Cet homme est dangereux : il a rêvé qu’il
suçait Johnny. Avec un album timbré et
familial, Katerine se pose comme le chanteur
le plus imprévisible et sidérant de la France
d’aujourd’hui. Rencontre.
L’autre matin, sur une radio périphérique, l’animateur qui recevait Philippe Katerine avant la sortie de son nouvel album manqua à plusieurs reprises de perdre l’équilibre. Notamment lorsque le chanteur fit état avec beaucoup de sérieux et d’esprit de son vif intérêt pour l’insubmersible chanson de Bézu, La Queuleuleu. Katerine avait retaillé cet hymne sur internet, parmi une cinquantaine d’autres reprises tout aussi gratinées, en compagnie du groupe Francis Et Ses Peintres. “C’est un sujet grave, faire la queue, expliqua Katerine, regardez les Restos du coeur…” Blanc à l’antenne.
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Dire n’importe quoi avec génie n’est pas un art à la portée de tous. Chanter n’importe quoi avec génie, encore moins. La culture pataphysique, au pays de Bénabar et de Zazie, reste une discipline marginale, même si, depuis Robots après tout et ses tubes rose vif repris en choeur au camping et au Macumba – Louxor j’adore, 100 % VIP –, Katerine semble bien installé au pavillon des fous chantants, curieux mix de Trenet, Gotainer et Brigitte Fontaine.
Pourtant, après l’exténuant marathon Robots après tout et la liesse populaire qui accompagna cette caravane en folie, le retour de Katerine risque fort de déboussoler son public le plus récent. Il y a bien cette Banane qui a vitaminé dès cet été les radios, éloge de la paresse parfaitement synchrone avec les préoccupations estivales, mais, derrière, l’album Philippe Katerine va en cueillir plus d’un à froid. Vaste plaisanterie ou oeuvre d’art ? Citons un exemple. Plage 21 : Le Rêve. Katerine y dilate par syllabes répétitives une seule et même phrase qui donne au bout d’une minute trente : “C’est affreux, j’ai rêvé que je suçais Johnny.”
Après Marine Le Pen sur le précédent, le Vendéen ne nous épargne donc rien de ses pollutions nocturnes. Lorsqu’on lui demande si cet écoeurant haïku lui est venu avant ou après le coma de l’idole des jeunes UMP, il nous prend amicalement pour des couillons : “Les images de Johnny ne sont pas que nationales, on pourrait tout aussi bien penser à Johnny Cash. Il est question d’un vieux rockeur, mais après ? En tout cas, j’ai réellement fait ce rêve.”
Marcel Duchamp, Agnès Varda, Daniel Johnston, Luc Moullet, Arthur Cravan, Syd Barrett, tous inventoriés sur le formidable Morts-vivants, sont d’autres fantômes qui hantent les vingt-quatre plages expérimentalopotaches de ce huitième album extravagant. Il s’en échappe un fort parfum d’anarchie, entre provoc dadaïste (La Reine d’Angleterre qui “vous chie à la raie”), lâcher-prise antisocial (Liberté (mon cul), La Banane), glanage autobiographique (l’irritant Philippe, l’ultrasensible Vieille chaîne) et désir d’un retour à l’art brut d’autrefois, période Les Créatures/L’Homme à trois mains, après l’électrochoc sophistiqué du précédent.
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