Après une une réunion avortée en 2020 pour cause de pandémie, les papes de l’indie rock, séparés depuis plus de 20 ans, entameront une tournée mondiale dès le début du mois de juin. En attendant un passage par Paris, le 27 octobre, au Grand Rex, Pavement réédite richement “Terror Twilight”, leur ultime album paru en 1999. Retour sur une carrière hors normes, avec Bob Nastanovich et Scott Kannberg.
À quoi reconnaît-on un groupe culte ? Quand, au mitan des années 2010, une kid de 17 ans répond à vos questions de journaliste en prétendant être la réincarnation de Stephen Malkmus, on peut considérer tenir un premier élément de réponse. La jeune Orono Nogushi, frontwoman de la formation Superorganism, a depuis réalisé son rêve, puisque le leader iconique de Pavement est crédité sur le dernier single des Londoniens, It’s Raining.
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Pavement est si culte qu’il semble avoir fallu attendre l’apparition de la formation de Stockton, Californie, à l’orée des années 1990, pour que le mot prenne tout son sens. Monté en 1989 par Malkmus et son pote Scott Kannberg, rejoints par Mark Ibold, Gary Young (très vite remplacé par Steve West) et Bob Nastanovich, le groupe aura traversé les années 1990 en toute décontraction, distillant tout au long d’une carrière aussi courte que celle des Beatles cinq albums sans cesse discutés, écoutés et réévalués par une communauté de fans indéfectibles, capables de vendre père et mère pour partager une piña colada avec papa Malkmus.
Après une séparation comme si de rien n’était en 2000, une réunion avec compilation best-of et tournée mondiale dix ans plus tard, une pléthore de rééditions et une image de marque sans cesse revigorée par une jeunesse qui n’a de cesse de citer le groupe comme référence ultime, Pavement s’apprête à reprendre la route. Après leur passage au festival Primavera Sound en juin, il faudra patienter jusqu’au 27 octobre pour les croiser sur la scène du Grand Rex, à Paris. Tandis que le groupe sort ces jours-ci une réédition massive de Terror Twilight, leur ultime album paru en 1999, nous avons refait l’histoire avec Scott “Spiral Stairs” Kannberg et Bob Nastanovich.
Dix ans après le dernier concert du groupe, Pavement devait se reformer pour deux dates très attendues à Barcelone et à Porto, dans le cadre de l’édition 2020 du festival Primavera Sound. Et puis la pandémie est arrivée.
Scott Kannberg – On devait faire Primavera, puis enchaîner l’année d’après avec une grande tournée. On fera d’une pierre deux coups en 2022, avec un passage à Paris le 27 octobre, au Grand Rex. Quand le Covid-19 a débarqué, je vivais à Mexico, je m’étais préparé à l’idée de partir en tournée, j’avais même prévu de mettre en boîte un nouvel album solo. J’avais hâte.
Bob Nastanovich – C’est très encourageant de constater que les gens attendent encore avec impatience de voir le groupe et que les salles sont prêtes à nous recevoir. Primavera a aussi été très patient sur ce coup. La pandémie, évidemment, a été terrible pour tout le monde, mais j’ai une pensée pour les plus jeunes que moi. Vous, les kids, avez perdu des moments précieux de votre vie, quelques-uns des moments les plus excitants. Mais tout ça est derrière nous et le plan n’a pas bougé. Je regrette juste qu’on ne fasse pas plus de dates en France.
Pavement a toujours était bien accueilli en France, n’est-ce pas ?
Bob – On est beaucoup venu en France, je me souviens de villes comme Lyon, Nancy, Rennes. Quelques-uns de mes artistes préférés en ce moment sont français, je pense notamment à Mansfield.TYA et ce groupe de rock de Perpignan, comment il s’appelle déjà ?
Les Limiñanas ?
Bob – Les Limiñanas ! Ils sont super. J’adore la France, j’ai beaucoup d’amis qui sont dans le business des courses de chevaux. L’année dernière, je suis allé à Chantilly, Deauville ou encore Longchamp.
Scott – Dans les années 1990, la plus grande salle que l’on a faite en France devait être le Bataclan. Je me souviens aussi de ce festival en Bretagne, avec Sonic Youth (la 14e édition des Rencontres Trans Musicales de Rennes, en 1992, ndlr.). Mais mon meilleur souvenir remonte à 1995, c’était dans le sud du pays, à Aix-en-Provence. On profitait d’un jour de repos en se promenant dans la rue et un type nous a accostés : “Hey, mais vous êtes Pavement, vous faites quoi ? Vous savez que c’est la Fête de la Musique aujourd’hui, tout le monde joue dans la rue, vous devriez faire la même chose.” On a fini par improviser un show dans un club minuscule, le Sunset Café. Il y a même eu un flyer pour l’occasion.
À l’approche de cette grande tournée 2022, avez-vous déjà commencé à répéter ?
Scott – Pas encore, non. On se retrouve à partir du 7 mai, à Portland. Je suis en train de réapprendre à jouer quelque chose comme quarante-cinq chansons, dont certaines que je n’aurais pas su interpréter si je n’avais pas les tutos sur YouTube. Tu te rends compte ? Ces types connaissent les accords de nos chansons mieux que nous. Avec Pavement, on jouait davantage au feeling, c’est cool de connaître les accords aujourd’hui. (Il se marre.)
Bob – Je pense que la setlist de Primavera sera assez classique, c’est ce que les gens attendent. Mais d’ici à la date parisienne, elle sera sans doute étoffée de choses plus surprenantes.
En dehors des activités de Pavement, vous arrivez à vous voir de temps en temps ?
Bob – On s’était retrouvé avec Stephen Malkmus dans le cadre d’un concert tribute pour David Berman (membre fondateur des groupes Silver Jews et Purple Mountains décédé en 2019, ndlr.), à Portland. Je croise Steve West de temps à autre en Virginie, parce qu’il ne vit pas très loin de chez ma mère. Je vois peu les autres. Mais c’est ainsi que Pavement a toujours fonctionné et quand on se retrouve, on rattrape vite le temps perdu.
Que faites-vous quand vous vous retrouvez généralement ?
Bob – On prend un max de drogues ! Je rigole, évidemment.
Peut-on espérer que les sessions de répétitions de ce mois de mai aboutissent à de nouvelles chansons de Pavement ?
Scott – On verra, on ne sait jamais. Tout peut arriver.
Bob – Malkmus est très occupé de son côté, pareil pour Kannberg avec son projet solo. Quant à moi, je n’ai jamais vraiment écrit de musique. Mais tout peut arriver, j’imagine. En 2010, lors de notre première réunion, ça n’était pas à l’ordre du jour, mais ça aurait été chouette d’offrir un petit quelque chose, ne serait-ce qu’un single de deux minutes. Ça aurait rendu les fans heureux. Cette année, on va passer beaucoup de temps ensemble à Portland, alors qui sait.
La dernière réunion remonte à 2010, avec un passage au Zénith de Paris, le 7 mai. Dix ans après la séparation du groupe, vous attendiez-vous à une telle ferveur du public ?
Bob – On a fait quelque chose comme soixante-quinze concerts cette année-là. Je me rappelle très bien du show parisien, avec The National en première partie. C’était fun. Je ne m’attendais pas à ce qu’autant de gens viennent nous voir en Amérique du Sud, dans des villes comme Rio ou Buenos Aires. En revanche, il y a des villes où le groupe a toujours été énorme, comme New York, Londres ou San Francisco. Pour te donner un ordre d’idée, on a fait Kansas City devant 15 000 personnes, ce qui me semble énorme pour un groupe qui n’a rien de neuf à faire écouter. Quand tu vois une artiste comme Björk, en plus d’être une musicienne incroyable, elle a toujours quelque chose de dingue à offrir visuellement, avec des lumières, des trucs scéniques complètement fous. Pas le genre de détail qui colle à l’image de Pavement. Dans les années 1990, on était un “full-time band” en quelque sorte, il nous est donc arrivé de faire plus de dates que ça en une année, mais la bonne nouvelle, c’est qu’on avait un bien meilleur niveau en 2010 qu’à nos débuts.
Pavement jouit aujourd’hui du statut de groupe culte et les jeunes générations y font d’ailleurs beaucoup référence. C’est quelque chose que vous aviez anticipé ?
Bob – Tu m’aurais dit ça en 1999, quand le groupe était sur le point de se séparer, je ne l’aurais pas cru. Nous avons toujours eu un public enthousiaste et loyal, je me suis toujours dit qu’il n’arrêterait jamais de nous suivre. En revanche, je n’aurais jamais pensé que des jeunes gens, plus de vingt ans après notre séparation, nous écouteraient encore ou que l’on puisse être aujourd’hui des références pour des jeunes musiciens. C’est formidable de constater que c’est le cas. On est toujours dans le coup visiblement ! Regarde le destin d’une chanson comme Harness Your Hopes ; c’est une vieille face B qui a failli ne jamais sortir.
Scott – C’est dingue cette histoire. Pour des raisons que j’ignore, c’est la chanson de notre répertoire la plus écoutée sur les plateformes de streaming aujourd’hui. Il faut dire que c’est un morceau catchy et très drôle, j’imagine que ça parle aux gosses. Quand le label a proposé de faire un clip pour profiter du succès de ce titre, on s’est dit pourquoi pas.
Bob – Pavement est un groupe pré-Internet. Imaginer qu’une chanson comme celle-ci devienne virale plus de 20 ans après, c’est comme se dire qu’il y aura des voitures volantes dans le futur. C’est un coup de chance, un truc de l’époque qui fait que tout se passe aujourd’hui sur TikTok. Et en même temps, si les gens écoutent le morceau, c’est aussi parce que le songwriting de Stephen et sa façon de jouer de la guitare sont uniques. C’est important de le rappeler : c’est l’une des raisons de la persistance de Pavement.
Scott – Je n’écoute pas tous les jours les chansons de Pavement, mais elles sont toujours là, quelque part, dans un coin de ma tête. Ce sont des morceaux fun à jouer et sacrément bien écrits. C’est sans doute un truc qui parle aux kids.
Vous avez déjà réfléchi aux premières parties de vos prochaines dates, d’ailleurs ?
Bob – Je ne sais pas si tu sais, mais j’anime un podcast avec mon pote Mike Hogan, ça s’appelle 3 Songs Podcast. On choisit trois morceaux et on disserte dessus. On doit être à 175 épisodes. Si tu fais la multiplication, cette émission m’a permis d’écouter plus de musique ces derniers mois que durant les cinquante premières années de ma vie. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas envie que cette nouvelle formation ne soit qu’une réunion d’anciens combattants. On s’en fout un peu du genre musical, on veut juste des jeunes gens intéressants autour de nous. Si tu demandes à Malkmus, je pense qu’il te dira qu’il est d’accord avec ça.
Scott – Il devrait y avoir des groupes plus jeunes que nous, oui. C’est un sujet dont il faut que l’on parle encore. Tu imagines le tableau ? Une bande de cinquantenaires qui se foutent sur la gueule pour programmer le groupe que chacun d’entre eux préfère ? (Il se marre.)
Bob – On a rencontré les White Stripes quand ils n’étaient que des teenagers. Jack et Meg devaient avoir à peine 17 ou 18 ans quand ils ont fait les première parties de Pavement. Je me souviens d’un promoteur qui ne faisait que se plaindre d’eux : “Pourquoi avez-vous choisi ces trous du cul pour ouvrir le show ! Ils sont nuls, cet abruti de chanteur ne chante même pas droit dans le micro.” Je lui ai répondu que ces deux gosses allaient être énormes et vendre dix fois plus de disques que Pavement. J’aurais dû investir dans l’indie rock plutôt que dans l’équitation, j’avais du flair. (Il se marre.)
Lire la deuxième partie de l’interview ici.
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