Son autobiographie imposante, Just Kids, et sa médaille de commandeur des Arts et Lettres ont-elles momifié Patti Smith ? Toujours très mystique, l’Américaine oppose un démenti formel avec un album électrique et ardent, son plus vivant depuis les années 70. Critique.
Au fond, cette vision sacerdotale n’a jamais vraiment abandonné la fille de Germantown, Pennsylvanie, issue d’une famille de témoins de Jéhovah, qui se souvient combien Jennifer Jones incarnant Bernadette Soubirous la bouleversa au cinéma. Sur sa table de chevet veillait déjà un portrait de Jeanne d’Arc. Dans les disques de rock, elle trouva “un salut adolescent inespéré” et plus tard se tailla à cette aune une croisade sur mesure. “Petite, je me voyais devenir missionnaire, rappelle-t-elle. J’étais très pieuse et assoiffée d’héroïsme. A la maison, nous devions vivre selon les Ecritures et quand j’ai embrassé la voie artistique, j’ai dû renoncer à ma religion. Ce fut une décision très intense et douloureuse qui continue même aujourd’hui à nourrir chez moi un conflit intérieur.”
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Pour écrire Constantine’s Dream, morceau de bravoure de Banga, elle est allée jusqu’en Italie sur les traces de François d’Assise, ce saint qui avait fait voeu de pauvreté absolue, de compassion illimitée, ce chercheur de Dieu qui voulait évangéliser les oiseaux et les bêtes féroces. “J’ai toujours admiré l’existence frugale, dépourvue de besoins subalternes. J’ai toujours voulu suivre cette voie du dénuement et de la contemplation sans en être capable. Parce que ma nature m’a toujours poussée à créer, à écrire, à enregistrer, à dessiner, à faire de la photo, je me suis finalement retrouvé à l’exact opposé de la figure abstinente, non productive du saint. Constantine’s Dream, qui était à l’origine une chanson inspirée par un cauchemar que j’ai fait à propos d’une apocalypse écologique, a finalement mis en avant cette question philosophique qui m’a toujours tenaillée.”
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle compte faire demain, vendredi saint, elle répond sans réfléchir, comme si tout était planifié : “Je vais aller dans une église pour me recueillir. Ensuite, j’irai faire une promenade dans un jardin. Paris n’en manque pas. J’adore cette période. Sa dimension métaphorique m’émeut toujours autant. Le rituel, la rupture du pain et ces paroles merveilleuses : ‘Ceci est mon corps, qui est donné pour vous… Faites ceci en mémoire de moi’ (Luc 22.19). Quelle belle introduction pour un texte de chanson !”
Au fond, si on y réfléchit, son mode de création a toujours été eucharistique. Son art s’est toujours nourri de la chair de ceux ou celles qui, comme Jésus-Christ ou Arthur Rimbaud, ont couru vers la mort pour entrer en gloire. Et l’élégie reste l’une de ses formes d’expression privilégiées. A ses débuts, elle écrivait des chansons en mémoire d’Edie Sedgwick et de Janis Joplin. Puis en vinrent d’autres, pour Gandhi, Andy Warhol, son mari Fred “Sonic” Smith, disparu en 1994, et même pour son chien (Come back Little Sheba). Sur Banga, elle en dédie une à Amy Winehouse (This Is the Girl) et une autre à l’actrice Maria Schneider (Maria), toutes deux décédées en 2011. “Je n’ai pas connu Amy, je ne l’ai même jamais rencontrée, mais sa voix me touchait énormément. En revanche j’ai connu Maria Schneider. Elle venait de terminer le tournage de Profession : reporter quand elle est venue nous voir en concert à L. A. C’était le milieu des années 70. Nous étions en pleine tournée Horses. Elle portait une chemise blanche, une cravate noire et une veste, exactement comme moi sur la pochette de l’album. Elle était plus jeune et plus vulnérable, dure mais vulnérable. Je l’aimais beaucoup. C’est sans doute la chanson la plus nostalgique que j’ai jamais écrite. S’y reflète à travers Maria l’esprit de cette époque où l’on était jeune et arrogant. Du reste, on ne peut être arrogant que jeune. Passé un certain âge, ça confine à la stupidité.”
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