Longtemps le jazz français a paru réservé aux hommes. Mais les temps changent. Parole à trois musiciennes parmi les plus douées de la scène actuelle, Airelle Besson, Sophie Alour et Camille Bertault.
Il n’y en a pas une sur cent et pourtant elles existent. Voici ce qu’en paraphrasant Ferré on pourrait affirmer en considérant la situation du jazz en France. Beaucoup d’hommes, peu de femmes, et parmi celles qui sont reconnues, des chanteuses plutôt que des instrumentistes. C’est au point que, comme en 2013 et en 2014, les Victoires du Jazz n’ont, cette année encore, récompensé que des hommes. Les artistes féminines seraient-elles trop minoritaires pour être prises en considération ? Ou bien n’ont-elles pas encore réussi à s’imposer auprès des « professionnels de la profession » ? Les filles doivent-elles encore lutter pour se tailler une place dans le jazz ?
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La femme, c’est l’Autre
“On est peu nombreuses, reconnaît la trompettiste Airelle Besson, et souvent, on nous met en avant à travers le fait d’être femmes. C’est difficile pour moi à comprendre et à expliquer. J’étais la seule fille dans la classe de jazz au Conservatoire comme dans les big bands que j’ai intégrés. Et quand j’ai suivi une formation de chef d’orchestre, j’étais encore la seule femme. ” La saxophoniste Sophie Alour renchérit :
“Même si les choses sont en train de changer, le jazz reste encore un pré carré masculin. Quand je suis montée à Paris à 18 ans avec l’intention de commencer le saxophone, mon professeur et ami, un homme d’une cinquantaine d’années à l’époque – et c’est important de le préciser –, m’a mise en garde en disant que le saxophone était un instrument d’homme, qu’il valait mieux pour moi rester à la clarinette. Mon regard sur moi-même en tant que musicienne a changé dans l’instant et irrémédiablement.”
Ainsi, sans professer ouvertement un machisme décomplexé, le jazz semble avoir longtemps assigné un rôle et des instruments précis aux femmes, toujours considérées comme extérieures, marginales, autres. Camille Bertault, jeune chanteuse aux scats ravageurs et à la langue bien pendue, le confirme :
“Il faut changer certains automatismes. Le jazz, au départ, c’est souvent une réunion de potes, ils ont envie de rester entre mecs. Intégrer une femme est une chose peu évidente pour eux. Il m’est arrivé d’entendre ‘le jazz, c’est une énergie masculine’. Dès que la nana est un peu leadeuse ou pas dans la séduction, elle est considérée comme chiante.”
Trouver la bonne attitude
Les femmes entrées en jazz se voient ainsi très vite contraintes de réfléchir à l’attitude qu’il leur faut adopter. Qu’elles l’assument ou la refusent, elles doivent se positionner par rapport à cette altérité où on les place d’emblée. Selon Sophie Alour, “c’est ça l’effet du sexisme, comme du racisme, c’est de faire surgir une autre image de soi. En l’occurrence l’idée d’être une femme avant d’être un musicien. Et c’est intolérable. Personne ne fait référence à votre sexe dans le monde du travail quand vous êtes un homme. Être un homme est la norme. On essentialise la femme dès qu’elle sort de son domaine de compétences traditionnel.”
Ce constat conduit certaines musiciennes à refuser les démonstrations et attitudes stéréotypées qui pourraient être attendues d’elles.
“Tout dépend du positionnement qu’on veut bien prendre, assure Airelle Besson. J’ai toujours été à contre-sens de ceux qui me disaient de mettre en avant le fait d’être une femme. Avant, quand je remplaçais un trompettiste, j’entendais souvent : ‘ah c’est bien quand tu es là, c’est plus calme, plus cool.’ Ce qui prime, c’est d’être le plus juste possible.”
Camille Bertault, quant à elle, reste attentive à ne pas laisser son image prendre le pas sur la musique : “Je sais que le succès de mes vidéos peut en partie être dû au fait qu’on puisse me trouver mignonne. Mais on ne peut pas durer longtemps sans de véritables intentions artistiques. J’ai besoin de me sentir bien et jolie, mais je ne veux pas aller dans le sexy pour ne pas détourner l’attention du public sur la musique.”
La musique et rien qu’elle
En revenir à la musique, c’est le souhait que toutes auront exprimé durant ces entretiens, leur actualité prouvant bien que le jazz, aujourd’hui, n’est plus une affaire d’hommes seulement. Airelle Besson a sorti cet automne, Aïrès, disque en trio avec Edouard Ferlet et Stéphane Kerecki où les compositions de chacun se mêlent à de superbes interprétations de thèmes classiques.
Le 19 janvier, Camille Bertault sortira son second album, Pas de Géant, où elle reprend notamment Brassens et Gainsbourg, et pour lequel elle dit avoir “voulu revenir à cette espèce d’amusement, de joie pure, que le jazz pouvait procurer à ses débuts.”
Enfin, pour son sixième album, Time for Love, à paraître le 2 février, Sophie Alour, entourée de 14 musiciens, revient aux standards chantés par Ella Fitzgerald, Billie Holiday ou Shirley Horn, qu’elle décrit comme une “amante de la lenteur, grande prêtresse du silence, qui semble chanter au creux de l’oreille. Pour la saxophoniste que je suis, c’est à la fois un rêve et un défi que de me mesurer à la voix humaine”. Une manière pour elle de “se réinscrire dans le collectif mais d’une manière positive après ce que nous avons vécu ces trois dernières années.”
– Trio Aïrès, Aïrès, en concert le 4 décembre au Café de la Danse.
– Camille Bertault, Pas de Géant, en concert le 8 mars au Café de la Danse.
– Sophie Alour, Time for Love, en concert le 27 mars au New Morning.
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