Le producteur A. G. Cook a annoncé le 27 juin que son label cessera de publier de la musique originale après la fin de l’année. Une nouvelle qui tombe à l’heure où, pour le meilleur comme pour le pire, l’hyperpop mute en créneau stylistique. De quoi poser la question de l’héritage que laissera la structure qui aura contribué à son émergence.
La décision est tombée comme un couperet : alors que tout le monde s’attendait à voir PC Music fêter une décennie d’existence avec une nouvelle label night (soirée réunissant ses principales têtes d’affiches), comme la structure a l’habitude d’en organiser, c’est finalement d’un geste sobre, un message presque austère accompagné d’un mix sur Soundcloud, qu’une des maisons de disques les plus influentes de ces dix dernières années a annoncé sa mise en retrait. Un comble pour un label dont l’exubérance est ce qui définit depuis 2013 la musique de sa poignée d’artistes et qui, au cours de sa brève histoire, a réussi l’exploit de transformer son identité en mouvement plus vaste. Car si l’évocation de PC Music suffit à invoquer dans n’importe quel esprit l’hyperpop – ce style en vogue qui mobilise avec exagération les propriétés de musiques électroniques (dont expérimentales) et de l’esthétique pop –, l’héritage du label peut-il se limiter à la démocratisation de son registre phare ?
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En essayant de retracer le storytelling de PC Music émerge le sentiment que son héritage gravite davantage autour du label qu’il ne le concentre. Comme si tout s’était joué à sa frontière : de l’émergence de la bubblegum bass de Sophie, influence avant l’heure de l’hyperpop cristallisée au mieux dans sa compilation Product (parue chez Numbers), au coup de poker de Charli XCX avec l’EP Vroom Vroom (sorti par Atlantic), les musiques qui ont fait l’hyperpop ne sont pas issues de PC Music. Si on doit évidemment au label quelques sorties décisives, notamment 7G, véritable bible du registre selon son pape, A. G. Cook en personne, peu de ses signatures ont marqué l’histoire du style. Et rendre leurs honneurs à Hannah Diamond et Danny L Harle ne camoufle que difficilement – sans jugement sur la qualité de leurs productions – le relatif anonymat de Hyd, GFOTY, Namasenda, Caro♡, Ö ou felicita.
Un label de musique expérimentale
Bien que la tâche d’un label ne se limite pas à faire de ses artistes des stars, la question se pose : la filiation entre PC Music et l’hyperpop a-t-elle du sens ? La nier tiendrait de l’hérésie tant la place de la structure pourrait bien être celle d’un laboratoire d’expérimentation qui aurait permis au style et à celles et ceux qui l’ont fait vivre de se développer ; un vivier d’artistes pour expérimenter au sein d’une structure qui n’avait pas vocation à les propulser sur la scène mainstream.
En dépit du fait qu’il aurait été absurde d’attendre qu’un aussi jeune label fasse exister à lui seul un style qui n’existait pas il y a dix ans, la démarche d’expérimentation se ressent surtout à l’écoute des albums parus chez PC Music, comme Folder Dot Zip de Lil Data, disque de sound design et d’IDM radical qui a contribué à dessiner les contours du son de l’hyperpop, ses synthétiseurs stridents, ses beats industriels et sa déconstruction chronique. C’est aussi ce qui se perçoit dans l’emprunt par A. G. Cook de multiples alias, pratique historiquement utilisée par les labels pour gonfler artificiellement le nombre de noms dans leur catalogue, que le producteur semble avoir mobilisé pour se donner des cadres créatifs plus restreints que sous son vrai patronyme. Sous le nom Life Sim, il s’est par exemple essayé à la trance avec des productions finalement distillées dans le reste de ses travaux : l’euphorique Lightning Lipgloss Life, base évidente du Lipgloss de Charli XCX, ou I.D.L, réinterprété par lui-même dans le morceau Idyll.
Emulation capitaliste
Ces expérimentations musicales ont structuré avec elles un ensemble de symboles. Dans l’article “Hyperpop, maxicringe” publié dans la revue Audimat, la journaliste et critique d’art Julie Ackermann parle d’une musique qui embrasserait “la condition digitale et ses codes pour en montrer la monstruosité et transformer ce qui nous plombe en diamants”. Ce qui se joue dans la PC Music s’interprète en effet souvent comme une émulation ironique d’un capitalisme technologique auquel les voix déshumanisées, les sons industriels et toute l’esthétique hyperpop répondrait dans une euphorie déraisonnable. Le projet d’Hannah Diamond condense bien la démarche : image pensée comme une marque (depuis peu réelle, les initiales “HD” de la chanteuse invoquant le logo de Louis Vuitton) ; musique en forme d’absurdité pop à sensations fortes – probablement le meilleur projet du label, sinon le plus équivoque.
Sans qu’il s’agisse d’un héritage propre au label, celui-ci n’ayant pas le monopole de la subversion (on pourrait voir dans les lignes artistiques de Warp ou Posh Isolation des articulations critiques de la même veine), cet ensemble de symboles fait écho à la filiation particulière entre PC Music et hyperpop : sans être la maison-mère du registre, le label incarne un point de passage incontournable pour tous les artistes qui la font vivre.
De ses acceptions les plus mainstream (Charli XCX) aux plus cacophoniques (Putochinomaricón), toutes les figures de l’hyperpop (ou du moins celles qu’il faudrait considérer comme appartenant à la première vague du registre) sont affiliées à PC Music. Sans s’être contraint à publier tout artiste faisant évoluer le genre, ni même les plus célèbres d’ailleurs, le label demeurait une figure incontournable dans l’histoire de l’hyperpop. Et le fait d’avoir rappelé que c’est aussi le rôle d’un label de provoquer et d’héberger des accointances pour produire de l’art devrait faire partie de son héritage.
Lieu de rencontre
En somme l’hyperpop figure une rencontre entre les musiques pop et expérimentales dont PC Music a été le lieu. Le mélange n’a rien d’inédit (ce dont témoignent les carrières de Björk, M.I.A., Janet Jackson, Kate Bush ou Madonna), mais il a su résonner avec son époque en développant ses propos, sons et esthétiques. La fin de PC Music n’enterre évidemment pas le style, mais acte plutôt le caractère généralisé de l’hyperpop.
Pour beaucoup de jeunes mélomanes, les années d’activité du label ont représenté une des périodes les plus exaltantes de leur passion – c’est en tout cas ce dont semblent faire état les témoignages enflammés postés sur Twitter en réaction à l’annonce de sa mise en retrait. Mais la volonté de PC Music de singer les structures et esthétiques marchandes ainsi que les jugements de goût véhiculés par l’industrie musicale ne lui aura pas permis de résister à la capacité du capitalisme à se régénérer par ses marges : de la même manière qu’il est capable de produire et vendre ses propres discours critiques, le système peut se satisfaire d’un objet aussi grossièrement subversif que l’hyperpop (dont le nom même proviendrait d’ailleurs d’une playlist automatique de Spotify). Ce qui, qu’on considère cette perspective comme un problème ou pas, fait défaut au projet initialement moqueur du label. Devenir ce qu’il cherchait à critiquer était peut-être une issue inévitable pour un projet transpirant d’ironie décomplexée : dans ce contexte, le seul geste véritablement radical du label aura été de choisir de s’arrêter.
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