Cet homme est dangereux : il a rêvé qu’il
suçait Johnny. Avec un album timbré et
familial, Katerine se pose comme le chanteur
le plus imprévisible et sidérant de la France
d’aujourd’hui. Rencontre.
Après la dance psychotique du précédent album, le punk morveux du disque (raté) enregistré avec les Vedettes, le glitter superhéroïque du sous-estimé Glamour à mort d’Arielle Dombasle, Katerine aura ressenti le besoin urgent de revenir à poil. Au sens propre – il prétend avoir composé tout l’album vêtu d’un seul et même T-shirt, sans rien d’autre – comme au figuré, enfin libre de jouir sans entraves, de taper sur les nerfs de l’auditeur pour mieux l’émouvoir la plage d’après. Enfin libre de martyriser les conventions cireuses de la Chanson Française, devenue l’objet de tant d’experts-comptables chantants.
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Enfin libre de faire chanter ses parents, sa fille, et de dire à Jeanne Balibar “J’aime tes fesses, ton foie, ton estomac, tes intestins, ta vessie et ton utérus” sur un groove façon Love on the Beat lo-fi. Libre d’écluser les lettres de l’alphabet en compagnie d’une chorale de sales gosses ou de délirer autour d’un sonal de Windows 98, de porter la Moustache et de se bidonner comme une barrique un peu aigre. Ça va vite, ça se bouscule, ça se parasite et s’emberlificote comme un collage situ-turlututuchapeau- pointu dont l’accumulation finit par prendre un sens quand chaque élément pris séparément ne veut rien dire, ou pas grand-chose.
Certains, trop pressés ou franchement malhonnêtes, argueront que Katerine joue désormais dans la même cour de récré qu’un Didier Super, voire qu’un Michael Youn, alors que nul cynisme n’entre dans la composition de ce disque au contraire très pur, le plus personnel et sincère de son auteur. D’où le nom de l’album, Philippe Katerine : “J’accepte enfin mon prénom. Pour les gens de ma génération, ce n’est pas si évident à porter car les parents qui ont appelé leur enfant Philippe sont nés dans les années 1940, et il y a toujours ce doute qui subsiste concernant Philippe Pétain. Pour moi qui suis vendéen, il y avait également Philippe de Villiers, double peine ! Quand j’étais enfant, je voulais m’appeler Daniel, à cause de Danny Wilde d’Amicalement vôtre, et aussi parce que je connaissais un garçon qui s’appelait Daniel. Il était grand et brun, et moi je me mouillais les cheveux pour qu’ils paraissent plus foncés. J’étais sans doute secrètement amoureux de lui, en plus il était batteur et je suis fou des batteurs. J’ai écrit plusieurs chansons pour ce type mais je ne dirai pas lesquelles. Ce disque, c’est une façon de me réconcilier avec mes parents, de leur dire merci de vous être rencontrés, d’avoir fait l’amour et de m’avoir appelé Philippe.”
L’album a failli s’intituler Coiffure, on en ignore les raisons. Le thème de la réconciliation est peut-être celui qui prédomine à l’arrivée. On reliera ainsi sans difficulté Des bisoux (“Quand on se dit fuck, j’te défonce la gueule, tout en insultant les papas les mamans, au fond qu’est-ce qu’on cherche ?”) avec Juifs arabes, hymne ébahi à la paix des peuples. Bien mal ou Morts-vivants participent d’une même intention de coudre entre eux des éléments peu conciliables, le tout se terminant par une jolie parabole philosophique, sans musique, intitulée Le Champ de blé.
Philippe Katerine serait-il un humaniste premier degré déguisé en bouffon ? Ou un militant hardcore adouci par son allure d’éternel schpountz du bocage vendéen ? “Le militantisme m’effraie, les déclarations sur l’égalité m’inquiètent. Quelqu’un qui me dit ‘Moi, j’aime les gens’, ça me fout les jetons. Quand quelqu’un prend position contre quelque chose, c’est souvent contre lui-même qu’il lutte. Quand je commence à me sentir une âme militante, lors d’un dîner par exemple, ça m’inquiète beaucoup pour moi. Je me dis, Philippe, tu files un mauvais coton, tu ferais bien de fermer ta gueule. J’exprime peut-être inconsciemment tout ça dans mes chansons, car elles s’imprègnent de ce que l’on se retient d’exprimer en société. Une chanson comme Liberté (mon cul) reste ambiguë, on pourrait la chanter dans la rue, mais Sarkozy pourrait aussi la chanter dans son bureau à l’Elysée. Ce que je redoute le plus, c’est de me prendre au sérieux. La prétention arrive vite, il faut être vigilant. J’ai aussi la frousse de perdre mon âme d’amateur. Je ne veux pas devenir un professionnel. Quand on me demande mon métier, je dis marcheur, je marche, ou buveur, je bois. C’est ça mon métier, pas chanteur.”
Ne comptez pas non plus sur lui pour jouer les parrains chez les chanteurs français qui, pour beaucoup d’entre eux (de Vincent Delerm à Julien Doré), lui font porter ce titre de force, à égalité avec son pote Dominique A, pour leur ancienneté dans la corporation mais surtout pour leur belle persévérance. “Dans la vie, je suis déjà parrain d’un filleul dont j’oublie les anniversaires, alors merci bien…” Il dit pourtant avoir été assez impressionné par la chanson France Culture d’Arnaud Fleurent-Didier, l’autre grande entreprise de réconciliation filiale de l’année. Fleurent-Didier a choisi de faire sous-titrer son clip en plusieurs langues, histoire d’en universaliser le message. Katerine va aujourd’hui plus loin, puisqu’il prévoit carrément d’enregistrer son disque dans toutes les langues, à commencer par le chinois et l’arabe. Comment dit-on “J’ai rêvé que je suçais Johnny” en mandarin ?
A lire également : l’interview des parents de Katerine
Concert : le 7 décembre à Paris (Casino)
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