Le premier choc musical de votre vie, c’était quand ? Je me souviens d’une émotion fondamentale : le jour où on m’a offert une petite batterie, mon premier instrument. J’étais tout gamin et je ne sais plus très bien pourquoi on m’avait donné ça, mais toujours est-il que je passais mon temps à écouter la […]
Le premier choc musical de votre vie, c’était quand ?
Je me souviens d’une émotion fondamentale : le jour où on m’a offert une petite batterie, mon premier instrument. J’étais tout gamin et je ne sais plus très bien pourquoi on m’avait donné ça, mais toujours est-il que je passais mon temps à écouter la radio en accompagnant ce que j’entendais avec ma petite batterie. Je garde un souvenir assez précis d’un jour où j’ai entendu coup sur coup deux choses qui m’ont transformé : un air de Giuseppe Verdi, puis un morceau de blues la première fois dans ma vie où j’entendais cette musique incroyable. Mes parents m’ont raconté qu’on m’avait retrouvé par terre, à moitié évanoui, terrassé par ce que je venais d’entendre à la radio. Je devais avoir 7 ou 8 ans.
Chez vous, la musique était très présente ?
Ma mère jouait bien du piano, mon père encore mieux : rien de très créatif, mais c’était des gens très sensibles à la musique. En Italie, pendant les années du fascisme, il était interdit d’écouter de la musique américaine, mais mon père se débrouillait toujours pour récupérer des partitions et j’ai donc eu le privilège d’écouter tout un tas de compositeurs américains essentiels. Côté disques, je me souviens avoir beaucoup écouté Fats Waller, Benny Goodman, Sydney Bechet, Art Tatum, des choses que mes parents me faisaient écouter en étant conscients que ça allait transformer ma vie. J’aimais tout chez ces types : la musique, bien sûr, mais aussi la présentation, l’attitude, les pochettes, ce sens esthétique inné, cette « beauté noire » quelque chose que je ressens aussi chez les boxeurs, chez Ray Sugar Robinson, que je compare souvent à Duke Ellington. Grâce à ces découvertes précoces, j’ai pu passer à l’acte assez tôt : je me suis mis à jouer dans des petits groupes de jazz au lycée, et puis assez vite, c’est devenu plus sérieux. J’ai eu l’occasion d’enregistrer quelques sessions à Milan, où je me suis totalement plongé dans le monde de la musique et, depuis, je n’ai plus jamais décroché (sourire)… Je continue à être aussi passionné par le jazz que lorsque j’avais 20 ans : je collectionne les vieux disques, les 78t, j’ai un rapport très physique à ces objets merveilleux. L’idée de « chasser » les disques, d’être un explorateur, me tient toujours beaucoup à coeur. Il m’arrive de passer des heures à chercher des pièces rares de Gershwin, à New York, Chicago ou Londres. J’ai aussi une véritable passion pour le classique,
et en particulier certains interprètes dont je surveille les moindres faits et gestes. Quant au blues, n’en parlons même pas : cette musique constitue un tel mystère, un monde si complexe et mythique qu’il faudrait dix pages pour commencer à en parler. Les chansons de Blind Lemon Jefferson, à elles seules, pourraient me permettre de tenir huit heures sur le sujet.
Quelles sont vos autres inclinations culturelles ?
En Italie, ma génération s’est davantage nourrie de cinéma que de littérature. Dans ma famille comme dans celle de tous mes copains d’enfance, la visite hebdomadaire au vieux cinéma du quartier était toujours un événement majeur. On mettait nos beaux habits et on allait voir des films américains, les grands classiques en noir et blanc. On passait deux heures à rêver devant ces acteurs formidables, et ensuite on se rejouait le film entre copains, c’était des vrais moments de bonheur partagé. J’aimais aussi beaucoup le cinéma français avec une fascination particulière pour Quai des orfèvres, avec le monumental Louis Jouvet et puis bien sûr les films italiens, comme ceux d’Ettore Scola. Mon film préféré aujourd’hui ? Sans doute Le Général Della Rovere de Rossellini, un film de guerre totalement bouleversant et d’une profondeur folle… Quand j’étais jeune, les livres, c’était beaucoup moins immédiat, moins rutilant : un livre, c’était forcément quelque chose lié à l’école, aux mauvaises notes, aux heures de colle. Mes auteurs préférés, comme le poète grec Georges Seferis, je les ai donc découverts beaucoup plus tard, par moi-même. Même chose avec Herman Melville, Simenon ou même Kipling. A propos de Simenon, je pense souvent à ce commentaire qu’André Gide lui avait fait : « Dans tes livres, il n’y a jamais rien de littéraire. » Gide l’entendait évidemment comme un compliment : parvenir à raconter quelque chose de manière simple, tranchante, sans être obsédé par les formules stylistiques, voilà une leçon que beaucoup d’auteurs de chansons devraient méditer.
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