Le guitariste négocie avec brio un virage orchestral et se fait son cinéma aux humeurs changeantes.
Depuis la fin d’Holden, on a vu Mocke traîner sa guitare aux côtés d’Arlt ou Chevalrex. En solo et en instrumental, il traverse ses plus sidérantes métamorphoses, de L’Anguille (2014) au St-Homard (2016), jusqu’à ce merveilleux Parle grand canard. Claire Vailler (Midget!, une autre de ses formations), en l’“abreuvant de musique classique, a nourri un tournant orchestral”, d’où cet album arrangé par Nicolas Worms. La nouveauté, la couleur de ce disque, c’est un octuor au long souffle minutieusement installé avec “la guitare au centre”.
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Et un certain sens du mélodramatique : bien que Mocke se moque un peu des BO (“J’adore Morricone, Hermann ou Rota mais je ne les écoute pas en dehors des films, et je n’ai pas d’images en tête quand je compose”), on visualise immédiatement les aventures en clair-obscur de son Mr. Buffala est un idiome. Ou ces paysages d’odyssées, comme le voyage d’Ulysse – celui de Joyce puisque Mocke a vécu à Dublin.
Chaque motif n’est introduit que pour muter
Thelonious Mocke ? Monk est son guide avoué, aux côtés de Ravel comme du jazz oblique de Matana Roberts et du folk cabossé d’Eric Chenaux. Le gourmand palmipède est aussi nourri de post-rock : on pense à Tortoise période TNT (1998) sur la vaste première plage, Quel est ton parcours ?, annonçant que la route bifurquera sans cesse. Chaque motif n’est introduit que pour muter, comme dans un rêve (les chœurs de L’Assiette sociale) où l’art des mélodies nous aide à cartographier ce territoire tout en nous y perdant de bonne grâce.
Mocke, lui, s’est fabriqué sa boussole : “Je marche au cahier des charges, à l’idée qui va m’orienter.” Il y a d’ailleurs quelque chose d’oulipien dans l’humour des titres, petites épiphanies langagières (Mon nom circule au ministère, pour un morceau aux cordes mélancoliques) dans un monde de notes.
Si La Part du chien est comme une ode à la corde pincée, ou grattée comme on gratterait des puces électriques, on trouve aussi des guitares qui sonnent comme des claviers – ainsi Autrui réclame un concept, avec ses percussions enivrantes derrière l’explosion de batterie. “Ce travail imposant s’est révélé extrêmement gratifiant”, se réjouit Mocke, qui voit ici l’explication du caractère affable de Parle grand canard. Car rarement une musique aussi méthodiquement pensée ne nous aura paru aussi chaleureuse.
Parle grand canard Objet Disque/Modulor
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