A 29 ans, le Bordelais sort un disque où il malaxe la synth-pop des années 80 et l’héritage du psychédélisme frenchie. Critique et rencontre.
Il reçoit chez lui, au treizième étage d’un immeuble des années 70, dans le XIXe arrondissement de Paris. Il offre le café et on s’installe dans le salon-bureau, face à l’immense baie vitrée, la tour Eiffel au loin. Parvient-il à se concentrer face à une telle vue-carte postale, un rêve pour touriste américain en goguette ? “Je me mets de biais”, répond Perez, avec l’exactitude que peuvent avoir les réponses données du tac au tac.
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Une définition-position qui s’applique parfaitement à sa musique et à la place qu’occupe ce talentueux jeune homme de 29 ans dans la chanson française. Car Perez ne file pas droit. Perez surprend, séduit, agace, clive. Pas assez parisien. Pas du sérail. Trop éclectique, trop littéraire, à part.
Singulière, la musique du Bordelais peut décontenancer. Elle est pleine de faux semblants, de recyclages pop, d’apparentes facilités, qui pourraient avoir un goût de déjà vu si l’on ne s’en tenait qu’à la surface. Comme Bashung époque Play blessures – un de ses disques de chevet –, Perez vrille la chanson française avec des influences électroniques et contemporaines et l’entraîne dans la pulsion pure, la nuit et ses excès, le goût du déséquilibre.
Première aventure avec Adam Kesher
Perez, prénom Julien, grandit à Bordeaux. C’est là, dans la ville d’Alain Juppé, qu’il forme ses premiers groupes. D’abord dans la scène hardcore, dont il affectionne l’énergie. “J’ai rapidement eu la sensation d’en faire le tour. Il y a quelque chose d’usant, dans la forme aussi.” Puis dans la bouillonnante scène indie-pop locale du début des années 2000 (Calc, Pull, Kim, etc.).
Avec un ami d’enfance, il forme Adam Kesher, un groupe de rock qui oscille entre electro, new-wave et punk-funk. Julien chante en anglais. Le groupe fait parler de lui, tourne aux Etats-Unis. L’aventure dure six ans, deux albums.
“On avait le sentiment de plafonner un peu. On n’était pas tous en mesure d’être indépendants financièrement. Musicalement, on avait plongé dans la mouvance The Rapture, on n’assumait plus tellement. La groupe a périclité, sans qu’il y ait d’embrouilles entre nous”, explique-t-il.
Installé à Paris, Julien décide de se lancer dans un projet solo pour “assumer les risques seul”. Il décide également de chanter en français.
“En anglais, j’avais la sensation d’usurper une identité, de ne pas me sentir vraiment à ma place. Il y a ce leurre aussi de penser que l’on va exploser à l’international grâce à l’anglais. Mais à part Phoenix… J’ai donc décidé d’assumer la langue française, non pas comme un repli, mais comme un objet avec ses qualités, contraintes, musicalités. Du coup, beaucoup de mélodies ne fonctionnaient plus.”
Le style Perez s’affirme sur un premier maxi, Cramer, sorti en 2013 chez Dirty Sound System. Son joyau s’appelle Le Prince noir, une longue exploration électronique, dark et minimale, sur laquelle il pose un texte très littéraire, romantique et cul.
Trouver la cohérence nécessaire au premier album
En moins d’un an, deux maxis très éclectiques suivent et montrent les différentes facettes de son travail : le très pop Gamine, qui laisse éclater un goût des mélodies appris chez Pulp ou Daho, puis le plus synth-pop Les vacances continuent, qui contient la fantastique reprise techno du Chrysler de Dashiell Hedayat. Perez les rode live, les enchaîne pour tenter de trouver la cohérence nécessaire au premier album, Saltos, qui vient de sortir. “Si je l’avais sorti il y a un an, cela aurait été bancal. Un premier album, c’est un saut important. Je voulais être prêt.”
Les titres sont enregistrés chez lui et également au studio Red Bull. Pierrick Devin (ex-Adam Kesher, Owle, Lilly Wood And The Prick) et Jean-Louis Pierot (Miossec, Dominique A) assurent les arrangements. Plus homogène que ce à quoi on pouvait s’attendre, le disque fait le choix d’une dominante electro-pop très 80’s (les tubesques Les vacances continuent, Gamine, Apocalypse, la guimauve Coup d’Etat), prend quelques virages plus rock épileptiques à la Suicide (Le Rôdeur), avant de trouver une résolution pop (Le Cirage).
De haute volée, les textes, très directs et narratifs, parfois empreints d’absurde, explorent la relation amoureuse, ses emportements et désillusions.
“Le lyrisme de la chanson française m’agace un peu, explique le jeune homme. J’ai souvent l’impression qu’on noie le poisson avec des formules toutes faites. Dire les choses de manière froide peut presque paraître obscène en français. Les Anglais, eux, ne se posent pas la question et parlent très franchement. J’aime jouer avec ça.”
Concert le 14/11 à Istres, le 19 à Tourcoing, le 21 à Villefranche-sur-Saône (festival Nouvelles voix en Beaujolais).
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