Avant la sortie des nouveaux albums de Empty Country et Allah-Las, on passe au crible leurs pochettes qui, chacune à leur manière, disent quelque chose de déclin de l’empire américain.
On raconte qu’en matière de justice et de politique, la situation aux États-Unis est inédite, voire “historique”. Outre l’éviction du président républicain de la Chambre des représentants, laissant présager une crise institutionnelle d’ampleur, un ancien président, Donald Trump, en pleine campagne pour la présidentielle 2024, est actuellement poursuivi pour des histoires de surévaluation des actifs de sa société et multiplie les sorties outrancières. Il est par ailleurs dans l’attente d’un autre procès pour avoir voulu traficoter les résultats de l’élection présidentielle de 2020, dans l’État de Géorgie.
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Avant cela, il y aura cette affaire d’attaque du Capitole, tentative de coup d’État qui ne dit pas son nom, dont le procès s’ouvrira début 2024, et, bien sûr, le procès des documents classifiés, gardés au chaud par l’oncle Donald après la fin de son mandat. Et tout cela, sans parler de l’affaire des versements d’argent à l’actrice Stormy Daniels, pour acheter son silence après avoir entretenu avec elle des relations sexuelles.
S’exiler
L’Amérique étant l’Amérique, le spectre de la réélection du golfeur orange pour un deuxième mandat plane néanmoins et plombe l’ambiance. Plusieurs artistes américain·es nous ont d’ailleurs déjà fait part de leur crainte de voir ce type soutenu et défendu par une part non négligeable de la population, (et qui peut compter sur le réseau social X (ex-Twitter), devenu sous la coupe du crétin Elon Musk un déversoir à conneries réactionnaires et j’en passe), reprendre le pouvoir. Ainsi, Andrew Savage, leader de Parquet Courts, nous confiait récemment avoir entrepris des démarches pour venir en France, effaré et effrayé par la tournure que prennent les choses outre-Atlantique, lui qui porte un regard sans concession sur son pays, plus déchiré, violent et irréconciliable que jamais.
Chan Marshall, aka Cat Power, évoquait quant à elle cette semaine, au cours d’une interview à paraître prochainement dans Les Inrockuptibles, la poussée conservatrice en Floride, où elle réside, et Trump, encore et toujours, qui semble incarner dans un être de chair et de sang toutes ses peurs. Si, chacun·e à leur manière, Andrew en filigrane dans ses chansons et Chan plutôt en prenant la parole sur les réseaux, narre pour l’un et dénonce pour l’autre l’état décrépit des États-Unis, deux albums sortant ces jours-ci illustre le chaos ambiant par l’entremise de leur pochette de disque.
Chaos ambiant
Le premier, c’est Zuma 85, des Californiens Allah-Las. La photo, signée John Divola, immortalise un coucher de soleil magnifique sur l’océan, depuis l’intérieur d’une vieille bicoque donnant sur le Pacifique. Au premier plan, le sol est jonché de détritus et les rideaux sont en lambeaux, comme après un incendie. Pour Miles Michaud, leader de la formation de Los Angeles, que l’on a croisé avant son concert parisien, cette dichotomie montre d’un côté l’idée que l’on se fait du groupe et de l’autre, sa face la plus sombre, celle dont on ne se doute pas. Par extension, elle dit quelque chose de l’Amérique, et notamment de la Californie, paradis rêvé et cauchemar halluciné, rongé par la drogue, la misère et la violence sociale deux blocs plus loin.
Le deuxième, c’est Empty Country II, de Empty Country, groupe de Joseph D’Agostino, ancien leader de la formation indie de Staten Island, Cymbals Eat Guitars. Son album, dont on parlera dans le prochain numéro des Inrocks, ressemble à un recueil de chroniques sur la vie et la mort en Amérique, celle des petites villes ouvrières et des banlieues en jachère où suinte l’ennui.
La pochette est, là encore, une photographie, prise par la compagne de Joe. Elle saisit la façade d’une épicerie abandonnée, upstate New York, à quelques encablures de la maison des parents du musicien. Il nous raconte : “Je voulais photographier cette façade depuis des années, afin de l’utiliser pour quelque chose en rapport avec la musique. Je me sentais anxieux et j’avais l’étrange sentiment que nous n’avions plus beaucoup de temps pour la saisir. Finalement, en août 2022, ma femme a pu prendre ce cliché. Le JOUR même où nous avons récupéré le tirage, ils avaient arraché les lettres de la façade. C’est une cage d’entraînement pour le base-ball aujourd’hui. Assez étrange.” Assez étrange, en effet, de voir que certain·es peuvent encore documenter avec finesse et d’autant plus de sidération le déclin de ce grand territoire, quand celles et ceux qui continuent de le précipiter dans le désarroi s’échinent à faire croire qu’ils sont des patriotes et des défenseur·euses de la liberté.
Édito initialement paru dans la newsletter Musiques du 6 octobre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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