Peggy Gou ne se destinait pas à devenir DJ. Aujourd’hui, clubs et festivals s’arrachent la Sud-Coréenne qui, auteure d’un nouvel ep, est à l’affiche des Nuits Sonores et We Love Green. Un indice de l’importance grandissante des femmes dans un milieu très masculin.
Le débit de paroles est rapide, intense. A l’évidence, Peggy Gou est de ces personnes hyperactives qui vont d’un projet à l’autre et brûlent la vie par les deux bouts pour éviter l’ennui. Voilà déjà plusieurs heures qu’elle donne des interviews, multiplie les “hello, nice to meet you!”, mais la Sud-Coréenne, basée à Berlin depuis quelques années, maintient le rythme, sans jamais laisser percer un brin de lassitude.
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Sacrée “Techno Queen”
Il y a bien des moments où l’on se demande naïvement si elle n’accentue pas son flot de paroles pour aller à l’essentiel, histoire d’expédier la conversation et de retourner à ses occupations, mais non : Peggy Gou est ainsi, c’est une artiste qui aime l’urgence.
“J’ai besoin d’avoir un planning hyper-chargé en permanence, précise-t-elle. Là, je viens de publier mon nouvel ep, Moment EP, et de lancer mon propre label, Gudu Records, dans l’idée d’être encore plus libre que je ne l’ai jamais été. Mais j’ai plein d’autres choses pour les mois à venir, notamment un tas de DJ-sets à donner à travers le monde, et une compilation dans la collection DJ-Kicks à paraître fin juin.”
L’air satisfait, Peggy Gou évoque également son dernier projet, qui semble lui tenir particulièrement à cœur : la curation d’une soirée entière lors des Nuits Sonores de Lyon. “C’est un de mes festivals préférés, où je suis déjà venue deux fois. J’avais même été invitée par Black Madonna à l’époque…
“Gérer la programmation d’une soirée, j’ai pris ça comme une superbe opportunité”
Alors, quand on m’a proposé de gérer la programmation d’une soirée, j’ai pris ça comme une superbe opportunité, quelque chose qui me permet d’inviter des artistes que j’apprécie : Glenn Underground, que j’admire, The Mauskovic Dance Band, que j’ai hâte de rencontrer, mais aussi Ben UFO, Nu Guinea ou Yu Su, histoire de voyager un peu avec des artistes venus aussi bien d’Italie et d’Angleterre que de Chine.”
A chaque fois qu’elle aborde un de ses nouveaux projets, Peggy Gou a le sourire. Mais comment pourrait-il en être autrement quand on sait qu’elle est sollicitée par les clubs et les festivals les plus réputés de la planète depuis trois ans ? Peggy Gou a réussi, incontestablement, cumulant des centaines de concerts par an (plus de 200 en 2018…), des maxis signés sur de prestigieux labels (Ninja Tune, Phonica, Rekids), et même des formules médiatiques élogieuses, à l’image du magazine américain Interview qui l’a récemment sacrée “Techno queen”.
Une réputation qui l’amuse plus qu’autre chose. Parce qu’elle pense (à raison) évoluer dans une esthétique house, et parce qu’elle se moque bien des étiquettes. Tout ce qui l’intéresse, au fond, c’est d’être libre, indépendante.
Plus attirée par l’art que par la médecine ou l’ingénierie
Un héritage de ses jeunes années, visiblement : “Petite, j’étais une vraie rebelle. Je faisais toujours ce que mes parents m’interdisaient, d’où mon déménagement à Londres alors que je n’avais que 14 ans. J’étais un diable, c’était impossible de me canaliser…” Aujourd’hui encore, Peggy Gou ne sait expliquer pourquoi elle agissait ainsi. Par pure rébellion ? Par esprit de contradiction ? Ou simplement par envie de se démarquer d’une famille assez rigoriste dans son approche de la musique ?
Pas seulement, pas vraiment : “C’est juste que je ne tenais pas en place, que j’étais assez sauvage et que j’ai toujours eu besoin de liberté, là où mon frère était beaucoup plus studieux, à la grande joie de mes parents, assez conservateurs comme la plupart des Coréens.”
Loin des codes en vigueur dans son pays, et au grand dam d’une famille qui lui a longtemps interdit de voir ses cousines en raison de ses tatouages apparents, Peggy Gou est plus attirée par l’art que par la médecine ou l’ingénierie. Ce qu’elle souhaite, c’est chanter, composer et continuer à écouter ces artistes de K-pop et de hip-hop (A Tribe Called Quest, notamment) qu’elle se passe en boucle dans son Walkman.
“J’ai l’impression d’être plus libre qu’un tas d’autres artistes”
Etre DJ ne fait pas vraiment partie de ses plans. En Corée du Sud, seule l’EDM trouve grâce aux oreilles du grand public, et la jeune Peggy ne fait pas figure d’exception. Il faut même attendre son déménagement à Londres, où elle finit par étudier au London College of Fashion, puis à Berlin, suite à un problème de visa, pour qu’elle découvre la diversité des musiques électroniques, de la house à la techno.
“Depuis, je ne cesse de rattraper mon retard, de combler ces lacunes qui ont fait que des gens comme Gerd Janson ou Juju & Jordash n’ont pas donné suite à mes premières demos… De fait, tout va mieux désormais : on me sollicite, on me reconnaît et, comme je le disais, j’ai l’impression d’être plus libre qu’un tas d’autres artistes.”
Une vie passée à traverser les nuits l’esprit en fête
Le propos est fier, assumé, mais impossible d’y déceler une once de vantardise. C’est même tout l’inverse : Peggy Gou, malgré les tournées incessantes, les sourires de politesse et la bienveillance de la presse internationale à son égard, reste une de ces artistes au moral plombé par les questions existentielles.
La mort d’Avicii en avril 2018 n’y est pas étrangère : depuis, Peggy Gou dit avoir remplacé le gin tonic par les shots de gingembre et l’eau de coco, de peur de ne pas savoir gérer les excès. Ceux d’une vie passée à traverser les nuits l’esprit en fête, à écumer les clubs.
Il ne faut pas longtemps, trois, quatre questions à peine, pour comprendre que ce mode de vie a tendance à l’angoisser. Seulement voilà : la vie d’un DJ est ainsi faite, et mieux vaut tenter de canaliser cette anxiété.
Peggy Gou le sait. C’est notamment pour ça qu’elle pratique la méditation, fait régulièrement des exercices de respiration et a décidé de faire attention à son alimentation. Bien dans son corps, bien dans sa tête, paraît-il. Mais il faut croire que le goût de la fête est trop fort. Et puis, la Sud-Coréenne reste une optimiste. C’est sa nature profonde. Et ce n’est pas quelques réflexions sur la vie qui risquent de venir lui plomber le moral.
Les femmes enfin reconnues pour leur talent derrière les machines
Ni le sexisme dans le monde de la musique, d’ailleurs : “Si les mecs ne peuvent pas accepter la présence de femmes derrière des platines, c’est leur problème, affirme-t-elle. Nous, on avance. Et quand je dis ‘nous’, je ne parle pas simplement d’artistes féminines comme Nina Kraviz ou Amelie Lens.
Je parle aussi des DJ mecs qui commencent à se manifester dès qu’il y a une injustice. Par exemple, je sais que certains d’entre eux ont refusé de participer à des festivals où les femmes étaient moins bien payées. Les choses bougent, c’est cool.”
“On aura vraiment gagné quand on arrêtera de nous considérer comme des ‘DJettes’
Yaeji, Irène Drésel, Jayda G, Deena Abdelwahed, Helena Hauff ou encore Paula Temple. De toute évidence, Peggy Gou a raison : on vit une grande époque qui permet aux femmes d’être aussi reconnues que les hommes pour leur talent derrière les machines. Alors, forcément, elle ne cache pas sa joie.
Mais en profite tout de même pour émettre une réserve : “On aura vraiment gagné quand on arrêtera de nous considérer comme des ‘DJettes’ et que l’on ne parlera plus de sensibilité féminine dans notre approche de la production…”
Toutes ces idées, cette ambition et cette frénésie de sons ont fini par faire de Peggy Gou quelqu’un à part, une personne dotée d’une belle âme. Sur le plan artistique, une légende telle que Moodymann ne cesse d’ailleurs de vanter ses mérites, et cela ne peut être un simple hasard : Peggy Gou est une artiste qui fédère, dont les compositions touchent autant par leur complexité et leur technicité que par leur universalité. Elles sont celles d’une artiste qui ne vise pas uniquement l’euphorie sur la piste de danse – car trop méticuleuse, trop pop oserait-on dire.
Peggy Gou dit passer son temps libre à regarder des documentaires et diverses vidéos pour tenter de comprendre l’histoire de sa musique, et cela se ressent : Starry Night, Han Pan, It Makes You Forget (Itgehane), sans doute son tube le plus fédérateur, celui pour lequel elle a demandé à son meilleur ami de lui écrire quelques vers en coréen, tous ces singles trahissent un savoir-faire mélodique d’une profonde richesse, accrocheur et régulièrement porté par des influences non-occidentales, qui nécessite parfois chez elle plusieurs mois de réflexion.
“Sortir un projet représente pas mal de pression et demande beaucoup de travail”
“Le maxi Moment EP a nécessité plus d’un an de travail. Ça peut paraître extrêmement long, sachant qu’il ne contient que deux morceaux, mais j’ai besoin de temps pour évoluer et mettre au point quelque chose de différent des maxis précédents. Sortir un projet représente pas mal de pression et demande beaucoup de travail.”
Proche de ses fans
Il faut dire que Peggy Gou est dissipée. Lorsqu’elle n’est pas occupée à dénicher des nouveautés chez ses disquaires berlinois préférés (OYE Records et Hard Wax) ou à tester de nouveaux instruments (le gayageum, instrument à cordes traditionnel de Corée du Sud), la DJ/productrice rêve d’ouvrir son propre magasin de jus de fruits biologiques ou de monter sa propre exposition.
Ces derniers temps, elle a même mis au point un ventilateur alimenté par batterie afin d’avoir une bouffée d’air lorsqu’elle mixe en club. Sympa, elle en a également fait pour ses fans, dont elle se dit très proche.
Elle en est d’ailleurs persuadée : “Les gens ne viennent pas simplement écouter de la musique, ils veulent me voir. Ils débarquent avec tout un tas de girafes gonflables, mon animal préféré, et me donnent leurs baskets – d’où le nom de mon label, Gudu, qui signifie ‘chaussure’ en coréen. J’ai beaucoup de chance d’avoir ce genre de rapport avec le public, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu ça avec un(e) autre artiste depuis que je vais en club.”
Sauf qu’être l’icône d’une génération ne s’improvise pas vraiment. Et, de toute façon, ce n’est pas l’ambition de Peggy Gou. “Quand je parle avec les journalistes ou quand je ressens l’enthousiasme des fans après les concerts, j’ai parfois l’impression d’être une star. Mais non : je reste une jeune artiste, qui a encore un tas de choses à prouver et à proposer, notamment un premier album.” On lui a même déjà trouvé un nom : I Feel Gou.
ep Moment EP (Gudu Records)
Compilation DJ-Kicks (!K7 Records/Differ-Ant), sortie le 28 juin
Concert Le 30 mai à Lyon (Nuits sonores), le 1er juin à Paris (We Love Green)
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