A l’origine de l’obsession pour Pete Doherty et Carl Barât, il y a la fascination pour l’idéal d’un duo bohème, insoumis et flamboyant. Un mythe renforcé par l’amitié amoureuse qui lia les deux leaders des Libertines. Article tiré du hors-série des Inrocks consacré à Pete Doherty, disponible en kiosques.
La saga Libertines est moins affaire de rock’n’roll que de jeunesse mythique. Moins affaire de talent que d’une fascination publique pour une liaison amoureuse tapageuse mue en passion mortelle. Les photos prises durant les années 2002-2004 disent bien l’intensité qui lia Pete Doherty et Carl Barât jusqu’à l’autocombustion. C’était peu avant l’enregistrement d’un second album miraculeusement arraché aux ténèbres de la dope, des excès et des empoignades désormais cent fois documentées.
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Ces frasques ont largement contribué à la réputation sulfureuse des Libertines, forgeant une mythologie de comète rock parmi les plus intenses que l’Angleterre ait produites durant la dernière décennie. Mais l’attachement viscéral du public pour ce gang ne se trouve pas seulement là, dans cette cavale juvénile vécue à fond la caisse. Plutôt dans le miroir qu’ont su tendre les Libertines à leur propre génération.
S’y reflétait un idéal de liberté. Une quête désordonnée du plaisir et de l’immédiat. Le clairon d’un vacillement du pouvoir au creux de la pop music. Doherty et Barât sont apparus alors que la jeunesse britannique se cherchait de nouveaux héros, alors que la Grande-Bretagne se réveillait migraineuse de ses bourrins arrogants façon Gallagher, de ses idoles arty ou consensuelles (Albarn ou Robbie Williams), tout autant que du règne interminable des pop DJ (Norman Cook). Une génération nouvelle réclamait ainsi son coup d’Etat. Pour cela, pas d’autre solution que de brûler les icônes d’hier. Les Libertines jouèrent des coudes, dispersèrent les cendres des aînés et offrirent à l’Angleterre la déflagration qu’elle réclamait.
Un pacte de sang
Doherty/Barât. Une histoire d’amour à mort, vécue dès ses prémices comme une course effrénée vers le sabordage par deux gamins un peu malingres, du genre de ceux qu’on rosse pour rire dans les cours d’écoles. A leur rencontre à Liverpool en 1997, l’un est déjà affligé de ce regard un peu triste et qui réclame la tendresse. L’autre porte cet air lunaire, encore poupin, comme arrimé à une adolescence capricieuse. Ce sont deux garçons sensibles, alors, touchants de sincérité juvénile. Maladroits et sauvages aussi, juste ce qu’il faut pour inquiéter et éblouir. Qui agacent en citant Wilde et Huysmans pour l’un. Les Kinks et The Stooges pour l’autre. Bref, pas des foudres de guerre. Deux gars comme il en existe par milliers, liés par une expérience commune de la dèche, du manque de perspective et, entre un paquet de clopes et un pack de bières, qui bâtissent un projet inaccessible fondé sur les sables de l’ennui et de la camaraderie.
Semblable aventure, le rock en a déjà tant compté. C’est en quelque sorte son ADN originel. Car, privée de navires bringuebalants conduits dans la fièvre et l’approximation, pas de mythologie. En tout cas, pas le début d’une histoire qui vaille d’être plus tard rapportée. Alors les Libs sont nés de ça : de la morosité, du manque à crever de chaleur humaine. D’un pacte de sang scellé dans un appart étudiant, puis sur les berges d’un canal où, à coups d’Opinel, on mélange son sang et on se promet la lune.
L’appartement est celui d’Amy-Jo Doherty, soeur aînée de Pete chez qui ce garçon baladé durant son enfance au gré des affectations militaires de son père (Chypre, Allemagne, etc.) vient souvent se réfugier. Puis prend racine. Adolescent, il est déjà un peu poète. Déjà poseur. Du genre à tenir un journal intime baptisé Book of Albion dans lequel il écrit, colle, dessine, peint, compose. Efféminé, oiseau mouillé, il connaît l’isolement à l’école, sans être pour autant au ban de la société collégienne. Il lit. Orwell ou Baudelaire. Adule les Smiths, mais aussi Django. On ne sait trop comment, mais il récupère une guitare et besogne pour un résultat médiocre.
Bref, pour Carlos Barât, au premier instant, Doherty Jr, c’est une tête à claques à ignorer. Mais aussi un être désarmant. Forcément fascinant. D’autant que ce gamin a si peu en commun avec lui, issu d’un milieu “bordélique”. Une mère hippie qui vit dans un bus et à qui il rendait visite de temps en temps quand son père, dévoué à une fratrie de six, le lui permettait. Barât a passé son enfance à échafauder des plans pour fuir Basingstoke (sud-ouest de Londres), avant de rallier Liverpool où il a survécu à force d’un nombre “considérable de boulots merdiques” : tartiner des sandwichs, passer des nuits à ramasser des souris mortes (“de quoi devenir dingue !”), homme de ménage dans les bureaux de la BBC ou dans des hôpitaux psychiatriques. Pendant ce temps, Pete “faisait pire” : creuser des tombes.
Le fric, la gloire, l’éternité
Premières heures. Peut-être premiers jours. On se jauge. On fait la roue. Enfin, on s’affronte sur un terrain commun : la musique. Barât a la main. Il possède un groupe. Un truc sans avenir baptisé The Riot, mais qui lui confère une autorité sur un Doherty encore ignare dans un domaine qui, quelques années plus tard, le sacrerait tout à la fois dauphin, roi et bouffon : le rock. “Quand on s’est rencontrés, rapporte Carl, on était deux vagabonds. Un peu largués mais sûrs de ce que l’on voulait. On a commencé un groupe pour le fun, rien n’était vraiment clair, mais on avait les mêmes rêves. Et ce n’était pas forcément devenir célèbres.” Plus tard, ils reviendront sur leurs origines pour souvent se contredire. Au gré des déclarations, les Libs se seront montés pour le fric, la gloire, l’éternité. Les filles ? Non. Les filles, ce ne fut jamais un problème.
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