec ses vingtcinq ans de maison, ne s’y trompe pas : “Mec, je suis impressionné par ce que ces jeunes types viennent de faire, ça joue, et je peux te dire que j’en ai vu passer… On leur a d’ailleurs demandé de rejouer deux morceaux en plus à la fin de l’émission, on le fait rarement, on l’a fait pour U2, Coldplay et les Killers”, note-t-il, enthousiaste, comme si c’était son tout premier show.
Si la comparaison n’ira peut-être pas droit au coeur de tout le monde, elle a au moins le mérite de montrer dans quelle catégorie Phoenix va être amené à boxer (les garçons étaient d’ailleurs premiers des ventes iTunes la semaine de la sortie du disque aux USA). Les membres du groupe ne semblent pourtant pas effrayés par l’ampleur de la tâche. Alors qu’ils viennent d’apprendre qu’on leur a rajouté deux morceaux pour conclure le show, ils mettent patiemment au point leur plan d’attaque. “On va faire Too Young et Consolation Prizes, ça va aller”, note Thomas Mars.
Du côté de chez Branco, même professionnalisme : “On est assez sereins. Le boulot, on l’a fait lors de l’écriture de l’album, puis avec Philippe Zdar (de Cassius – ndlr) en studio. Maintenant il ne nous reste plus qu’à prendre notre pied à jouer nos chansons sur scène, où que ce soit dans le monde, en France, aux USA, en Norvège. On n’a plus peur de grand-chose”, explique-t-il tranquillement, alors que Seth Rogen s’apprête à lancer le SNL dans les foyers US.
Ce calme et cette décontraction fascinent vraiment chez Phoenix. Bien qu’appelé aux plus hautes fonctions, le groupe a gardé l’esprit des premières répétitions de United, son premier album. Il n’a pas oublié non plus les tournées fondatrices qui suivirent, en Norvège ou en Suède, alors que le public français boudait un peu le deuxième disque, Alphabetical ; et sait combien il a été dur de s’imposer en France et ailleurs avec It’s Never Been Like That, l’album du renouveau, sorti en 2006.
Toutes ces expériences, vécues collectivement, font du Phoenix qui nous revient en 2009 une véritable escouade de choc. C’est d’ailleurs façon équipe de basket que les garçons se retrouvent juste avant de monter sur la scène du Saturday Night Live. On se prend dans les bras, on se checke, se rechecke, on se fait des blagues, on se remet le col de la chemise, et lorsque que Seth Rogen les annonce, c’est une version tout simplement fantastique de Lisztomania qui troue le studio new-yorkais, et l’Amérique tout entière. L’Oncle Sam, assis sur son canapé, une Bud à la main, découvre alors, via son téléviseur, que des “petits Français” sont aujourd’hui capables de jouer de la pop ou du rock comme n’importe quel autre groupe de Boston, de Chicago ou de Los Angeles. C’est en tout cas ce qu’on lit dans les yeux du vieux Speedy, qui regarde le groupe s’exécuter avec une véritable admiration, ne sachant probablement pas qu’il vient d’inaugurer là une longue transhumance vers le SNL de groupes français – qu’ils s’appellent Stuck In The Sound, Naïve New Beaters, Cocoon, Plastiscines, Montgomery, Revolver ou encore Koko Von Napoo.
Nul doute que le gars Speedy saura leur raconter, avec ses cheveux encore plus gris posés sur les épaules, ce fameux samedi soir d’avril 2009 où les Frenchies de Phoenix sont venus mettre le pied dans la porte, en éclaireurs, avec une classe folle.
Album Wolfgang Amadeus Phoenix (Loyauté/V2/Cooperative Music)
www.wearephoenix.com
{"type":"Banniere-Basse"}