De passage à Calvi pour des « sets itinérants » de plage en plage, Para One s’est confié sur ses projets: un premier film et un album en préparation. Même sous le soleil corse, le DJ fait son job à plein temps.
Chaque année, tu participes à Calvi on the rocks. Tu commences à avoir tes habitudes ?
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Para One – Oui, je n’ai plus besoin d’appeler l’hôtel pour obtenir une chambre avec vue sur la mer (Rires). La première fois que je suis venu ici, c’était en 2006. J’y allais pour jouer mon live et j’ai rencontré des personnes qui sont devenues par la suite, mes meilleurs amis. J’ai rapidement compris que Calvi on the rocks était un lieu de pélerinage obligatoire chaque année. L’année dernière, j’avais fait un set de plus de 4h. Cette année, c’est différent. Je me balade avec ma clé USB, sur la plage, dans la villa schweppes, sur le site du festival, et dès que je peux jouer, je joue. Ce n’est jamais officiel car il y a aucune annonce mais je me retrouve à jouer tous les jours.
Tu as récemment rejoint le label Ed Banger, pourquoi ce choix de quitter ton écurie Marble.
Nous n’étions plus en mesure de faire fonctionner Marble correctement parce que l’on travaille actuellement sur de nombreux projets. Je bosse sur l’écriture d’un film, Surkin est également sur un projet assez ambitieux. Comme j’étais depuis longtemps chez Because en distribution, intégrer Ed Banger ne changeait pas grand chose d’un point de vue contractuel. Ce sont les mêmes équipes avec Pedro Winter en plus.
Qu’est ce qui t’a donné envie de les rejoindre ?
Pedro Winter m’a convaincu qu’Ed Banger a de très belles années à venir avec de futurs gros albums comme ceux de Cassius, Breakbot ou encore Justice. Nous allons vivre la seconde vague d’Ed Banger et je suis très fier d’en faire partie.
Quel est ce projet de film sur lequel tu travailles ?
C’est un film que je co-écris avec Céline Sciamma. Il s’agit du scénario d’un long métrage de fiction donc je serai le réalisateur. Il y a une vraie complicité entre Céline et moi, nous étions à la Femis ensemble. Je fais la musique de ses films (Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles ndlr) et elle écrit les scénarios de mes films (Les Premières Communions, Cache ta joie ndlr). C’est une collaboration qui va dans les deux sens.
Depuis quand penses-tu à tourner ce film ?
Ca fait 10 ans que je réfléchis à cette idée, de plein de manières différentes. J’ai compilé plusieurs embryons de scénarios qui ne collaient jamais ensemble. Là, je suis enfin parvenu à trouver un angle conceptuel qui me permet d’aborder la narration du film d’une manière plus sereine. Donc cette fois, on va au bout, c’est sûr.
Chris Marker a été ton directeur d’études à la Femis, son cinéma influence ton écriture ?
C’est vrai que Chris Marker a une énorme influence sur moi, mais tout autant que les films de Lynch, Hitchcock ou Tarkovski. Mes premiers amours de jeune cinéphile se télescopent forcément dans ce projet. Je pense forcément aussi à Carl Theodor Dreyer qui est l’une de mes références absolues.
Appréhendes-tu différemment l’écriture d’un scénario de tes compositions d’album ?
Un scénario reste très abstrait, c’est le problème. La littérature permet, grâce au style, de concrétiser quelque chose, il y a des émotions. Mais un scénario n’est pas censé être stylistiquement “bien écrit”. Et puis c’est une écriture complexe parce que c’est comme si vous aviez toujours un mobile au dessus de la tête qui bouge en permanence. Déplacer un élément scénaristique fait bouger toute la structure. Il faut un effort d’abstraction énorme qui est épuisant.
Il y a une forme d’intranquillité dans l’écriture que tu ne retrouves pas dans la composition de ta musique ?
Oui, la musique apporte une satisfaction immédiate, charnelle, presque physique. Un déplacement d’air qui fait tilter nos oreilles et qui fait que ça marche. Après on retrouve une structure dramaturgique dans l’écriture ou la composition d’un set mais c’est vrai que l’écriture reste pour moi assez éprouvante. Mais c’est marrant de parler de ça puisque là, paradoxalement, nous venons de vivre une épiphanie au niveau du scénario. On galérait, ça bloquait. Céline est arrivée avec 3 ou 4 idées fortes qui ont permis d’assembler plein d’éléments que nous souhaitions utiliser mais qui ne marchaient pas ensemble. Et là, tout fonctionne. C’est génial quand on parvient à résoudre des problèmes qu’on avait depuis 6 mois.
Qu’est-ce que t’apporte Céline Sciamma ?
Je peux avoir des idées originales mais pour les faire fonctionner, j’ai besoin de Céline. Elle met du sens, elle inverse des choses, elle créé des personnages, elle enrichit tout. Aujourd’hui, on écrit tout à deux et on ne réfléchit même plus à qui fait quoi.
Vous avez déjà identifié des acteurs ?
Nous avons des pistes de casting, mais plus pour des personnages secondaires. Pour l’instant nous n’avons pas envie de figer les personnages principaux dans un visage.
Vous avez une date prévue pour le tournage ?
Nous aimerions bien tourner dans un an. C’est l’hypothèse très haute, ça voudrait dire que nous sommes financés, que l’on a un producteur et un distributeur.
C’est un aboutissement pour toi de réussir à conjuguer tes deux passions ?
Mon aboutissement personnel ça serait d’arriver au bout de ce scénario mais nous n’y sommes pas encore. Pour l’instant, ça reste encore de la science-fiction pour moi.
Ta nomination aux César 2015 pour la bande originale de Bande de filles représente déjà une belle forme de reconnaissance de la part du milieu du cinéma.
J’en suis très fier surtout que j’ai tout de suite vu l’impact que ça avait. Je ne m’y attendais pas. J’avais oublié que c’était possible d’être nommé. Lorsque je l’ai appris, j’étais en studio et j’étais le premier surpris. Concrètement, tu vois ton téléphone sonner de manière magique où des personnes, d’un seul coup, se rappellent de toi. Il y a un coté pris au sérieux, c’est une validation pour beaucoup de gens de ma capacité à faire des films.
Qu’est-ce qui t’a plu récemment au cinéma ?
J’ai beaucoup aimé Mad Max. Cette représentation de la femme à plusieurs niveaux de féminité et de hiérarchie sociale, je trouve ça fort. D’ailleurs, je trouve que les avancées du féminisme moderne se jouent aujourd’hui dans Mad Max et Caitlyn Jenner, le beau-père de Kim Kardashian.
Tu penses que le “féminisme pop” a réussi à anticiper des années de luttes grâce à sa puissance d’exposition ?
Je pense surtout que c’est l’accomplissement d’un travail de fond. Par exemple, la culture queer est très underground mais d’un seul coup, un cas particulier comme Caitlynn Jenner émerge. C’est la concrétisation d’un travail souterrain qui permet une nouvelle ouverture d’esprit, 60 ans après ses débuts.
Tu as été surpris par le succès qu’a eu le mix de 2h de rap que tu avais réalisé pour Rinse FM ?
Oui, j’ai vu qu’il avait été relayé partout sur le web. Au départ, cette émission est une carte blanche totale. J’ai réalisé au fil du temps que les auditeurs – et notamment les plus jeunes – n’avaient parfois qu’une très vague idée de choses qui paraissent évidentes à ma génération. Comme le rap français des années 90, le rap américain de la West Coast ou East Coast. Mais je ne veux pas passer pour un DJ Nostalgie ! Nous vivons à une époque où il faut que les choses soient éditorialisées pour obtenir un écho. Avec la foultitude de morceaux et de styles auxquels le public à accès, il a donc besoin d’un « pont », de quelqu’un qui va les aiguiller et les orienter. Je joue ce rôle de Papa techno, de papa rap, de papa one ! (rires).
Notamment quand tu places ATK ou les X-Men dans ton mix de rap français. Ce ne sont pas des groupes qui parlent forcément aux plus jeunes…
En effet, quoique je nuancerais pour les X-Men, ces mecs sont des légendes. Mais je ne suis pas sûr qu’ils aient écouté tous leurs morceaux. Ils connaissent Retour aux pyramides en tout cas. Les gens se sont véritablement appropriés ce mix. Je l’ai réalisé à l’avance car je partais trois jours plus tard en Indonésie, pour enregistrer de la musique dans la jungle. J’ai envoyé à Rinse le mix et je suis parti dans la jungle. A mon retour, mon internet avait explosé ! Il y a eu 300 ou 400 000 téléchargements, c’était la folie !
On parle beaucoup d’une certaine uniformisation de la scène rap actuellement. Alors qu’à l’époque, tu pouvais retrouver chez ATK, dont tu étais proche, trois binômes au style totalement différent. Partages-tu ce constat ?
Oui c’est vrai, je n’ai pas une lecture très claire de ce phénomène. J’écoute moins ce que sort en rap français aujourd’hui. Pas parce que je trouve ça moins bien mais je suis à une autre étape de ma vie, je suis ailleurs, je pense à autre chose. Mais j’ai suivi certains artistes comme Joke. Je l’avais sur mon label Institubes à ses débuts. C’était sa première occasion de sortir un morceau.
Les connexions entre le monde de l’électro et du rap se sont amplifiées ces dernières années…
C’est vrai que lorsqu’en 1998, DJ Mehdi avait déclaré dans un magazine de rap : « Je me sens aussi proche culturellement de Daft Punk que de DJ Premier », c’était un choc pour beaucoup ! C’était presque impensable. Je me rappelle d’Akhenathon crachait sur l’électro avant de faire une compile qui s’appelait d’ailleurs électro… Je considère que Mehdi a été l’un des premiers à avoir cassé les barrières entre le rap et l’électro. Aujourd’hui c’est acquis. Notre génération a enfoncé le clou, notamment avec TTC. Ces collaborations me paraissent hyper logiques aujourd’hui, elles constituent même mon habitat naturel.
Quels sont tes projets de l’été, après la sortie en téléchargement libre d’Elevation ?
Il y a un Ep « officiel » va bientôt sortir, avec des remix, courant juillet. Puis la version vinyle en septembre. Quant à l’album, il viendra plus tard. C’est tout un concept lié à mon film. J’ai réfléchi ce futur album quand la bande son. J’ai voulu qu’il gravite dans le même univers cohérent. Quoique je déteste cette notion “d’univers”… Disons que ça se passera dans le même monde de fiction.
Une nouvelle collaboration musicale sur un film de Céline Sciamma est-elle prévue ?
La question se repose à chaque fois que Céline sort un film et c’est très sain comme ça, je ne veux pas lui casser les pieds à lui demander si elle pense forcément à moi.
Comment ça se passe alors, il y a un appel d’offre à chaque fois ?
Non (rires). Elle vient me voir si elle veut que je réalise la musique. Sur Tomboy, elle voulait que j’en réalise qu’une partie. Je lui avait dit pourtant dit qu’il n’en fallait pas du tout,je trouvais que le film était plus fort sans musique. Finalement on a quand même mis un morceau. En tout cas, je ne serai absolument pas vexé le jour où elle décidera de changer de compositeur (rires). Le changement est parfois nécessaire.
Tu t’es souvent remixé. Considères-tu que tes productions musicales comme des objets qui ne sont jamais totalement achevés ?
Totalement. J’aime quand Arnold Böcklin peint l’Ile des morts cinq fois avec à chaque fois un résultat différent, magnifique et génial. Cette idée, très présente en peinture, de faire et refaire me plaît. Je ne suis pas dans la sacralisation du truc fini. Je suis fan de Stanley Kubrick mais je ne partage pas, comme beaucoup de ses fans, cette idée de recherche de la perfection absolue, gravée dans le marbre. C’est la raison pour laquelle j’aime bien remixer mes propres projets et que je considère l’exercice du live comme bénéfique. Le fait de devoir imaginer à chaque fois de nouvelles structures, c’est stimulant. Surtout que l’intention de départ, elle, ne bouge jamais. On n’a pas beaucoup d’idées dans la vie, en tout cas des bonnes, des rares, qui sont pertinentes dans la vie d’un artiste. Alors dès qu’on en a une, on peut aisément la retravailler. J’adore cette interview de Fellini où il dit : “Quand je n’aurai plus rien à dire, je referai mes films”. Je trouvais ça génial.
Tu as un exemple ?
L’histoire de mon morceau You Too, sorti l’an dernier. J’étais dans une émotion très forte au moment de faire ce titre parce qu’il me faisait tout simplement penser à mon père, que j’avais perdu l’année précédente. J’étais parvenu à l’étape finale de mon deuil, ce moment où tu te rends compte que tu es content d’avoir connu la personne défunte. Quand je dis : « This sound is you », je souhaite lui dire qu’il est dans cette musique quelque part, à travers moi. L’origine de You Too est donc super mélancolique. Ensuite, j’en ai fait une version live, assez euphorique, sur laquelle les gens dansaient comme si c’était un morceau pour faire la fête. Mais la genèse du morceau est très triste, il y a du cœur derrière ce morceau. On m’a dit après qu’il fallait que j’en fasse un autre. Ouais d’accord, mais attendez, qui je vais tuer cette fois ? (rires). Je ne peux pas faire un autre morceau de cette trempe, les formules magiques n’existent pas.
Tu disais que tu ne pouvais pas te coucher sans lire quelque chose avant. Tu lis quoi en ce moment ?
Un bouquin reçu pour mon anniversaire, L’usage sonore du monde, un titre en hommage à l’ouvrage de l’explorateur Nicolas Bouvier (L’usage du monde, ndlr). C’est un livre magnifique sur l’enregistrement sonore, en totale connexion avec mes activités qui m’ont fait voyagé du Japon à l’Inde en passant par l’Indonésie. Toute une histoire qui va jusqu’à la musique concrète et les travaux sur la musique minimaliste de Steve Reich. Parallèlement je bosse en ce moment avec le musée du Quai Branly. Je vais y jouer fin juillet à l’occasion des siestes électroniques. J’ai du coup accès à leur incroyable base de données musicale. C’est la folie, c’est sans fin. J’y passe mes journées.
Dans une interview pour Brain magazine en 2011, à la question de savoir si tu te considérais comme un musicien sérieux, tu avais répondu que tu n’étais pas encore arrivé “à l’heure du comptage des points”. Tu y es parvenu ?
Toujours pas ! Je te dirai ça quand j’aurai 90 ans, si j’y arrive. Je ne comprends pas la notion de “sérieux”. J’ai grandi dans une famille où la musique était justement prise très au sérieux: ma grand-mère était pianiste, mon frère était chanteur lyrique. Mais jusqu’à un certain point, où l’on finit par basculer dans autre chose, plus violent, constituée de jugement. On arrive alors dans un milieu très dur à la limite du ridicule, comme on peut l’observer dans la mode. On ne peut alors plus se permettre le moindre écart sans risquer une espèce de mise à mort. Je ne suis pas du tout dans cet état d’esprit-là. Ca ne me correspond pas. J’aime le côté fantasque de la musique électronique : les gens ivres qui se couchent tard et qui ont des vies bizarres. C’est là que je me sens le plus à l’aise.
Propos recueillis par Julien Rebucci et David Doucet
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