Génies sans le vouloir ni l’avoir appris, personnages au destins délirants, musiciens du n’importe quoi : ce sont les « outsider musicians ». D’Hasil Adkins à Florence Foster Jenkins, portraits et extraits : troisième partie.
« Outsider music ». La musique des marges. Pas celles que l’on connaît habituellement, pas celles qui longent voire croisent parfois le mainstream, pas les marges dans lesquels, sciemment, quelques artistes un peu plus fouineurs que les autres vont chercher leurs terra incognitas. Cet outside est, à l’œil nu, presque invisible. Des marges extramondaines souvent, extraterrestres parfois, ignorées des circuits institutionnels –l’outsider music ne gambade jamais sur les bandes FM, ne squatte pas les playlists sur Spotify, ne fait pas gagner beaucoup de pognon à iTunes.
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Les musiciens de l’extérieur sont une petite légion. Repérés un peu au hasard, rencontrés sur les routes qu’ils sillonnent pour vendre leurs autoproductions, trouvés dans la rue quand ils y vivent, ou dans des asiles quand ils y gazouillent, découverts voire compilés par des collectionneurs, ils sont souvent l’objet de cultes tenaces. Ils sont, surtout, dingues –comprendre réellement zinzins, absolument maboules, définitivement happés par des sphères auxquelles à priori aucun individu d’esprit droit n’aura accès. Les psychiatres leur consacrent des études : le fil ténu entre folie et génie, sur lequel s’écharpent encore les chercheurs, c’est chez eux qu’on l’observe au plus près. Pas de trop près, de préférences : leurs obscurités sont parfois terriblement attirantes.
Les Outsider musicians sont, historiquement, les vrais punks. Le do it yourself, c’est eux. Ils de disposent, pour la plupart, d’absolument aucune connaissance musicale. Mais font quand même de la musique. N’importe comment, donc. Ils viennent de nulle part, et vont nulle part. Ils font de l’art brut, véritable, mais sans le vouloir, et toujours avec la plus bouleversante des sincérités. Certains ont beaucoup fait rire, sont devenus des phénomènes de foire, sont passés dans des shows TV comiques plutôt que sur les chaînes hi-fi des larges masses. Le second degré leur était pourtant généralement totalement inconnu. Et leurs vies sont, toujours, passionnantes, sinueuses, effrayantes, hallucinantes –si des biopics leur étaient consacrés, ils ressembleraient sans doute plus à une version trash et hardcore d’Alice au Pays des Merveilles qu’à Walk the Line.
LES BLOUSONS NOIRS
Bordeaux a été, très tôt, une ville rock. Notamment sous la coupe des Blousons Noirs, sans doute l’un des groupes les plus radicaux que la ville, hautement bourgeoise, ait connus. Radicaux dans leur incroyable médiocrité technique, à côté de laquelle les éructations des Sex Pistols ressemblaient à de la pure virtuosité : les quatre garçons sans avenir ont, raconte la légende, enregistré en 1961 leur premier maxi quelques heures seulement après avoir acheté leurs instruments. Cela a donné des reprises totalement bancales, inaudibles, chancelantes et absolument incompétentes de Be Bop Alula (sic), d’Eddie Sois Bon (sic) ou de Twist à Saint-Tropez notamment, des chansons poilantes dont on ne sait toujours pas si elles ont été enregistrées au premier, au second ou au huitième degré. L’amateurisme absolu du groupe ne l’a pas empêché de publier, l’année d’après, un autre maxi. En 12 mois et apparemment peu de répétitions, les Bordelais n’avaient apparemment pas techniquement progressé d’un iota, et ne se sont visuellement pas foulé puisque la pochette était exactement la même que pour leur première publication. L’intégralité des deux maxis, réédités en 2006 par le label Born Bad, est en écoute ci-dessous.
TINY TIM
On va tricher un peu. Tiny Tim n’est pas exactement un outsider musician –ou du moins il ne l’est pas resté très longtemps. Car Tiny Tim, Hebert Khaury de son vrai nom, fut une immense star. Car Tiny Tim fut riche. Car Tiny Tim, derrière le n’importe quoi rigolard de ses prestations, avait une connaissance encyclopédique de la musique populaire américaine. Tiny Tim a eu une vie absolument extraordinaire. Tiny Tim, qui a choisi ce nom après que son agent l’ait inscrit à une soirée généralement réservée aux nains, est devenu célèbre grâce à son falsetto étonnant, aussi haut perché que ses reprises foldingos mais dissimulant une véritable voix de baryton, à son ukulélé minimal, à ses tenues débiles et ses prestations drolatiques. Après s’être construit un véritable culte dans les milieux underground, après avoir été musicien de rue, après avoir enregistré quelques morceaux tordus avec les musiciens de ce qui deviendrait The Band, Tiny Tim a fini par connaître la gloire, étincelante. Il est passé dans de multiples shows télévisés, a sorti une poignée d’albums, est apparu au cinéma, a eu des shows réguliers et grassement payés à Las Vegas, s’est marié en direct à la télévision devant 40 millions de personne. Tiny Tim et son look de Dracula d’Halloween fut ainsi sans doute l’un des freaks les plus célèbres et adulé de l’histoire de la musique.
http://www.youtube.com/watch?v=skU-jBFzXl0&feature=player_embedded
http://www.youtube.com/watch?v=c71RCAyLS1M&feature=player_embedded
http://www.youtube.com/watch?v=N_PLWqnfFgU
B.J. SNOWDEN
C’est incroyable, c’est pourtant vrai : B.J. Snowden est une très officielle professeur de musique. Mieux, l’Américaine de Boston est même diplômée de Berklee College of Music. Ok, mais en quoi est-ce incroyable ? Ecoutez, ci-dessous, quelques uns des morceaux de la demoiselle : sa vision de la musique est, pour le moins, assez peu académique. Voire absolument nouvelle. Elle chante aussi juste qu’un Caterpillar. Elle joue du synthé avec une technique rappelant celle d’un enfant de 3 ans, 3 ans et demi. Ses chansons ne ressemblent à rien de particulier. A peine à des chansons. Ca ne l’a pas empêché de devenir l’une des plus fameuses petites vedettes de l’outsider music. Elle aurait pourtant pu finir ses jours dans une ombre noire et totale : l’une de ses démos dormait dans le crasseux bac à soldes d’un magasin de disques de Manhattan quand le staff, probablement terriblement désœuvré, a décidé de l’extraire de la poussière et de la jouer. Le choc fut apparemment absolu, autant que la volonté de faire découvrir la chose au monde fut immédiate, avec l’appui de Fred Schneider des B52’s, lui aussi devenu fan instantané des bizarreries de la madame. Les choses se sont ensuite accélérées : passages TV, enregistrement d’un album, et petit bonhomme de chemin tordu pour l’Américaine, qui continue, de concert en concert (parfois avec sa mère), de se construire une petite armée de fans zélés.
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