Rappeur mais également ambassadeur de l’Unicef France, Oxmo Puccino raconte son dernier voyage en Afrique où il a rendu visite aux enfants du Niger qui ont fui les violentes attaques de Boko Haram.
Quels enseignements tires-tu de ton voyage au Niger avec l’Unicef ?
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Oxmo Puccino – J’ai assisté à des miracles. Comme dans les films où les héros sont sauvés au dernier moment, des familles dans des situations désespérantes ont reçu de l’aide, et se sont accrochées à cette corde pour sortir du trou. Les enfants que j’ai vus ont moins que rien, leur avenir est plus qu’incertain, mais ils continuent à aller à l’école. C’est un miracle d’avoir encore le désir d’apprendre, après avoir fui la guerre et perdu ses parents. Chaque rencontre que j’ai faite cache une immense tragédie.
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Qu’est-ce qui te donne envie de t’impliquer en Afrique aujourd’hui ?
Je ne me suis pas posé la question. Il y a quelques années, j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont donné envie de m’engager avec eux, dans des événements caritatifs lors de mes différents spectacles. Je suis arrivé à Paris à l’âge d’un an, donc je connais assez peu l’Afrique. Je n’y ai jamais vécu longtemps.
Crois-tu à un réveil du continent ?
Je n’ai aucun espoir. Je ne fais que constater depuis des années que l’évolution de l’Afrique qui enthousiasme quelques économistes ne profite pas à tous les Africains.
Beaucoup d’artistes, dans le rap, ont une volonté de retour aux origines dans leurs choix instrumentaux…
C’est une recherche identitaire, un échange de fierté. En Afrique, sous une tente au milieu de nulle part, j’ai rencontré des jeunes qui écoutaient MHD. Pour eux, c’est un modèle de jeune Africain qui a réussi à obtenir un succès international. Les artistes qui utilisent des sonorités afro sont aimés en Afrique, et cela renforce leur identité, les conforte dans leur histoire personnelle. Là-bas, leurs origines sont reconnues, alors qu’en France elles ont toujours posé problème.
Pourquoi être ambassadeur Unicef ?
Tout mon discours m’amène à ce genre d’actions, c’est naturel pour moi de collaborer avec l’Unicef. Très tôt dans mes textes, je me suis intéressé à l’éducation et l’enfance, donc c’est presque un mariage de raison avec l’Unicef.
Dans quel état d’esprit étais-tu avant de te rendre au Niger ?
J’appréhendais ce voyage, comme tous les voyages Unicef. Je savais que je ne partais pas en vacances, mais que j’allais vivre des moments émotionnellement lourds. Maintenant, ces moments font partie de moi. Je ne peux pas oublier mes rencontres avec les survivants des attaques de Boko Haram.
Comment sensibiliser la France et la communauté internationale, pour qu’elles s’engagent contre les ravages de Boko Haram ?
J’ai écrit un morceau appelé Dix mille, où je dis qu’« on pleure pour un mort mais plus pour 10 000 ». Avec la distance, je peux comprendre que les Français ne soient pas touchés par ce qui arrive en Afrique.
Dans beaucoup de textes de rappeurs, il y a une forme de colère contre la France, contre un mal colonial. Constates-tu ce sentiment ?
C’est un sentiment bien français. Nous avons un problème avec notre histoire. Il y a des conversations essentielles qui n’ont jamais été entamées, qui ont été niées. Pendant un moment, je ne savais pas ce que je faisais en France. A l’école, personne ne t’explique que le Mali et l’Algérie ont été colonisés par la France pendant plus d’une cinquantaine d’années.
Booba disait dans son morceau « Ma définition » que l’école ne parle que « de la Joconde et des Allemands ».
C’est vrai. Le manque de réponse vis-à-vis de l’héritage colonial cause des frustrations que le pays finit par payer. Le terrorisme est l’une de ces conséquences. Les jeunes Français fils d’immigrés sont vus en Afrique comme des étrangers, et en France comme des éléments perturbateurs. En France, nous ne leur avons pas dit qu’ils étaient chez eux, et ils sont devenus des faux orphelins dans leur propre pays.
As-tu été victime de racisme ?
Oui, pour moi c’est devenu normal, je ne le relève même plus. Dans les années 1990, je m’embrouillais tout le temps à la douane pour aller faire mes visas. A chaque fois, les douaniers me prenaient pour un clandestin.
Penses-tu que le combat anti-racisme du CRAN ou de SOS racisme n’était pas efficace ?
Je ne les ai jamais vu dans aucune cité. Dans les années 1990, SOS racisme ne voulait rien dire pour moi, ils n’ont jamais rien fait pour mes proches. Ils ont récupéré une cause et ont fait un nom avec. C’est de l’instrumentalisation politique.
Depuis le mirage de la génération Black-Blanc-Beur après 1998, penses-tu que la France arrivera à atteindre l’idéal du « vivre ensemble » ?
Les choses vont se faire lentement. De toute façon, les gens sont amenés à se mélanger. J’ai des métis dans ma famille, et c’est une richesse. Mais beaucoup de personnes ont encore peur de perdre leur identité en se métissant, alors que leur identité est à construire tous les jours.
Pendant longtemps, le rap a été engagé. Regrettes-tu que le rap conscient ne soit plus dominant aujourd’hui ?
Pour moi, le rôle de l’artiste, ce n’est pas de s’engager. Si les rappeurs ont longtemps été décrits comme conscients, c’est parce que les médias et les politiciens leur ont attribué ce rôle, faute de prêter attention à la profondeur de leur discours, et jusqu’à confondre la dénonciation et l’incitation. Un artiste n’est que le fruit de son environnement. Forcément, s’il est assez talentueux, il va relater son environnement d’une manière touchante, voire gênante s’il parle de la misère de sa cité. Si personne ne sait qu’on y écoule un kilo d’héroïne et deux kilos de cocaïne par jour, son morceau va devenir quelque chose de conscient, un vecteur de dénonciation.
Penses-tu que beaucoup de rappeurs parlent politique, même s’il ne le revendiquent pas ?
Bien sûr. C’est dangereux, nous ne sommes pas faits pour ça. Nous n’avons pas les armes pour aller à la télé, nous n’avons pas été préparés. Nous sommes des chanteurs de rue – mais je ne ne me considère plus comme ça, car j’ai énormément travaillé pour passer ce cap. Même les artistes n’ont pas de conscience réelle de leur impact sur la société. Bien qu’ils aient des modèles qui peuvent leur donner des indications, les erreurs se répètent, et moi je suis mort de rire.
Propos recueillis par David Doucet
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