Dans une longue interview, Perfume Genius nous parle de sa collaboration avec Adrian Utley, revient sur son parcours, son adolescence et évoque son envie de travailler pour le cinéma.
Ton nouvel album est très camp, très différent que tes précédents. As-tu tout composé toi-même comme à ton habitude ?
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Oui. Puis j’ai rendu les chansons plus agressives, puissantes en studio. J’avais envie de faire quelque chose de plus adulte, de plus responsable. Une envie de retourner les injures, de les balancer à la gueule des auditeurs. Je pense que ma manière de réagir et de me voir a changé. C’est lié à la façon dont les gens me voient. Je me suis pris des injures toute ma vie. Ça arrive encore. Moins qu’avant, parce que je vis dans un quartier assez cool à Seattle, mais ça m’est encore arrivé il y a peu. Et ici aussi. L’été dernier, à Paris, je me suis fait traiter de pédé.
Tu penses que c’est à cause de tes ongles peints ?
En partie, et c’est pour ça que je les porte. Je trouve ça très beau bien sûr, ça me plait esthétiquement. Mais c’est surtout parce je ne peux pas les cacher, je ne pas faire comme si cette partie de moi n’existait pas. J’ai eu coutume de me sentir honteux, mal à l’aise, peu confiant. Je n’en peux plus de tout intérioriser. J’avais fini par ressembler à un psy, à tout analyser. J’en ai marre. Si les gens ne se sentent pas à l’aise près de moi, c’est leur problème. Je serai encore « pire » la prochaine fois. C’est un peu le sens de Queen.
T’a-t-on conseillé, au contraire, de te lisser, de ne pas mettre en relief ton homosexualité pour devenir célèbre ?
Oh oui. Mais quand on m’a expliqué que, si je voulais devenir célèbre et passer ma vie à chanter, puis voyager, et dormir dans des chambres d’hôtel – ce que je souhaite -, il fallait que je sois moins spécifique, que je parle moins de ma vie, cela m’a fait mal. Ce n’est pas juste de la rébellion ou l’esprit de contradiction. C’est qui je suis et j’aime être comme ça.
Et ces ongles, ce n’est pas tant une question de gay ou hétéro. C’est quelque chose qui me permet d’exprimer ma féminité.
Dans Queen, tu chantes : « Aucune famille n’est à l’abri, quand je me marche en me dandinant« . Penses-tu que l’homosexuel est toujours une figure subversive aux Etats-Unis aujourd’hui ?
Oui. Peut être un peu moins que quand j’ai grandi. Mais je pense qu’une partie des homos américains aujourd’hui ont envie d’assimilation, de fonder une famille, de ressembler à des hétéros d’une certaine façon. Et une autre partie – à laquelle je m’identifie – n’a pas du tout envie de cela et se sent toujours profondément différente. Je ne dis pas que c’est mieux. Les homosexuels ne forment pas un ensemble homogène.
Tu ne crois pas à l’assimilation ?
Je veux être traité en égal, pas en semblable. Je suis différent, c’est tout. Pas meilleur ou pire qu’un autre.
Tu as dit, dans une interview, que l’homophobie était moins prégnante que lorsque tu as grandi. Tu le penses ?
Oui je le pense. C’est aussi parce que ma peau est devenue plus épaisse. Tout s’est amélioré pour moi à partir du moment où j’ai quitté le lycée. Le lycée était un cauchemar. Je n’arrive jamais à croire quelqu’un qui me dit avoir passé du bon temps au lycée.
Pour cet album, tu as travaillé avec Adrian Utley de Portishead. Que représentait-il pour toi ?
Leurs albums ont été quelque chose de très important. J’ai usé Dummy jusqu’à la corde quand j’avais douze ans. Mon ingénieur du son lui avait filé des démos. Cela a tout de suite bien fonctionné. On s’est envoyé des titres puis je suis allé en studio avec lui à Bristol. J’avais envie que les chansons aient l’air d’être arrangées pour un film de John Carpenter, qu’elles puissent avoir quelque chose d’inquiétant.
On sent aussi beaucoup l’influence de Suicide sur certains titres. Un groupe important pour toi ?
On me l’a beaucoup dit. Et c’est marrant parce que je semble influencé par ce groupe que je ne connais pas vraiment. J’aime tout ce que j’entends d’eux.
Aimais-tu Elvis lorsque tu étais enfant ?
J’adore son look. Il me semble très attirant. Il a quelque chose de doux. Je pense que, de toute façon, l’ultra masculinité se confond presque toujours avec l’homosexualité.
Tu as appris seul à jouer du piano ?
J’ai pris quelques leçons mais j’étais très mauvais. J’ai appris à l’oreille. Je n’ai commencé à composer que juste avant le premier album. Je les ai postées sur Myspace et tout a démarré ainsi.
Tu ne t’étais jamais imaginé devenir artiste ?
Pas vraiment. Quand j’ai signé, je ne m’étais jamais produit sur scène. Je pensais devenir peintre ou écrivain quand j’étais ado. Mais musicien, pas vraiment. L’aspect visuel est resté très important pour moi, je porte beaucoup d’attention à mes clips. Pour moi c’est comme si je composais la bande son d’un film qui n’existe pas.
Tu aimerais composer une musique de film ?
C’est mon rêve. J’adore les films noirs, David Lynch. Lost Highway est celui que je préfère. Mon père m’avait emmené le voir dans un cinéma quand j’étais ado à Portland. Je me souviens avoir caché mes yeux parce qu’il y avait du sexe. En sortant, mon père m’a dit qu’il était vraiment nul. Je lui ai menti, j’ai acquiescé mais je l’avais trouvé génial ! Et ce film me fait encore totalement flipper. Il sait être drôle et totalement terrifiant.
Tu as vu Mommy de Xavier Dolan ? Le clip de Fool m’y fait penser.
Non pas encore. Mais j’adore Laurence Anyways.
Quels ont été les artistes qui ont compté pendant ton adolescence ?
J’ai adoré Liz Phair quand j’étais ado. Elle était si sexuelle, si explicite. Elle chantait toutes ces expériences et ces sensations qui fourmillaient dans mon corps et que je ne pouvais confier à personne. J’ai beaucoup aimé PJ Harvey aussi. Elle est très forte, flippante. Et ce que j’aime, c’est cette énergie 100% féminine, qui flirte avec l’animalité. Elle n’est pas du tout dans la réappropriation de codes masculins.
Tu as beaucoup changé sur scène.
Lors de mes premiers shows, je jouais, les gens venaient. Là, je suis plus conscient de la relation que l’on peut avoir avec le public et je me produis en conséquence, c’est très différent. Mais au départ j’étais terrifié.
Peux tu me parler de Dark Parts, la vidéo de la chanson qui racontait l’inceste qu’a subi ta mère. A t-elle facilement accepté d’y figurer ?
Je lui ai joué cette chanson avant de la faire figurer sur le tracklist de l’album. Mais cette chose à laquelle elle a survécu, cet abus perpétré par son père, ce n’est pas le genre de choses qui font que les gens t’applaudissent. On ne te félicite pas d’avoir survécu à cela. Cela m’a beaucoup aidé de la voir surmonter tout ça. Et j’avais envie de le lui dire. Je crois que ça l’a aidé. Ma mère est une des personnes qui m’a le plus soutenu avec ma musique. Elle a deux chihuahuas. Je m’identifie totalement à eux. Ce sont de petits chiens mais ils sont super bitchy !
A quoi ressemblait ton adolescence ?
Oh mon dieu j’étais taré. J’ai fait mon coming out à 15 ans, j’étais le seul gay de l’école. Mes amis étaient un peu gros, rejetés comme moi. Et j’en suis reconnaissant, parce qu’ils étaient vraiment géniaux. Je n’ai pas embrassé un garçon avant d’avoir 19 ans, ce fut une période difficile. Je me faisais tabasser par les footballeurs.
As-tu l’impression qu’on t’a volé une partie de ton adolescence ?
Oui. Après, d’une certaine façon, elle m’a rendu plus sauvage, plus déterminé. Mais j’enrage parfois de ne pas avoir eu de prom night. J’aurais tellement aimé ça !
Cela change ta façon de vivre le présent ?
Les bons jours, oui. Les mauvais, je m’en veux, je déprime. Aujourd’hui j’ai envie que ça change, j’ai envie de sentir que je fais partie de cet environnement. Et c’est très dur parce que je sais que je suis un marginal, un outsider.
Comment fais-tu pour y arriver ?
Je n’en sais rien. C’est dur parce que j’ai lutté toute ma vie pour les gens m’acceptent tel que je suis. C’est sûrement une négociation que je dois opérer avec moi même.
http://youtu.be/gbe94RDsKmk
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