Réédition des deux premiers albums de Peter Tosh,
l’indigné du reggae. Nécessaire : récit et écoute.
Saint Augustin prétendait que la mort d’un homme “est la conséquence du mérite de son péché”. Quel péché a bien pu commettre Peter Tosh, fondateur avec Bob Marley et Bunny Livingston des Wailers, pour mourir à 43 ans dans des circonstances dignes d’un film de gangsters ? De tous les artistes jamaïcains, il comptait il est vrai parmi les plus farouches et les plus fiers. Peu souple de caractère, il semblait de fait le mieux désigné à en payer le prix.
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Arrestations à répétition, tabassages occasionnant contusions et fractures, humiliations diverses (se faire couper les dreadlocks de force), fausses preuves produites contre lui, il affrontait cela avec vaillance, y voyant la confirmation de son bon droit à mener un combat contre les injustices et le système de Babylone. Il lui arrivait aussi d’aller au-devant des ennuis. Sa mort pouvait-elle survenir autrement que violemment ? Le 11 septembre 1987, trois hommes s’introduisirent chez lui, dans un quartier résidentiel de Kingston. L’un d’eux, un certain Dennis “Leppo” Lobban, l’abattit, lui et deux de ses amis, d’une balle dans la tête. Bien que les motivations du meurtre demeurent troubles (on évoque un possible règlement de comptes), cette fin brutale au bout du canon allait parachever cette image d’insoumis que s’était taillée celui qui se faisait appeler le “rasoir ambulant”.
Une image que la réécoute de ses deux premiers albums solo, réédités par Sony en version Deluxe – avec inédits, mixes alternatifs et versions dub –, ne risque pas de rectifier. Comme l’énoncent leurs titres laconiques, Legalize It (1976) et Equal Rights (1977) sont des prises de positions cash, l’une pour la légalisation de la marijuana, l’autre pour une égalité et une justice sociale introuvables dans la société jamaïcaine des années 70. Ou sur le continent africain où sévissait encore l’apartheid, son autre cheval de bataille.
A la différence de Bob Marley, plus diplomate, Tosh fuyait le monde du divertissement tout en devant commercer avec lui par nécessité. Une posture qui allait le mener à certaines impasses. Dans le livret de présentation de Legalize It, l’archiviste et historien Roger Steffens raconte comment le chanteur dût s’en remettre à un gros dealer d’herbe de Miami pour financer l’enregistrement d’un disque dont le message effrayait tout le métier. Finalement, l’affaire capota, le trafiquant jugeant qu’avec une telle publicité, Tosh risquait de lui prendre ses clients ! Les bandes circulèrent un temps sur le bureau de plusieurs directeurs artistiques avant de finir dans une poubelle chez Columbia. D’où une main inspirée les arracha in extremis.
Aujourd’hui, avec les fumeurs de joints prolégalisation comme avec les indignés de la Puerta del Sol, Tosh serait en tête de cortège. Sauf qu’on y voit plus souvent des manifestants en T-shirts Bob Marley. Pourquoi ? Legalize It et Equal Rights sont les inusables classiques d’un reggae de combat pilonné par le cercle des meilleurs musiciens du genre, au centre duquel oeuvre le binôme Sly Dunbar-Robbie Shakespeare. L’inspiration des chansons repose souvent sur la même dynamique : l’affrontement (Downpressor Man), la posture du voyou-justicier (Stepping Razor) ou la revendication identitaire (African). Ne lui manque finalement que cette vulnérabilité qui a révélé le meilleur chez Marley. Assez pour faire la différence entre un franc-tireur et un prophète.
Album Equal rights en écoute via le player Deezer ci-contre, Legalize It en cliquant ici.
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