Inconnu il y a douze mois, quand le groupe végétait sur le paillasson de Radiohead, Coldplay vient de donner à l’Angleterre une magistrale leçon d’écriture pop et romantique avec Parachutes. Un premier album à découvrir sur scène,où ce lyrisme voltigeur gagne de l’altitude. Coldplay ne changera peut-être pas la face du rock anglais, il vient […]
Inconnu il y a douze mois, quand le groupe végétait sur le paillasson de Radiohead, Coldplay vient de donner à l’Angleterre une magistrale leçon d’écriture pop et romantique avec Parachutes. Un premier album à découvrir sur scène,où ce lyrisme voltigeur gagne de l’altitude.
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Coldplay ne changera peut-être pas la face du rock anglais, il vient en tout cas de lui rendre un peu de son âme. Et peut-être sa dignité, alors que les lendemains qui chantaient autrefois Champagne supernova menacent un peu plus chaque jour de s’étouffer dans leur propre vomi : accueilli outre-Manche par un concert de louanges et un triomphe inattendu (directement en première place des charts, d’où il a délogé Eminem), Parachutes, le premier album de ce tout jeune quatuor officiellement né à Londres il y a trois ans, s’inscrit en effet dans cette lignée de disques providentiels qui, de The Stone Roses à Definitely maybe, parviennent à stigmatiser les désirs et les frustrations d’une époque. Des albums qui se changent invariablement en irréductibles machines à fabriquer du rêve pour toute une génération. Avec trois fois rien, comme souvent : une voix, tout de même, dont on ne pourra ici s’empêcher de juger l’impeccable maintien et les acrobaties encore prudentes à l’aune des canons définis par Thom Yorke ou Jeff Buckley, virtuoses de la descente (de gammes) en rappel. Avec aussi un piano, et ses harmonies sur lesquelles les guitares viennent délicatement tisser des fleurs de lune. Avec, surtout, une impressionnante collection de chansons, bêtes comme des citrouilles, que Coldplay transforme d’un coup de baguette magique en de somptueux carrosses aux selleries cousues d’or. Un véritable conte de fées en onze chapitres, dont la préface fut écrite il y a quatre ans à l’ombre des solennelles colonnades de l’Université de Londres : « Nous avons fait connaissance à l’University College London, où nous étions tous inscrits dans des disciplines très différentes : j’étais en histoire, Jonny en physique et astronomie, Will en anthropologie et Guy en ingénierie. Nous débarquions des quatre coins du pays. Notre chance fut d’être logés dans la même résidence universitaire. C’est là que nous avons eu le temps de devenir de très bons copains, car avant de songer à faire de la musique ensemble, nous étions déjà sans cesse fourrés les uns chez les autres. C’est ainsi que Jonny et moi avons commencé à élaborer nos premières chansons communes. Le résultat de cette collaboration nous a tout de suite stupéfaits. Ce n’était pourtant rien comparé à ce qui s’est produit lorsque Guy, puis Will, nous ont rejoints. Un groupe, c’est toujours un peu plus qu’une simple somme d’individualités : chacun devient ce que les autres font de lui. Si l’alchimie était là, il nous fallait pourtant encore travailler avant d’imaginer donner le moindre concert. Aussi avons nous répété, tous les jours pendant presque un an, dans nos chambres, ne mettant le nez dehors que pour aller voir d’autres copains se produire sur scène. La vie nocturne londonienne, les clubs, tout ça ne nous a jamais attirés : au lit tous les soirs à minuit ! »
Cette ascèse studieuse, Chris Martin, Jonny Buckland, Guy Berryman et Will Champion, dream-team dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 21 ans, en partagent le goût avec leurs aînés de Radiohead, dont ils ont aussi vraisemblablement chipé les pédales d’effets et les instruments et à qui on a déjà beaucoup (trop) comparé Coldplay. Un peu comme si ce Parachutes tombé du ciel, qui n’affiche au final qu’une parenté conjoncturelle avec la musique du quintette d’Oxford, était tout à coup devenu le seul espoir de repli au cas où le très attendu quatrième album de Thom Yorke et des siens, prévu pour l’automne, décevait. Son airbag. Son poumon d’acier. Cocasse. Petite mise au point : « Nous sommes parfaitement conscients que nous évoluons sur un terrain où d’autres artistes se sont déjà illustrés. Il faudrait être sourd ou d’une mauvaise foi à toute épreuve pour affirmer que ce disque n’a pas été influencé par son époque. Cela dit, notre son est amené à évoluer au gré des goûts de chacun et de nos progrès dans la maîtrise du processus d’enregistrement. Les Beatles sonnaient au départ comme n’importe quel groupe sixties : ce sont le temps, le talent et George Martin qui les ont rendus uniques. »
C’est pourtant vrai qu’on aurait aimé ne jamais avoir écouté Radiohead, ou même The Verve, avant Coldplay. Qu’on aurait préféré que ce soit une oreille encore vierge qui découvre les longs drapés mélodiques de ce Parachutes et s’abandonne à leur moelleux. Entre folk irisé de reflets mercuriaux et rock amniotique, le premier album de Coldplay évoque pourtant tout naturellement ces albums de ballades qu’enregistrent encore quelques solistes jazz. Et ses deux uniques concessions à la dictature des formats radios, Shiver et Yellow, se payent le luxe d’étaler leurs guitares furibardes et leurs rythmiques concassées sur plus de quatre minutes trente. Un premier album d’une ahurissante maturité, où l’on croise les Beatles (période bleue) et Pink Floyd (période rose), Tom Waits et sa majesté King Crimson (aux services secrets duquel œuvre le splendide Spies, l’un des sommets du disque) ou encore Randy Newman (Everything’s not lost) : normal, ils ont tous (ou presque) assisté aux séances d’enregistrement de Parachutes. « Lorsque tu fouilles dans la discothèque de tes parents et que tu tombes sur une vieillerie qui, à l’écoute, n’a pas pris une ride, tu te prends à rêver d’enregistrer un jour ce genre de disque. Quand est arrivé le moment de passer à l’acte et que nous sommes entrés en studio pour enregistrer notre premier album, nous avons trouvé là une vingtaine de disques épinglés au mur : Dark side of the moon, Revolver, des disques de Dylan, de Neil Young, de Tom Waits, des Stones. Rien que des classiques ! Des disques techniquement imparfaits, mais tous bouleversants à leur manière. C’était très intimidant. Nous aussi, nous avons préféré nous concentrer sur les chansons, car nous voulons que les gens croient à ce qu’ils entendent. Tout le reste nous semble pour l’heure parfaitement superficiel. » Une proposition esthétique d’une confondante naïveté, presque une épure, qui ne surprendra personne de la part de ces attachants novices. Ceux-là même qui, récemment vus sur scène à Paris lors d’un concert qui se termina trop tôt avec une étrange reprise de You only live twice, revendiquaient leur statut de professionnels avant que leur chanteur ne se gamelle magistralement au milieu d’un couplet, provoquant l’hilarité de ses camarades. Ainsi travaille donc Coldplay : sans filet, insolemment confiant en sa bonne étoile. Et tant que son Parachutes planera à des kilomètres au-dessus du lot de ses contemporains, on ne voit aucune raison à ce qu’il en soit autrement.
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