Deux artistes venus de l’Est exposent à Dijon le futur appartement de leurs rêves.
Une table basse et des fauteuils du designer Charles Eames, une lampe de Philippe Parreno, des photographies de la jeune Sharon Lockart, des peintures d’Elizabeth Peyton : Plamen Dejanov et Swetlana Heger nous montrent les objets qui constitueront en 1999 leur appartement berlinois. Des objets design, des oeuvres d’autres artistes… On peut voir en eux deux gros fainéants, simples recycleurs qui se contentent d’exposer des objets faits par d’autres. Mais s’ils ne font rien, ou si peu, au sens artistique du terme, en revanche ils travaillent au sens plein : car il faut de l’argent pour acheter du mobilier de collection, et donc pendant tout le temps de l’expo qui se tient actuellement au Consortium de Dijon, Swetlana et Plamen donnent des conférences à l’école des beaux-arts, vont replâtrer et repeindre un appartement. D’autres fois, ils travaillent au McDo ou dans des restaus. Selon leurs revenus, l’expo est ainsi appelée à changer de visage, à s’augmenter d’un ou plusieurs objets. Dans le même esprit, ce charmant couple de jeunes gens de 25 et 28 ans loue une des salles d’expo à des sociétés privées, faisant du centre d’art qui les accueille un show-room publicitaire : Mercedes viendra y présenter sa Classe A, le magasin Botanic propose une gamme élargie de services, du simple fleuriste à l’herboristerie en passant par les pétales séchés et le miel d’eucalyptus… et Les Inrockuptibles se font de la pub et mettent en écoute leur compil du printemps sur une chaîne hi-fi exposée par un commerçant dijonnais ! Dans cette rencontre inopinée, surtout en France, d’un système artistique et du monde du travail, on assiste à une économie mixte où les oeuvres côtoient le commerce, où l’artiste est à la fois acheteur, loueur, collectionneur, exposant, entrepreneur. C’est tout l’intérêt de cette collection pas comme les autres : en mettant côte à côte un fauteuil et un tableau, en les intégrant tous deux à leur projet d’ameublement, Swetlana et Plamen nient de façon radicale la distinction établie entre les Beaux-Arts et les Arts Déco. Et au passage ils se permettent aussi d’interroger non sans ironie la notion de goût : présence mêlée du kitsch et du design, idée bourgeoise de l’ameublement, artistes à la mode (Elizabeth Peyton, qui peint à l’aquarelle des portraits de Jarvis ou d’autres stars de la pop), influence de l’american way of life sur des personnes venues, comme Plamen et Swetlana, de Bulgarie et Tchécoslovaquie. Ce n’est donc pas tellement leur propre appartement qui se trouve ainsi constitué au fur et à mesure qu’ils exposent, mais peut-être bien celui de nos rêves à nous : ainsi rassemblés, tous ces objets offrent l’image d’un intérieur idéal, volontiers convivial, d’un goût pseudo-universel où l’on détecte toutes les forces et fantasmes qui conditionnent nos achats. Des formes rondes et souples, des couleurs agréables, jamais trop vives, jamais trop fades, un appartement à la fois coloré et sobre. Le reflet à la fois ironique et sincère de nos désirs, l’archéologie retrouvée de nos rêves de consommateurs.
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