Menés par un jeune Texan exaspéré, les Parquet Courts sont l’un des groupes les plus excitants et teigneux du circuit. Leur flamboyant nouvel album sent bon New York. Rencontre, critique et écoute.
C’est un riff à deux vitesses : lent ou frénétique. Il incarne la coolitude même, la nonchalance de dandy souillon, il implique que le guitariste qui le fait tourner en boucle, avec une grâce crâneuse, porte lunettes et cuir noir. C’est le son du rock de New York, la matrice de tout le rock hautain, pâle et maléfique qui découle du Velvet Underground, est passé à travers les herses du punk-rock chez Patti Smith ou Television, avant de bien finir chez les Strokes notamment. C’est le riff qui dit “ici c’est New York”, un monument historique et hystérique qui fait danser, pogoter ou pleurer – suivant sa vitesse. Si, contemplé depuis l’Europe, ce riff diabolique, détourné, détroussé, débauché du blues fait fantasmer, il rayonne aussi depuis des décennies sur les provinces américaines. Ici et là, loin de New York, chacun y trouve son bonheur, des Feelies du New Jersey aux Modern Lovers de Boston.
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Remonter l’arbre généalogique du riff ultime
Tous ces groupes, toutes ces variations autour du même thème, le jeune Andrew Savage, chanteur des Parquet Courts – un groupe punk qui a du chien plutôt qu’un groupe de punks à chiens –, les connaît par coeur. Il acquiesce fermement quand on lui dit qu’on ne connaît pas un fan des Feelies qui soit une mauvaise personne. Il les vénère, après avoir remonté par lui-même l’arbre généalogique du riff ultime depuis son Texas lointain. Il fait partie de ces têtes ébouriffées qui ont préféré se plonger, dans leur exploration assidue du rock’n’roll, dans les disques plutôt que dans les encyclopédies. Il connaît les chansons, intimement, mais pas forcément les contes et légendes. Une plongée sans guide, avec juste quelques accompagnateurs – dont un père érudit. Quand on lui demande à quel point ses albums, d’abord punks, ont compté dans sa vie et si, comme le chantait Lou Reed, elle avait été sauvée par le rock’n’roll, il répond que cette chanson “serait devenue sa devise s’il l’avait connue à l’époque”.
L’époque dont parle Savage est très récente : il vient juste de passer le cap des 25 ans. Sa vie alors se passe à Denton, au Texas, où il enchaîne depuis ses 12 ans les groupes sans lendemain, bruyants par obligation de testostérone. Même s’il refuse de décrire Denton comme une oasis au milieu du Texas, riche d’une stupéfiante fac en musicologie qui a notamment formé Midlake, il reconnaît que la ville est étonnamment propice à la musique.
“Mais parce que j’étais jeune, parce que j’étais un petit punk, parce que je n’avais aucun contrôle sur ma vie, parce que j’étais juste né là, j’ai naturellement dénigré et détesté ma ville à l’adolescence. Elle me semblait si pauvre culturellement, si banale… La créativité a été ma rébellion contre le Texas.”
De la suite dans les idées fixes
Il trouve vite une bande-son parfaite pour son exaspération : son premier contact intime avec le rock déchiqueté de New York s’appelle Sonic Youth. Ça le secoue dans les santiags.
“Je me sentais pris au piège au Texas, alors tout ce qui me faisait rêver d’un ailleurs était bon à prendre. Puis, au lycée, j’ai commencé à m’intéresser au Velvet, à tout ce son rêche, minimal, répétitif… Je voulais que les autres sachent que j’étais différent, que je ne vivais pas pour le base-ball, que je jouais dans un groupe. Je me suis construit sur cette musique. Même si je vivais au Texas, je savais très jeune que je formerais un jour un groupe new-yorkais.”
Ça sera chose faite en 2010, quand Andrew, émigré à Brooklyn, forme avec son frère et d’autres exilés presque tous texans ses Parquet Courts : on appelle ça de la suite dans les idées fixes.
“Je savais qu’une carrière artistique impliquerait des sacrifices, en termes de vie de couple, de carrière, de confort… Pendant deux ans, on a joué dans des bars, devant cinq personnes, on acceptait tous les concerts, on en sortait sans la moindre reconnaissance, sans la moindre lumière au bout du tunnel. Je pensais même que ça irait comme ça à vie : depuis dix ans, je tournais et il ne se passait rien, je survivais de petits boulots – j’ai longtemps été coursier à New York. Même avec Parquet Courts, les premières chroniques ont été pour le moins tièdes… On n’est pas devenus hip du jour au lendemain, on a connu le mépris, ça permet de relativiser notre popularité actuelle.”
Désinvolture sophistiquée
On a découvert les Américains en 2012, avec leur second album, l’irradiant Light up Gold, sans doute la meilleure raison de fréquenter du rock en Converse de New York depuis le premier album des Strokes. Heurté et pourtant mélodique, branleur et pourtant pointilleux du refrain : ainsi allait Light up Gold, tout en nonchalance mais aussi en érudition, excitant et plombant dans la même ardeur, la même moiteur d’un appart sans clim. D’où la surprise du nouvel album, Sunbathing Animal, qui révèle un groupe nettement plus sophistiqué, compliqué même parfois à l’occasion.
“Sophistiqué ne fait pas partie de mon vocabulaire, ricane Andrew Savage. En studio, je n’aime pas m’attarder sur les détails, je suis impatient, je ne veux pas faire ma chochotte. Mais je dois reconnaître que l’album est plus réfléchi, plus élaboré. Nous avions bouclé Light up Gold en trois jours dans notre local de répétition alors que là, nous avons enregistré sur plusieurs sessions, en studio, sur plusieurs mois… Mais on ne se refait pas : on a quand même enregistré l’album live !”
C’est justement cette excitation de jouer ensemble, cette désinvolture de façade qui vire à la transe, cette façon de pousser les chansons aux fesses pour aller plus vite encore que la musique qui rendent les concerts des Américains si glorieusement vivants, nécessaires. Là où tant de groupes récitent docilement le catéchisme du rock’n’roll, jusqu’à en adopter les moindres tics et soutanes, les Parquet Courts sont d’authentiques souillons, des impatients. A la Pavement, ils n’hésitent pas à ruiner un refrain céleste en pleine ascension, comme Johnny Cash flinguait dans sa chanson un homme à Reno, “juste pour le voir mourir”. Un art de la déconstruction que Savage a mis du temps à peaufiner, modeler. “Même dans mes premiers groupes, j’étais déjà sensible au songwriting, c’était un truc sérieux pour moi.”
Cuisiner sans répit
On lui dit que le mot “sérieux” fait sourire quand on se souvient de ses concerts foufous, il rétorque qu’on “peut être sérieux sans être pompeux”. Il parle d’un véritable honneur quand on évoque la récente signature de son groupe avec le label londonien Rough Trade. Il n’a rien oublié des vinyles adorés sortis par le label, se souvient “du rôle fondamental que cette maison a tenu dans le développement du punk. Tout le mouvement anglais tournait autour de Rough Trade. Leur boss Geoff me raconte des histoires incroyables sur cette époque, sur Jonathan Richman… Pour un ancien petit punk, c’est un délice”.
Un “petit punk” dont le refrain de Duckin and Dodgin serait influencé, dans sa puissance emphatique, “par la relation entre Staline et Chostakovitch ou Prokofiev”, et dont les paroles tournent sans repos autour de thèmes aussi complexes que l’enfermement, le repli sur soi. Car loin de l’image désinvolte qu’il tente de donner, il avoue écrire ses paroles en se mettant à nu, sans retenue, sans filtre, passant du rire aux larmes, ce qui explique sans doute leur complexité, leur ambiguïté. “La créativité est ce qui donne sens à ma vie… J’écris des nouvelles, je fais les pochettes du groupe, je cuisine sans répit… J’ai toutes ces formes d’expression à ma disposition pour me vider la tête. Cuisiner, c’est ma thérapie.” On lui demande ce qu’il cuisine. Il répond “épicé”. Evidemment.
Concerts le 29 juin à Marmande (Garorock), le 8 juillet à Paris
(Divan du Monde), le 9 à La Rochelle
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