Jeune artiste français exilé au Japon, Patrick Martinez aime tellement ses amis qu’il en fait des statuettes, puis des vidéos et des installations.
A ce jour ils sont huit, chacun réduit à l’état de statuette en plastique dur, chacun figé dans une pose, une fois pour toutes, pour le meilleur et pour le pire : Jacques, son tatouage de marin et ses pompes couleur argent, Alexandra les cheveux longs, Laurent les bras croisés, Christophe assis dans un fauteuil, Michel avec son bouc… « C’est un geste simple, j’ai commencé cette collection un peu comme on fait le bilan de sa vie ou le ménage de printemps. Un jour on a besoin d’y voir plus clair, alors on fait le tri dans les chaussettes et dans ses relations. C’est une façon de gérer sa vie à certains moments. » En même temps, le cercle d’amis de Patrick Martinez est prêt à s’élargir : commencée en 1996, la collection d’amis peut à tous moments, et tout au long de la vie, s’augmenter de nouvelles figurines. « Mais pour moi, tout ça n’a pas vraiment d’importance, ce n’est pas le sujet de mon travail. C’est un terrain de départ assez affectif, c’est vrai, mais c’est un peu comme quand je fais une installation sonore avec des musiques que j’aime. Evidemment, je n’ai aucune relation affective avec ces figurines en plastique, ce sont simplement des matériaux que je manipule au même titre que de la peinture et du dessin, des bibelots qui ont perdu leur identité de départ. Dans la pratique et à force de les triturer, tout devient de plus en plus abstrait. »
La collection des amis est donc d’abord une collection de formes, un matériau souple et multiple avec ses contraintes particulières et avec lequel ce jeune artiste né en 1969 à Besançon compose différents travaux : des sculptures où il tente de les faire monter les uns sur les autres, des effets de peinture, de dilution et de recouvrement qui transforment les visages des amis en monstres étranges ou acnéiques, mais aussi quelques rushs, comme si on était au cinéma avec de vrais acteurs, sauf qu’ici les figurines sont figées et que leur visage n’offre qu’une seule expression : pour animer l’image, pour monter un micro-récit, l’artiste est obligé d’utiliser tous les cadrages du cinéma, de recourir à toute une rhétorique visuelle. Champ et contrechamp, plongée et contre-plongée, travail des différents plans de l’image pour que la figurine ne paraisse pas naine, par exemple, à côté d’un simple caniche.
Présentée pour la première fois, la collection d’amis prend ici l’allure d’une installation, avec un mini-studio de tournage et un jeu ludique d’image dans laquelle on peut pénétrer. La question n’est évidemment pas de faire soudainement partie de ce cercle d’amis, Patrick Martinez ne bradant pas son amitié aussi facilement. Pas question donc de cette fausse et facile convivialité que certaines oeuvres d’art contemporain croient pouvoir établir à coups d’interactivité foireuse : « Je n’aime pas les oeuvres interactives, je n’ai jamais envie d’actionner les choses, et ça ne me vient pas naturellement. D’après moi, cette installation n’est pas interactive : c’est plutôt un piège, on est pris dans l’image. »
Seul dans la pièce, on est même gêné, on ne peut pas se voir sur l’écran, on est pris entre l’image et la sculpture où sont disposées les figurines. Tout est un leurre : la taille du plateau circulaire où sont posés les amis maintient le spectateur à une certaine distance, favorisant ainsi son cadrage et son apparition à l’image ; de même, les positions des figurines sur le plateau orientent le regard du spectateur et permettent de donner l’illusion qu’il s’entretient bel et bien avec les amis. Encore une fois, ce travail ne parle pas de l’amitié : en l’occurrence, c’est juste un dispositif-piège, une proposition plastique, la possibilité d’inventer de multiples micro-récits, c’est un dialogue entre une image et ses conditions réelles de production. Une expérience de cinéma.