Comment gagner en sérénité après une vie marquée par l’addiction et les traumas ? C’est tout l’enjeu de ce nouvel album.
Depuis quelques mois, Mike Hadreas a quitté Seattle où il résidait depuis de longues années. Avec son compagnon Alan Wyffels, qui joue du piano et chante avec lui sur scène, il a emménagé dans un petit pavillon, dans la paisible petite ville de Tacoma au sud de Seattle. Là, celui qu’on connaît, depuis le début des années 2000, sous le pseudonyme de Perfume Genius a entamé une vie calme, rythmée par de petites habitudes et toujours une intense composition musicale.
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« J’ai longtemps pensé que le monde était contre moi »
Un changement de taille pour Mike Hadreas qui a, pendant de longues années, tenté de noyer son instabilité dans l’agitation des grandes villes.
“Ma vie s’est améliorée. Je paye mon loyer, je suis avec la même personne depuis plusieurs années. Je ne suis plus celui que j’avais choisi d’être pendant longtemps : quelqu’un de perdu qui se tient dans les marges et n’a pas grand chose à offrir. J’ai longtemps pensé que le monde était contre moi.”
Pour autant, confie-t-il, cette nouvelle stabilité a été difficile à accepter. Le jeune homme, qui est sobre depuis huit ans, explique s’être senti perturbé, sur la défensive, absent mentalement.
“Je pense que quand tu as eu une enfance telle que la mienne, quand tu as été addict, ta façon même de voir le monde est chaotique. Le sentiment de sécurité ne va pas de soi. Il peut même être flippant. Je pense que ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Cela me pousse aussi à être créatif.”
Une beauté violente
Longtemps, la musique a fait office de catharsis pour l’Américain que l’on a découvert, en 2010, avec Learning, suivi deux ans plus tard de Put Your Back N 2 It. Deux disques inégaux, assez classiques dans leur facture piano-voix, irradiés par quelques titres à la beauté violente, frontale, dans lesquels le jeune homme révélait une voix céleste et racontait les abus, la maltraitance, le refuge dans la drogue et l’alcool. Sorti en 2014, le plus pop et ambitieux Too Bright sonnait l’heure de la rébellion, de l’affirmation de soi, avec la grandiloquence qu’elle comporte parfois. “Aucune famille n’est à l’abri lorsque je marche en me déhanchant”, chantait avec morgue Mike Hadreas perché sur des talons, les ongles peints.
Un tout autre sentiment conduit aujourd’hui No Shape, son nouvel album.
“Je ne chante plus en alpaguant les gens, en essayant de leur prouver quelque chose. Ce disque est pour moi, pour ma famille. Surtout, il parle du présent. Il est ma tentative d’être apaisé et de faire se tenir tranquille toutes ces pensées incessantes dans ma tête.”
Emotionnellement très détaché, Hadreas dit avoir du mal à entretenir un rapport personnel avec les autres, excepté dans sa musique. Celle-ci est étonnamment – ou inversement – intime et donne la sensation de n’avoir été écrite que pour vous.
Bruce Springsteen parmis les inspirations
Sur No Shape, enregistré en un petit mois à Los Angeles, Perfume Genius a encore travaillé ce sentiment de proximité avec son producteur Blake Mills (qui a entre autres travaillé avec Fiona Apple). Ce dernier a densifié et rapproché les voix, joué avec la réverb et poussé le musicien à travailler des instruments et harmonies nouvelles. “On était tous deux assez obsédés par les chœurs de femmes bulgares, raconte Perfume Genius. Je pense que c’est une des grandes influences du disque.” L’autre inspiration avouée, sur des titres tels que Slip Away, est Bruce Springsteen.
“J’ai eu envie de cette grosse chanson pop qu’il aurait pu écrire. Je me suis identifié à la confiance qu’il peut dégager. Je me suis demandé ce que donnerait ma musique si je me mettais dans cette peau-là.”
La réponse est tout bonnement ce qu’il a produit de meilleur et de plus cohérent à ce jour. Le disque, qui commence avec une grandiloquence pop très R.E.M. (Otherside, explosif premier titre qui rappelle Everybody Hurts), opère une relecture très personnelle de l’histoire de la pop américaine, mêlant ballades orchestrales à la Roy Orbison (Just Like Love, tube instantané), titres plus minimalistes et funky très eighties (le downtempo Go Ahead, entre Womack & Womack et Prince) ou encore approches plus expérimentales à la Agnes Obel (la mélancolique et magnifique Choir).
On sort empli de cet album, apaisé comme après un échange véritable et durablement hanté par des titres tels que Die 4 You. Une chanson chantée à deux voix avec son compagnon, inspirée par un fétichisme bien particulier qui consiste à jouer à étouffer son partenaire, à contraindre sa respiration.
“J’aime que les fétichistes sachent précisément ce qui les rend heureux. J’aime aussi l’idée de pouvoir donner toute sa respiration à l’autre, jusqu’à se perdre. C’est une des métaphores de l’amour dans ce qu’il peut avoir de plus absolu et extrême.”
Pourrait-il se livrer ainsi ? Il sourit. “Physiquement oui, si je me sens aimé. Mentalement, c’est une autre histoire.”
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