L’ancien chanteur des Only Ones s’apprête à sortir un album solo chez Domino en juin prochain. L’occasion de replonger dans notre entretien fleuve paru en 1996.
Entrée en hibernation depuis la mort de ses flamboyants Only Ones, en 1981, on ne savait de Peter Perrett que des rumeurs alarmantes, glauques légendes de déchéance et de gâchis d’un des plus impressionnants songwriters de l’après-punk anglais. Son retour en 1996 avec Woke up sticky – album au panache, à la voix et à l’écriture étonnamment intactes – n’en était que plus miraculeux et jouissif. Le 30 juin 2017, il s’apprête à faire un second come-back en publiant How The West Was Won, chez Domino.
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Il nous en livre un premier extrait en vidéo (à visionner ci-dssous). L’occasion pour nous de déterrer des archives inRocKs une interview fleuve de ce mystérieux personnage…
Depuis la séparation des Only Ones en 1981, toutes les rumeurs ont circulé à ton sujet. On t’a dit mort d’overdose, livreur de lait, chauffeur de taxi…
Peter Perrett : De 1981 à 1988, je suis entré en hibernation. Je n’ai pas touché une seule fois ma guitare. Et quand je me suis réveillé, j’ai dû tout réapprendre : je ne savais plus comment faire un accord, mes doigts me faisaient souffrir… Et là, de 1988 à 1990, j’ai écrit une chanson, Baby don’t talk. J’étais si fier de moi que je l’ai sortie en single, à compte d’auteur. Vous ne pouvez pas imaginer comme j’étais heureux d’avoir réussi à composer une chanson après toutes ces années vides. Et puis j’ai réussi à en écrire une deuxième, un peu moins lentement, puis une troisième, puis une quatrième. Mais avant d’enregistrer, il fallait me remettre sur pied. Avec une maniaquerie impitoyable, j’ai fait des exercices, me suis forcé à jouer quatre fois deux heures par semaine au football. Il me fallait prendre du poids – que j’ai totalement perdu pendant l’enregistrement de l’album. Une fois sorti de mon brouillard, j’ai commencé à chercher des musiciens, en passant une annonce dans le Melody Maker. On était déjà arrivé en 93.
Etait-ce un choix d’arrêter la guitare ou étais-tu incapable d’en jouer ?
Depuis très longtemps, je prenais des drogues pour m’amuser, pour me relaxer. Ce n’était pas un problème tant que c’était qu’une infime partie de ma vie. Mais pendant l’été 80, j’ai attrapé une hépatite, qui m’a cloué au lit pendant neuf mois. Je m’ennuyais tellement que j’ai commencé à me défoncer chaque jour. J’ai alors commencé à tout repousser au lendemain, à ne vivre que par et pour les drogues. Moi qui avais toujours consacré 100% de mon temps à la musique, je ne voulais pas la traiter à la légère : je l’ai donc totalement abandonnée pour me concentrer à fond sur un autre sujet. Il faut ressentir des émotions pour écrire des chansons. Et là, je ne ressentais plus rien, les émotions complètement engourdies. D’autres groupes arrivent à sauver les apparences dans cet état, enregistrent des albums qu’ils savent mauvais pour de sombres raisons de contrats. Mais moi, pendant toutes les années 80, je n’ai pas eu envie de tricher, la passion n’y était plus.
Quand avais-tu commencé à prendre tant de drogues ?
Je fumais de l’herbe et du hash depuis que j’étais gosse. Ça me rendait idiot et paresseux, mais ça ne touchait pas à ma santé. La cocaïne, j’ai commencé vers 74, j’adorais ça. Puis j’ai commencé à fumer de l’héroïne, qui est, au début, un plaisir inégalable. Je me suis vite rendu compte qu’une telle source de plaisir était fatalement dangereuse, mais il était trop tard. Je me croyais pourtant fort, j’étais certain que je réussirais à me contrôler (silence)… Mais très vite, je me suis mis à en prendre tous les jours. Il n’y avait plus ce côté dangereux, expérimental : juste une triste routine, comme l’usine. Regarder l’intérieur de son psyché, y voyager en profondeur, ça va bien cinq minutes. Mais à un moment, il faut se dire qu’il y a aussi un vaste monde à l’extérieur… Dans cet état, on peut juste se contenter de gagner quelques batailles contre l’héroïne, mais c’est fatalement elle qui va gagner la guerre. Si j’avais travaillé, je m’en serais vite sorti. Mais là, le désœuvrement a fait un massacre. Je suis certain que c’est la raison pour laquelle tant de groupes passent leur vie en tournée : c’est un bon moyen d’échapper à la drogue. Moi, je n’arrivais plus à écrire, je m’en fichais même totalement. Tant que les Only Ones existaient, avec toute leur grosse organisation, je pouvais faire illusion : je n’avais qu’à monter sur scène et jouer. Ça, c’était facile. Mais composer, créer une chanson de toute pièce, ce n’était plus possible, car je ne pouvais compter que sur moi. Et même sur scène, je me croyais sans doute intouchable alors que j’étais sûrement nul. Il faut être nerveux sur scène et l’héroïne provoquait chez moi l’effet inverse : j’étais détendu, détaché.
Qu’est-ce qui t’a poussé à revenir à la musique ?
En 85, j’ai suivi une cure de désintoxication qui a marché : pendant deux mois, je n’ai rien touché – c’était la première fois depuis des années que je restais lucide si longtemps. Et là, j’ai écouté de la musique, ce qui ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. Et puis, en 88, j’ai réussi à me sortir de l’héroïne. Pendant deux ans, je n’ai rien touché. J’ai enfin pu retourner à mon premier amour : la musique, que j’avais plaquée.
Des groupes comme House Of Love, les Go-Betweens, Suede ou même Therapy? t’ont, durant toutes ces années d’absence, régulièrement cité comme une influence majeure. Etait-ce une motivation supplémentaire pour revenir ?
Je ne suis pas assez rusé pour penser à une carrière, à un timing. Je pensais juste à m’en sortir et pour ça, il me fallait des musiciens. Il m’a fallu repartir à zéro, tourner pendant deux ans pour roder les chansons et le groupe. Ç’aurait pu être humiliant de me retrouver, en province, devant une centaine de personnes, moi qui avais été habitué à affronter des foules de deux ou trois milles spectateurs. Et pourtant, j’étais tellement content d’être revenu à la surface que le soir, après les concerts, je n’arrivais pas à fermer l’œil. J’essayais de me rappeler le visage de chaque spectateur, de chaque sourire.
Un mot revient invariablement quand on parle des Only Ones : maudit.
Même si notre musique était optimiste, même si nos paroles étaient souvent drôles, c’est vrai que notre carrière a été frappée d’une malédiction. La mienne, principalement. Je me suis totalement bousillé, humainement et artistiquement.
As-tu forcé le trait, par romantisme, pour répondre à l’attente de ton public ?
Je ne l’espère pas (silence)… Crever, ce n’est pas très glamour. C’est un jeu idiot et dangereux. J’ai travaillé avec Johnny Thunders à l’époque où il enregistrait son premier album solo, So alone. Tous les hommes présents sur ce disque sont aujourd’hui morts – excepté moi. La mort, très peu pour moi. Dans ma chambre, je n’ai jamais eu de poster de Ché Guévara, mais toujours un de Fidel Castro. D’accord, Ché est plus photogénique mais il a l’inconvénient d’être mort, alors que Fidel continue d’emmerder l’Amérique, de narguer ses valeurs. Je n’ai jamais baissé les bras, ç’aurait été trop facile.
Mais tous tes héros sont des personnages sombres, au destin tragique.
Pour être un artiste, il faut être obsessif, ce qui mène souvent à l’auto-destruction. La musique ne peut pas être un hobby ou un simple boulot. Avec Johnny Thunders, nous vivions notre musique à fond, avions les mêmes goûts en matière de disques, de fringues… Mais il me rendait triste, car il n’était jamais à la hauteur de ses capacités. Il gâchait son talent, se laissait aller. Moi, je suis un romantique, c’est ce qui me maintient en vie. Il le faut pour atterrir après avoir vécu coupé du monde pendant plus de dix ans. Car entre 1981 et aujourd’hui, il s’est passé beaucoup de choses dans mon dos. Moi qui n’avais aucun contact avec les humains – si ce n’est mes enfants et ma femme, Zina –, je n’arrive pas à croire ce que le monde est si vite devenu. Je ne sortais presque pas, restais prostré chez moi. Pour moi qui avais vécu les années 60 et leur optimisme, il était hors de question de participer aux années Thatcher. Un de mes meilleurs copains est séropositif. Beaucoup de gamins viennent lui réclamer du sang, car plutôt que d’être sans-abris pour le restant de leurs jours, ils préfèrent vivre seulement quelques années de plus, mais en touchant une allocation de deux mille francs par semaine, en ayant un toit et une voiture payés par le gouvernement. Voilà où nous a menés le capitalisme : des gamins préfèrent attraper le sida pour mener une existence confortable et manger à leur faim.
Comment tes enfants te considéraient-ils pendant toutes ces années où tu as vécu enfermé chez toi ?
Le plus vieux est né en 79, le plus jeune en 83. Ils m’ont apporté énormément d’amour. Mais si c’était à recommencer, je n’aurais pas d’enfant. A quoi bon les élever dans une société comme la nôtre ? Avant d’avoir des gamins, c’était facile pour moi de vivre au jour le jour. A cause d’eux, j’ai pris conscience de notion autrefois abstraites, comme le futur. Je me suis senti plus responsable – même si ça n’a jamais été accompagné d’actes. Ils ont donc dû s’en sortir seuls, ça les a rendus forts. Souvent, ce sont eux qui me protègent, me couvent, me paternent.
As-tu peur qu’ils suivent ton exemple ?
Ils sont déjà l’un et l’autre musiciens, ont formé un groupe avec deux copines à eux. Ils m’ont même traîné, il y a deux ans, au festival de Reading. J’avais oublié ce que c’était que d’être dans le public, je me suis gelé toute la journée. Dire que, gamin, je faisais ça pour le plaisir (rires)… C’est un miracle qu’ils soient aussi passionnés de musique que Zina et moi. Par contre, ça doit être l’enfer pour nos voisins. Le plus vieux, 16 ans, écoute Oasis et Rage Against The Machine. Moi, je trouve les chansons d’Oasis trop optimistes, trop heureuses. Si les mélodies sont trop évidentes, ça pénalise les mots, ça les bousille. Le plus jeune, 12 ans, préfère les vieilleries, comme Hendrix. Il ne supporte pas que son frère vieillisse, qu’il commence à délaisser sa guitare pour courir les filles. A 12 ans, il a déjà composé plus de morceaux sidérants que moi avec les Only Ones. J’espère franchement qu’il vont réussir dans la musique, c’est leur seule chance : à l’école, ils sont totalement sur la touche. Et j’espère surtout qu’ils pourront vivre leur amour de la musique sans être affecté par la pollution qui vient avec : le business, les drogues… Pour ne pas être étiquetés à vie, il leur faudra sans doute changer de nom de famille (soupir)… Moi, je les encourage à enregistrer tout de suite, car je suis certain que les artistes donnent toujours le meilleur d’eux mêmes au début de leur carrière. Le reste n’est qu’une lente décadence. Je me souviens, quand j’étais gosse, des Kinks, qui sont devenus épouvantables après 66, des Who qui n’ont tenu la distance que pendant une année, de Lou Reed qui n’a jamais fait mieux qu’à l’époque du Velvet… Si je n’avais pas dormi pendant seize ans, je serais certainement moi aussi lessivé, inaudible.
Arrives-tu à avoir de l’autorité sur tes enfants ?
Quand ils se disputent, j’avais pris l’habitude de les envoyer l’un et l’autre au coin. Mais l’autre jour, j’ai envoyé le grand face au mur et ma femme m’a dit “Tu te rends compte qu’il couche avec des filles, qu’il fume des joints et que toi, tu le traites comme un bébé ?” Il commence à fumer de l’herbe, alors qu’il avait, jusqu’alors, une trouille bleue des drogues – que le plus petit a toujours, il refuse même de fumer des clopes. La vision de leurs parents complètement défoncés, fumant 24 h sur 24 a dû les traumatiser. D’un côté, je voudrais qu’ils restent totalement purs, qu’ils ne touchent à rien. Il y a des parties du cerveau qu’il vaut mieux ne jamais réveiller. Mais d’un autre côté, je préfère les voir fumer des joints que boire de l’alcool.
A leur âge, étais-tu fan de pop-stars ou recherchais-tu des relations plus adultes avec la musique ?
Jusqu’à 12 ans, j’écoutais des choses légères : les Kinks, les Who, les Small Faces. Mais quand j’ai entendu Like a rolling stone de Dylan, j’ai soudain compris que la musique pouvait être autre chose que de jolis sons, d’aimables refrains. C’est la première fois qu’on utilisait des paroles de chansons pour véhiculer l’indicible. J’avais déjà compris qu’il n’y avait rien à attendre de l’école, que je trouverais mes réponses seul, dans les livres. Au lycée, nous étions deux ou trois comme ça, repliés sur nos livres. Un d’entre eux, Steve Harley est devenu le chanteur de Cockney Rebel. Mais à l’époque, il était skinhead et partageait mon amour de Dylan et était membre du club de poésie de l’école. C’est ce qui a nous a immédiatement séduits l’un chez l’autre avec ma femme Zina : notre passion pour Dylan. C’est une base très saine pour établir une relation durable. Vingt-sept ans que ça dure.
Avais-tu alors d’autres passions ?
Je n’ai pas changé : la musique et le football (suit un transgression d’une demi-heure sur l’ensemble des championnats européens, le marché des transferts, le rôle de Fernandez, le génie de Chris Waddle, la flamboyance de Rocheteau, les aventures italiennes de Karembeu, la santé énervante de l’Ajax)… J’écrivais un peu de poésie adolescente, un rien foireuse. Les premières chansons, c’est vers 17 ans. Car là, mon père m’a acheté une guitare sèche. Je venais juste d’arrêter de jouer au foot, car je pensais stupidement que c’était ringard et plus de mon âge. Ça n’allait pas avec mon nouveau statut de hippie. Mais à 21 ans, je n’avais plus besoin de m’affirmer et je me suis remis au ballon.
Etais-tu plutôt solitaire ?
Par la force des choses. J’étais pensionnaire dans un collège très strict, à des centaines de kilomètres de chez moi. Si bien que pendant les vacances, j’étais seul, loin de mes copains de classe. Mon père m’y avait envoyé car ses parents l’avaient forcé à quitter l’école à 12 ans, pour le faire entrer dans la vie active. On lui interdisait de lire des livres, il devait le faire en cachette, dans les toilettes. Etudier était pour lui une sorte de vengeance sociale. Pour un petit garçon de 11 ans, c’était terrifiant de se retrouver si loin de la maison, je me faisais tabasser sans arrêt. Heureusement, ce n’était pas une école religieuse. Ç’aurait été trop, je me serais suicidé (sourire)… A 15 ans, je me suis fait virer, les profs n’en pouvaient plus de me renvoyer à chaque cours. Faire le clown était la seule façon que j’avais trouvé pour échapper à cette réalité, à cette école où j’étais constamment battu à coups de trique. Je foutais le feu à mon bureau, je faisais le tour du cloître à fond sur mon scooter – j’étais alors un mod. J’ai ensuite terminé ma scolarité dans un lycée près de chez moi, où nous bénéficions d’une telle liberté par rapport à mon pensionnat que j’ai totalement pêté les plombs. Et je me suis à nouveau fait virer. C’est là que j’ai rencontré Zina, je me suis inscrit en candidat libre pour passer le bac. Elle est Grecque et pour échapper à ses parents – qui voulaient nous obliger au mariage –, nous avons fugué pendant six mois, voyageant en stop à travers le pays. Quand j’ai quitté la maison en 69, à 16 ans, j’avais les cheveux longs – j’étais donc totalement inemployable. Comme nos parents avaient lancé les deux familles à nos trousses, nous ne pouvions pas rester à Londres. On a dormi sur les plages, dans les abris-bus, dans les laveries automatiques dans les champs – avant de comprendre que les petits matins y sont humides et glaciaux. Et puis, j’avais la trouille de la campagne. Au bout de six mois, elle a trouvé du boulot à Londres, nous nous sommes installés ensemble dans le quartier de Chalk Farm et après avoir passé mon bac, je me suis inscrit en fac, dans l’unique but de toucher une bourse. Il ne m’ont vu que trois jours : le premier de chaque trimestre, à la distribution des chèques (rires)… Zina est tombé enceinte et notre petite fille est morte quelques jours après l’accouchement (silence)… Elle aurait aujourd’hui 26 ans. Sur le coup, ça nous a bousillés mais aujourd’hui, je suis ravi qu’elle n’ait pas survécu.
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