A l’origine de l’obsession pour Pete Doherty et Carl Barât, il y a la fascination pour l’idéal d’un duo bohème, insoumis et flamboyant. Un mythe renforcé par l’amitié amoureuse qui lia les deux leaders des Libertines. Article tiré du hors-série des Inrocks consacré à Pete Doherty, disponible en kiosques.
Les clichés qui ont survécu aux mois passés dans un squat déniché dans l’East End londonien (The Albion Rooms) résument l’aura dont ils jouissaient déjà aux yeux de leur clique. Comment et dans quelles conditions arrivèrent-ils à Londres ? Il existe autant de versions que de témoins. Que s’est-il exactement passé aux Albion Rooms ? Une série en plusieurs tomes pourrait être tirée des anecdotes qui circulent encore sur cette courte période. “On avait des voisins allemands qui nous menaçaient avec des marteaux et tambourinaient à nos volets, raconte Carl. A côté de chez nous, il y avait un resto pakistanais. Les serveurs nous défiaient régulièrement au badminton. On a joué quatre nuits de suite dans la rue avec eux. On ne les a pas battus une seule fois.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Passons sur les visites ininterrompues de groupies, dealers, amitiés de circonstance et garde rapprochée qui chaque jour venaient enfler l’entourage d’un duo déjà lancé dans sa conquête des troquets minables de l’East End, puis des clubs de Shoreditch ou White Chapel – parmi les épicentres de l’indie londonien.
Cet obscur objet…
A cet instant, les Libertines existent déjà à travers une première mouture désassortie composée d’un certain Mr. Razzcocks (de trente ans leur aîné), cantonné aux fûts, et de Johnny Borrell (plus tard leader de Razorlight) à la basse. L’un et l’autre quittent prématurément le navire aux premières secousses. Nombreuses. Intenses. La presse britannique spécialisée devait plus tard les documenter.
[attachment id=298]A cette existence rock’n’roll pour laquelle on le place bientôt au centre d’une attention qui devait croître vers l’obscène, Doherty opposa d’abord son charme dilettante : “La rock’n’roll attitude, c’est un mythe, disait-il alors. C’est vivre et être soi-même. Ce n’est ni un son ni une façon de vivre. Juste un feeling. Le rock, c’est être à poil, honnête. C’est n’avoir rien à cacher.” Difficile de lire ces lignes sans songer à l’habileté avec laquelle ce garçon mettra plus tard ses frasques en scène… Mais pour l’heure, les Libs se présentent comme des frangins de sang du genre insoumis et gentiment cons. Qui ravissent leur monde par leur bohème, leur baratin sur Albion et Arcadia dont tout le monde se fiche, mais qui colle si bien avec l’étiquette British 100 % authentique qu’on tient à leur coller : le mythe du duo de guitaristes auteurs-compositeurs interprètes sensibles – voire romantiques –au répertoire simple, direct, à l’enthousiasme communicatif et capable de flanquer le grand frisson à n’importe quel organisme vivant.
Flamboyants sont les Libertines. Flamboyants par leur audace et leur sens esthétique du chaos. Flamboyants, aussi et surtout, par la charge quasi érotique qui se dégage de ces types jugés inséparables. C’est elle qui a fait rapidement oublier la bonne franquette d’un répertoire parfois cantonné – moins par choix que par limitation – à un troussage expéditif d’accords élémentaires et de rengaines reprises à tue-tête. Ce truc infiniment sexué et troublant – comme le rock en avait peu goûté depuis les anciens Jagger/Richards (pour ne citer qu’eux) –, c’est bien cela qui fonda le culte des Libertines. C’est bien lui qui convoquait le désir, commandait l’urgence. Lui qui fit de deux lads sans envergure des icônes rock en février 2002.
Trois ans plus tard, après des descentes et débauches sauvages dont on ne devait mesurer que plus tard combien elles avaient précipité leur combustion, les amants chastes d’hier en étaient à se mordre et à se houspiller.
Étreintes brisées
Entre eux, le mystère dont se nourrit l’amitié avait été piétiné. De l’intimité était née l’irritation. Puis le venin. Alors, ce n’est pas la dope, pas elle seulement, qui accéléra la rupture. Ce n’est pas un entourage infiniment plus attentif à ce que le fric continue de rentrer qu’au maintien de l’équilibre qui fondait le couple Doherty/Barât. C’est plutôt une interdépendance mue en colère, en trahison, enfin en dégoût qui eut la peau de ces gamins. Dès lors, aucune tentative de réconciliation ne pouvait prétendre réparer, et certainement pas ressouder, ce qui avait été brisé.
En février 2002, en visite à Paris pour défendre Up the Bracket, Pete Doherty risquait, narquois derrière une clope fumée jusqu’au mégot : “J’ai toujours cru en notre musique et en nos chansons, en notre art. Pour l’instant, nos vies sont à peu de choses près les mêmes qu’avant. Sauf qu’à présent on les vit sous les yeux des gens. On ignore encore quel effet cette gloire soudaine aura sur nous. Peut-être va-t-elle nous consumer. Peutêtre précipitera-t-elle le début de la fin.” Providentiel.
Article tiré du hors-série des Inrocks consacré à Pete Doherty, disponible en kiosques.
{"type":"Banniere-Basse"}