Doherty a 30 ans, s’appelle désormais Peter et a retrouvé son songwriting d’antan pour un joli premier album solo. Plus sincère et loquace que jamais, il se souvient de son enfance dans une base militaire, de ses débuts avec les Libertines et avec la drogue dans un entretien fleuve.
Lorsque tu as commencé à jouer plus sérieusement, ta famille t’a-t-elle soutenu ?
Non, ils pensaient que c’était une blague. Mon père m’a demandé : “Quand vas-tu trouver un vrai travail ? Tu ne peux pas jouer de la guitare…” Quand j’ai commencé à gagner de l’argent, ils ont changé d’avis. Mais lorsque j’avais le plus besoin de soutien, ils n’étaient pas là.
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[attachment id=298]Du fait de la profession de ton père, militaire, tu as eu une enfance singulière : beaucoup de déménagements, des pays différents et un cadre de vie particulier. Comment grandit-on dans ce cadre-là ?
C’était assez oppressant. Je me sentais piégé. On ne pouvait pas entrer ou sortir de la base militaire sans s’identifier. Chaque matin, on regardait sous la voiture pour voir s’il n’y avait pas une bombe, surtout quand on vivait en Irlande du Nord dans les années 80. Les militaires et leurs familles étaient souvent la cible d’attentats. Je me souviens aussi qu’à Noël, il y avait eu une espèce d’installation avec une voiture calcinée et, à l’intérieur, un mannequin avec du faux sang qui coulait de sa tête, des débris de verre partout, le tout sous une pancarte qui disait : “Ne prenez pas le volant après avoir bu.” Tout était toujours mis en place pour éviter le pire. Il fallait se préparer au drame tout le temps : on allait exploser, on allait avoir un accident… Il y avait des barbelés partout. Tout le monde portait un uniforme et possédait des armes. C’est resté mon univers quotidien jusqu’à mes 17 ou 18 ans.
Penses-tu que cet environnement a contribué à faire de toi un rebelle ?
Je ne sais pas si je suis un rebelle… Avec mon père, tout devait être exactement comme il le voulait. L’idée que je puisse faire quoi que ce soit d’interdit était écartée méthodiquement. Après tout, c’était un homme dont le métier consistait à maintenir d’autres personnes dans le rang. C’était à lui, par exemple, de gérer ceux qui avaient enfreint la loi au sein de l’armée. Pour lui, j’étais une menace minime. J’aurais pu brûler la maison ou porter des vêtements de femme, ça n’aurait pas duré plus de trois secondes.
A cette époque, c’est moins avec la musique qu’avec la littérature que tu t’échappais. Te souviens-tu d’un choc littéraire ?
A 15 ans, j’ai lu Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. C’est merveilleusement écrit. Très poétique et puissant. Assez sinistre aussi. Et c’était tellement éloigné de ce que je vivais à l’époque. Ce livre regorgeait de descriptions de cet individu très libre, qui pouvait faire ce qu’il voulait, quand il le voulait. J’étais comme dans un rêve quand je le lisais.
Comment les autres enfants te voyaientils à l’école ?
Comme quelqu’un d’un peu louche. J’aimais bien provoquer les professeurs. Les gens pensaient que j’étais homosexuel. Certains professeurs ne m’aimaient vraiment pas. J’étais très solitaire. Je ne me suis pas vraiment senti seul pour autant, du moins pas jusqu’à mes 12 ans. Tous les enfants sont pareils, ils jouent au football, se battent, font semblant de faire la guerre. Mais en grandissant, j’ai commencé à dévier de la norme. Les écoles anglaises sont des endroits horribles. Tu ne peux pas être intelligent sinon tu te fais traiter de bouffon – et tu ne peux pas être bête non plus. Tu ne peux jamais gagner. Tu dois suivre le troupeau et être le gars avec le moins de personnalité. Je ne me laissais pas embêter mais j’essayais d’être moi-même. C’était difficile. Je me baladais souvent, je fuyais. Je quittais la salle de classe pour aller m’asseoir dans un cimetière et lire le NME. J’y ai d’ailleurs travaillé plus tard.
Quand tu étais plus jeune, t’intéressais-tu à la mythologie du rock ?
Pas du tout. D’abord, ce n’était pas très populaire. La mode, c’était la dance, la house. Moi, je me fichais de Kurt Cobain, Jim Morrison ou Jimi Hendrix, ils ne faisaient pas partie de mon monde. Je n’aimais que les Smiths, c’est tout ce que je connaissais. Quand j’ai rencontré Carl, il aimait beaucoup Nirvana, les Doors, le Velvet Underground. C’est lui qui m’a fait découvrir cette partie de l’histoire.
Te souviens-tu de ce que tu pensais de la drogue quand tu étais plus jeune ?
Je n’y pensais pas, ça m’était complètement étranger. Ils en prenaient parfois à l’école, mais pas moi. C’est plus tard que j’ai découvert les drogues. La première fois que j’ai pris un acide, c’était un peu comme une explosion dans ma tête. Presque ridicule, si étrange et effrayant. Tout a changé, la façon dont je regardais le monde, dont je me regardais. D’infinies possibilités s’ouvraient à moi.
Dans quelle mesure la drogue a-t-elle modifié ta vie personnelle, sociale ?
J’y voyais d’abord l’occasion de me faire de l’argent. J’avais accès à de la drogue bon marché, alors j’ai commencé à en vendre. J’allais à des soirées dans des entrepôts où je vendais des acides, du speed et de la marijuana. Je suis devenu assez connu à Londres pour ça. Je les gardais dans mon chapeau. Quand j’arrivais en soirée, les gens savaient à la couleur de mon chapeau, marron, noir ou blanc, quelle drogue j’avais. C’était devenu un code.
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