Diffusé ce lundi 19 février sur Canal+ Docs avant d’être disponible en VOD, le documentaire “Stranger In My Own Skin” de Katia de Vidas, la compagne du chanteur, retrace, quinze ans d’images d’archives à l’appui, la bataille du co-leader des Libertines contre l’addiction. Rencontre.
Ce dimanche de janvier, Peter Doherty et Katia de Vidas nous donnent rendez-vous dans un rade espagnol aux couleurs du FC Séville, à Paris. Juan Luis, le tenancier dont s’est entiché le musicien, nous accueille : “C’est fermé aujourd’hui, mais pour vous c’est ouvert.” Peter et Katia débarquent une dizaine de minutes plus tard, un bébé de sept mois dans les bras. C’est Billie-May, leur petite fille. Garé devant la taverne, un van noir flanqué d’une publicité maousse pour Stranger In My Own Skin, le doc réalisé par la compagne de Peter sur le chemin de croix de l’artiste, des ténèbres de l’addiction jusqu’à la lumière retrouvée de la création.
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15 ans de rush
Depuis deux jours, Doherty enchaîne les interviews. D’abord chez lui, à Étretat, puis le lendemain, à Paris, dans un palace guindé où il a reçu les journalistes de la presse étrangère dans un format junket – pendant six heures, à raison de sessions de sept minutes chrono, l’artiste voit défiler frénétiquement devant lui les micros tendus des reporters venu·es chercher les mêmes réponses aux sempiternelles mêmes questions sur la dope et la rédemption. Autour d’une bouteille de rouge et d’une assiette de pata negra, il prend un air facétieux, avant de prétendre nous filer un scoop qui devrait secouer le monde de l’audiovisuel français : “Hier, dans le lobby de l’hôtel, j’ai croisé Roman Polanski. Il discutait avec Gérard Depardieu d’un projet de film autour de la vie de Woody Allen, dont le script serait écrit par Michel Houellebecq. La B.O. ne sera constituée que de morceaux de Michael Jackson et Gary Glitter. Mais peut-être que je n’ai pas tout compris.”
Le type maîtrise l’art de la provocation. C’est sa façon à lui de susciter un décalage et de combattre le sentiment de l’absurde. Accessoirement, il retarde ainsi l’échéance d’une interview qui n’aura jamais vraiment lieu. “Tu sais, c’est difficile de rester sérieux quand on te demande toujours la même chose.” Une question se pose néanmoins : comment un artiste, dont les frasques ont été autant scrutées et documentées dans la presse à scandales au cours des années 2000, peut-il accepter aujourd’hui de remettre une pièce dans la machine et se laisser voir de façon aussi nue, brutale et sans concession que dans Stranger In My Own Skin ?
Le doc, initié par Christian Fevret (alors directeur de la rédaction des Inrockuptibles) et poursuivi par la réalisatrice après une première rencontre en 2006 à l’occasion du passage des Babyshambles au festival des Inrocks, devait suivre la trajectoire chaotique d’une icône rock contemporaine, avant de devenir le récit initiatique d’un jeune mec trop sensible au monde qui l’entoure, tombé dans l’héro et qui cherche, bon an mal an, à s’en tirer. À l’époque, Katia et Peter ne sont pas encore amoureux, même si, d’après la légende, Amy Winehouse avait prédit leur romance future et la naissance de leur gamine : “Deux ans après notre première rencontre, Peter me contactait quand il venait à Paris et me proposait de le suivre pour le filmer. Quand il s’agissait de trucs cool, j’y allais. Et petit à petit, de prises de vue publiques, c’est passé à quelque chose de plus intime. Moi, je me contentais de cumuler, il n’y avait pas vraiment de trame, ni d’idée particulière. Mais quand j’ai eu plusieurs moments assez forts, assez précieux, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. On se l’est dit, on savait qu’il y aurait un film, mais sans pression. Quand on s’est mis en couple, j’ai arrêté de filmer, parce que c’est devenu moins naturel”.
Peter : “Il y a des choses très personnelles dans ce film, mais si tu me demandes de ce que j’ai ressenti devant la caméra, je te répondrais que c’est comme si tu posais la question à la grenouille des films de David Attenborough [documentariste animalier britannique]. Je veux dire, la grenouille poursuit sa vie, elle suit ses instincts. Je ne pense pas qu’elle ou alors les dauphins et les kangourous se sont posé beaucoup de questions sur le documentaire en cours. D’une certaine manière, David Attenborough a su s’approcher au plus près, de sorte qu’on lui fasse confiance. Il était autorisé à filmer.” Katia : “Je ne t’avais jamais entendu faire une telle analogie !” Peter : “J’avais l’impression d’être ce tigre, filmé de loin. Au bout du compte, si David Attenborough et le tigre étaient tombés amoureux l’un de l’autre, ils seraient sûrement partis vivre ensemble dans la jungle après le tournage.”
Le chemin de la bénédiction
Stranger In My Own Skin est beaucoup de choses, mais c’est surtout un film sur la toxicomanie. “Katia ne s’intéressait pas spécialement à la musique et ne prenait pas de drogue. Et moi, la musique et la drogue, c’est tout ce que j’avais à offrir à l’époque. Il s’agissait de mes deux seules obsessions”, nous rencarde Peter. Le film charrie ainsi son lot d’images glauques, comme ces gros plans sur les seringues d’héro et la bave aux lèvres d’un Doherty en plein trip. Le montage alterne entre moments de grâce (Peter à la Flèche d’or en train de chanter Salome) et séquences sordides de bad qui nous rappellent le pire des romans d’Hubert Selby, Jr. (Peter dans sa maison de campagne, dans le Wiltshire, à Marlborough, sorte de taudis répugnant).
Mais jamais le film ne tombe dans le mélo moraliste. Katia : “La drogue a toujours été omniprésente, mais je la voyais au début comme quelque chose de récréatif. L’angle du documentaire a changé quand on a compris que dans le cas de Peter, il s’agissait d’une véritable addiction. Derrière la caméra, je ne juge jamais. La toxicomanie est une maladie. Blâmer un toxicomane, c’est comme blâmer un diabétique.”
Aujourd’hui, Peter est rangé des bagnoles. L’araignée qui grignote les petits bouts de cervelle des junkies et les pousse à l’acte a plié bagage, partie ronger le crâne d’autres infortuné·es tombé·es dans l’escarcelle de l’héroïne. Suivi de près par un addictologue qui lui injecte régulièrement une substance qui vise à contrecarrer l’effet de la dope en cas de rechute, le pote Doherty a retrouvé le chemin de l’inspiration. “I will create”, conclut-il, en voix off, tandis que la caméra le suit les pieds dans l’eau en contrebas des falaises d’ Étretat, sa nouvelle Arcadie.
Une guitare traîne dans un coin de la petite bodega parisienne. Peter aura passé plus de temps à en jouer qu’à parler de ce film qui a le mérite de reprendre le contrôle d’une histoire, la sienne, trop souvent exploitée par la presse de caniveau. On a vu comme un épilogue lumineux au documentaire ce moment où le musicien a chanté une berceuse de son cru à Billie-May, qui gigotait sur les jambes de sa mère comme dans une rave party.
Stranger In My Own Skin de Katia De Vidas (France, 2024, 90 minutes). À voir sur Canal+ Docs lundi 19 février, puis disponible en VOD.
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