Génies sans le vouloir ni l’avoir appris, personnages au destins délirants, musiciens du n’importe quoi : ce sont les « outsider musicians ». D’Hasil Adkins à Florence Foster Jenkins, portraits et extraits.
FLORENCE FOSTER JENKINS
Etre riche peut aide à percer en musique. Mais percer est, pour Florence Foster Jenkins, à prendre au sens le plus propre, voire le plus saignant du terme. Car la « cantatrice », il faudra le dire vite, fut aussi populaire que riche que capable de chignoler les tympans des plus tolérants des mélomanes, avec des trépans vocaux à même de creuser un tunnel sous l’Atlantique en 7 minutes. Fille d’une riche famille de Pennsylvanie, née en 1868, elle prend très jeune des cours de musique –par inertie de classe, comme tout gamin de sang bourgeois. Plus âgée, fuyant vers Philadelphie son père qui finit par refuser de financer ses absurdités, elle devient pianiste (vaguement) et professeur (aïe pour les élèves). Mais son destin est plus vaste. Son destin, s’illumine-t-elle en fondant un plomb, c’est le chant. Pas la chansonnette, pas l’opérette, pas l’animation amatrice et semi-bourrée des soirées familiale de Noël : Florence, pauvre Florence, folle Florence, se persuade elle-même qu’elle peut rivaliser avec les stars du bel canto de l’époque, Frieda Hempel ou Luisa Tetrazzini notamment.
Problème : tout le monde, sauf elle bien entendu, comprend très rapidement qu’elle massacre plus qu’elle n’entonne, que son sens du rythme et sa technique musicale n’ont d’équivalent que chez les grands chimpanzés ; et encore, Cheetah elle-même chantait sans doute mieux. Aucun problème. Elle se produit sur scène, sûre de son fait et suffisamment pleine au as pour s’acquitter de ses caprices. Et ça marche, ça cartonne, même : les fans et spectateurs affluent, absolument certains de se poiler. Des gloussements dans la salle ? Le fait de rivales jalouses, explique-t-elle à qui veut l’entendre. Elle a, un jour, un accident de taxi : elle découvre à cette occasion qu’elle peut chanter encore plus haut ; frayeur pour tous. Mozart, Bach ou Strauss, victimes de ses carnages, en font des bonds de cabris dans leurs tombes respectives. Mais Jenkins, pourtant devenue phénomène et amuseuse publique, ne se rend compte de rien. En bonne diva millionnaire, elle se produit de nombreuses fois dans la salle de réception du Ritz-Carlton de New York, rien que ça. Puis, ultime concert en 1944, dans l’immense Carnegie Hall. Elle meurt un mois après. Certains pensent que sa carrière, en intégralité, n’a été qu’une immense farce. D’autres jugent que les moqueries ont fini par la tuer –comme une illumination à l’envers, et fatale.
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DOKAKAOn se souvient avec des larmes dans les yeux tellement c’était touchant d’une pub pour une boisson gazeuse colorée et très sucrée, que nous appellerons « Coca-Cola » pour ne pas lui faire de publicité sauvage. Dans le spot en question, de jeunes gens s’attristaient de ne pas réussir, avec leurs instruments de bourgeois, à accoucher d’une seule chanson valable. Ils arrivaient dans un bar quelconque, et un vieux bluesman, on se demande encore ce qu’il faisait là, on croit se remémorer qu’il était aveugle comme tout bon vieux bluesman, se mettait à battre un rythme de ouf (pour reprendre Abd) sur le zinc. « Quand on pense qu’il ne fait ça qu’avec ses mains » se réjouissait, après une lampée qui rend heureux, un des zazous blancs. Dokaka, c’est pareil. Mais lui, c’est qu’avec la bouche. C’est un multi-instrumentiste buccal, une boîte à rythmes labiale, et une basse humaine, et des guitares de chairs molles et de dents dures. Le jeune Japonais s’auto-sample (avec une machine, hein, pas avec sa bouche) et passe à sa moulinette corporelle des morceaux de Nirvana, King Crimson, des thèmes de Mario Bros, des furies d’Iron Maiden ou de Slayer. C’est aussi techniquement impressionnant que c’est de l’absolu n’importe quoi. Dokaka, c’est de l’outsider music qui vient de l’intérieur –mais qui a finit par largement déborder des territoires flous du zinzin obscur, puisque Björk, amatrice d’étrangetés, l’a repéré puis embauché pour son Medúlla en 2004.
EILERT PILARM
Eilert Pilarm est un parfait mélange entre l’extraordinaire Québécois Normand l’Amour (voir épisode 1/5, deux pages plus loin) et Florence Foster Jenkins. Et, surtout, Elvis Presley : le Suédois est connu, dans son pays gelé comme un peu partout ailleurs, comme le plus mauvais sosie et imitateur de l’Américain au monde. Vue la masse, c’est dire. Le plus mauvais parmi les reconnus, du moins. Car Eilert Pilarm ne sait absolument pas chanter juste, encore moins chanter beau comme Presley, il ressemble au King comme une goutte d’eau ressemble à une moissonneuse-batteuse, chante dans un drôle de yaourto-anglo-suomi. Eilert Pilarm aurait pu toute sa vie animer des foires de la boulette de daim, ou gagner sa croûte lors d’inaugurations d’Ikéa du pauvre, mais le fait est qu’il a joué jusqu’en 2002 près de 600 concerts, et enregistré 6 albums –l’un d’entre eux, Eilerts Jul (le Noël d’Eilert) fait encore la joie de spécialistes en débilités, qui le classent tous parmi les plus affreuses collections de reprises jamais parues. Tout ça dans une apparente sincérité. Ou un grand rire planqué, mais dans la joie quoiqu’il arrive.
http://www.youtube.com/watch?v=zHoxK6ByQfo
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