On le connaissait introverti, ange à la voix céleste coincé derrière son piano. Avec « Too Bright », l’Américain Perfume Genius sort les griffes et livre un album plus rock, à la beauté singulière et animale. Rencontre, critique et écoute.
Paris, un jour férié de novembre. Adossé contre un mur à l’extérieur de la Maroquinerie, où il se produit le soir même, Perfume Genius prend le soleil. Arrivé la veille de Seattle, le jeune homme a les traits tirés. Vêtu en bleu de la tête aux pieds – un bleu céleste, très Magritte –, il dégage une grande douceur, chahutée par le rouge tranchant de ses ongles.
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“Je les porte parce que je trouve ça très beau, explique-t-il. Mais aussi et surtout parce qu’ils représentent cette partie de moi que je ne peux ni ne veux cacher. J’ai pu me sentir honteux par le passé et j’en ai marre. Si les gens ne se sentent pas à l’aise près de moi, c’est leur problème. Je ne changerai pas. C’est ce que j’ai voulu dire avec la chanson Queen.”
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Le premier single extrait de Too Bright, le nouvel album de Perfume Genius – un des plus beaux entendus cette année –, annonce en effet une révolution intérieure et esthétique dans la carrière du chanteur. Emmené par une mélodie synthétique qui rappelle, dans sa solennité et sa décadence explosive, le This Is Hardcore de Pulp, le titre, très camp, époustoufle par sa morgue pop, son assurance, son envie d’en découdre et de retourner le stigmate. “Aucune famille n’est à l’abri lorsque je marche en me déhanchant”, assène-t-il, pailleté et insolent, juché sur des talons aiguilles, dans le très beau clip qui accompagne le titre. Une posture qui étonnera les fans de la première heure.
Révélé par MySpace en 2010, Mike Hadreas, qui n’avait jamais vraiment pensé devenir musicien, s’était fait connaître avec des ballades cathartiques et déchirantes, d’une introversion extrême, compilées dans deux albums à la beauté inégale mais totalement addictive : Learning (2010), suivi deux ans plus tard de Put Your Back N 2 It. Dans ses titres joués au piano et chantés d’une voix céleste, angélique, dont le falsetto rappelait à bien des égards la pureté et la mélancolie d’un Roy Orbison, Hadreas racontait avec des mots crus les affres d’une existence tout droit sortie d’un roman d’Edouard Louis, placée sous le signe de l’insulte, de la maltraitance : l’adolescence marquée, sitôt le coming-out, à 15 ans, par les tabassages en règle de footballeurs, l’isolement, la fuite vers la grande ville ou encore le mal-être enfoui tant bien que mal dans l’addiction aux drogues dures et à l’alcool.
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Mr Peterson, sa première chanson, largement autobiographique, racontait ainsi le suicide d’un professeur après que fut mise à jour la liaison qu’il entretenait avec un de ses élèves encore adolescent. Dark Parts, magnifique titre extrait de Put Your Back N 2 It, narrait un inceste familial, perpétré par son grand-père sur sa mère. Sur scène et en interview, Hadreas apparaissait alors d’une timidité extrême, tremblotant, planqué derrière son piano.
“J’étais extrêmement flippé. J’avais du mal à concevoir que quelqu’un puisse écouter ma musique. En composant, c’était la même chose. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus conscient de cette relation-là. Je pense que cela se sent dans Too Bright. J’avais envie de faire quelque chose de plus adulte, de plus responsable.”
Oubliées les tentations victimaires. Digéré, recomposé, le passé ne constitue plus le seul terreau de sa musique, qui s’autorise aujourd’hui audaces nouvelles et libertés. Mû par une puissance et un souffle plus rock aussi, Too Bright multiplie les territoires et les identités. Perfume Genius l’a composé seul et produit avec son collaborateur habituel Ali Chant, assorti cette fois d’Adrian Utley, un des membres de Portishead, qui a conféré profondeur, larsen et inquiétante étrangeté à la musique de l’Américain.
“J’avais envie que les chansons aient l’air d’être arrangées pour un film de John Carpenter, avec ce côté synthétique et un peu flippant”, raconte-t-il.
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Pari réussi. Aussi brillant soit-il, Too Bright n’est pas un disque rassurant. Malmenés par Hadreas, formats et genres explosent et donnent naissance à un disque à la beauté animale et singulière, qui malaxe de manière très personnelle classicisme rock américain, musique liturgique (Fool), rock malade heurté à la Suicide (Grid, My Body) ou encore exultations synthétiques, sans jamais céder au confort, au happy end.
“C’est ce que j’aime dans les films français, conclut le jeune homme. On peut y développer des récits sans résolution, qui ne sont pas prémâchés. Ça peut créer de l’angoisse, du doute mais ça permet aussi le mouvement, la réflexion. C’est ce que je cherche à faire avec mes chansons. »
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