Super Forma, du Parisien Orval Carlos Sibelius, est un petit chef d’oeuvre pop, une fusée psyché dont on ne se lasse jamais : interview.
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Pourquoi ce nom, Orval Carlos Sibelius, d’où proviennent les trois éléments ?
A la base, j’ai du vouloir prendre le nom le plus compliqué, le plus encombrant, le moins mémorisable possible, dans une perspective totalement anti-commerciale ; ce qui s’est révélé assez juste comme prévision (rires). Quand je pense comment j’ai créé le pseudo, ça me fait assez marrer que les gens se prennent la tête et en parlent comme d’un truc très sérieux… A la base c’était un truc totalement débile, un assemblage de noms improbables et pas faciles à prononcer. A l’époque, je ne savais même pas que Sibelius était compositeur… C’est aussi un logiciel de composition, d’ailleurs, mais comme je n’ai jamais été foutu de me servir d’un ordinateur pour composer quoi que ce soit…
Même si c’est un hasard, le pseudo teinte finalement assez bien ta musique… Tu es d’accord avec ça ?
C’était l’idée : j’étais fasciné par les allemands de Cluster, par Hans-Joachim Roedelius ou Dieter Moebius. Et Carlos, un élément un peu exotique… C’est marrant, mes parents me racontent que je n’écoutais que lui quand j’étais gamin, Rosalie en particulier. (rires) Apparemment, j’avais plein de 45t de lui, tous de la même couleur, je ne savais pas lire mais je savais retrouver Rosalie du premier coup…
Et quel accès à la musique avais-tu quand tu étais jeune ?
Avant l’âge de 13 ans, je n’imaginais même pas qu’on puisse se mettre dans une pièce, mettre un disque et ne faire que l’écouter : c’était pour moi une perte de temps intégrale. J’ai fait un peu de solfège quand j’étais petit. Et j’allais voir mon frère jouer de la trompette dans les églises, pour les spectacles de fin d’années, ça me faisait royalement chier. Mais en même temps, ça peut devenir une expérience malgré toi : tu es coincé, tu n’as rien d’autre à faire que d’écouter la musique, ton esprit vagabonde, ça peut te toucher. Mais bon, pour un enfant, c’est pas forcément le truc excitant.
Comment, alors, se sont faites tes propres explorations ?
J’écoutais les hit-parades à la radio, et arrivé au lycée, tu commences à découvrir des choses via tes amis, puis à partager, élargir. J’étais déjà très fan de cinéma : je me rappelle que la première cassette que j’ai eue était une cassette d’Ennio Morricone. Et la première que j’ai achetée avec mes sous, c’était Synthétiseur : les plus grands thèmes, il y avait une pub à la télé, c’était un mec qui reprenait des airs célèbres au synthé ; ça commençait par Midnight Express, puis il y avait Vangelis, Kraftwerk, Jean-Michel Jarre… Pour la petite histoire, la pub TV disait qu’il y avait la musique de L’Exorciste, que je voulais absolument : pas de bol, elle n’était pas sur la version cassette. Et si on veut aller vite : après est venu Pink Floyd. J’étais ado et je commençais à comprendre qu’on pouvait s’asseoir dans une pièce et écouter de la musique. J’écoutais du hard, beaucoup Metallica, les Who, de la fusion, des trucs horribles d’ailleurs, du grunge… Et pas mal de rock 70’s, des trucs prog qui n’intéressaient personne à part moi…
Pas de British folk ?
Non, ça c’est venu plus tard. Mais on l’entendait dans les morceaux de Pink Floyd ou Genesis, eux baignaient là-dedans. Et quand je me suis mis à écouter Nick Drake ou Fairport Convention, je n’avais pas l’impression de venir de nulle part.
Et le cinéma ? Comment y es-tu venu ?
Ca m’a toujours passionné. Je regardais des films à la télé et me prenais des gros chocs ; d’ailleurs ce ne sont pas les salles mais les films à la télé qui me frappaient le plus. Par contre, on peut en parler, mais je pense que le cinéma n’a pas ou peu d’influence dans ma musique, à part peut-être les influences de Morricone ou Barry, comme sur Super Data. Reste que le cinéma est une passion, depuis toujours ; même si projeter en numérique n’a plus vraiment d’intérêt, et que je ne suis pas certain de faire ça toute ma vie.
Est-ce que ton expérience au sein de Centenaire a apporté quelque chose à ce que tu fais en solo ? Je pense justement aux éléments de British folk, aux choses un peu médiévales…
Je pense que c’est un peu moi qui ait apporté ça à Centenaire, ils n’étaient pas trop là-dedans… Le violoncelliste était plutôt jazz, Damien, un autre membre, était plutôt rock indé, ou musique du monde. Et le côté prog est sans doute un peu venu de moi. J’ai énormément appris dans ce groupe. Moi je venais de bricoler mon premier album solo, pour moi la musique c’était ça, du bricolage, j’avançais à tâtons, j’apprenais petit à petit. Là c’est allé beaucoup plus vite : les autres membres de Centenaire avait un niveau musical plus élevé que le mien, j’ai appris pas mal sur les modes, par exemple, j’ai pu mieux comprendre des choses que j’aimais mais que je ne comprenais alors pas. J’ai appris sur la mise en son des morceaux, on était une petite formation, on cherchait un son particulier, c’était un peu une école de la précision, plutôt éloignée des choses foutraques que je faisais de mon côté.
Qu’avais-tu en tête, quand tu as commencé à penser à Super Forma ?
Je voulais surtout faire de bonnes chansons à la base. C’est évidemment difficile de définir ce qui est une bonne chanson, il n’y a pas une forme unique -et quand je trouve une bonne formule, j’essaie justement de ne pas la garder. J’aime les morceaux où il y a des surprises sonores, des accords inattendus, des arrangements acrobatiques ; je suis un gros fan des Beach Boys, de Bacharach, ou des Who. La pop peut être excitante quand elle file droit, elle peut aussi être excitante quand elle prend les petits chemins de traverse…
Et en termes d’ambiance ?
Avec Super Forma, je voulais surtout essayer de provoquer une sorte de joie, car il est venu de ça. Le disque est né à un moment où je me suis remis à jouer de la batterie, que j’avais arrêtée pendant un temps, et ça m’a redonné beaucoup d’énergie. On a fait deux albums avec Centenaire, mais pendant un an j’ai eu l’impression de ne plus rien avoir à apporter au groupe. Je n’écoutais plus du tout de musique occidentale, je la trouvais sans risque, sans intérêt, mais j’écoutais des musiques d’autres cultures, je cherchais un chemin là-dedans. Je voulais une rupture. Je voulais, humblement, apprendre à jouer de l’oud arabe, des percussions et de la guitare africaine, d’étendre un peu mon champ d’action, sans évidemment vouloir devenir un spécialiste de ces instruments. Et au final, je fais de la pop… C’est le fin mot de l’histoire, après cette quête existentielle : je suis passé par plein de chemins, de questions, pour finalement comprendre à nouveau que je suis quelqu’un qui aime et fait de la pop, même si ces éléments se retrouvent parfois dans ce que je fais. Ce sont des échos de ce que j’aimais et aime. J’ai l’impression de changer, de le vouloir changer le moule, mais au final je retrouve toujours les mêmes gâteaux, je cours peut-être toujours derrière une chanson des Who, une ambiance dans laquelle je me suis toujours bien senti. Et quand je suis en période de création, c’est les meilleurs moments de me vie, je suis en pleine ébullition, ce sont des moments assez intenses. Je me sens vivre pour un truc complètement vain ; je me relève la nuit pour noter un truc, ajouter une simple note de piano… Des fois, j’aimerais pouvoir débrancher mon cerveau.
Il y a une grande ambition, dans la production de l’album.
Super Forma est assez dense, oui. Mais c’est plutôt mon producteur, Raphaël Seguin, qui me poussait à aller plus loin. « Mais si, il y avait la place pour une deuxième basse ! » Et ça, il ne faut pas me le dire deux fois… Au final, je trouve que ça marche bien, mais je me vois mal faire toujours des albums comme ça : c’est assez épuisant. Super Forma, je l’ai en fait enregistré il y a trois ans, il devait sortir fin 2010. On a commencé à enregistré les grosses bases de l’album dans un studio, la suite devant se faire à la maison. Le problème est que comme je n’ai jamais bossé sur ordinateur, je n’avais pas accès aux pistes, je ne savais pas faire. Et Raphaël, lui, était toujours parti. On a donc étalé le reste de l’enregistrement, le mix a pris énormément de temps, jusqu’à l’arrivée de Domotic, et ce temps perdu m’a énormément frustré. Tellement frustré que j’ai fait un album entre temps, Recovery Tapes, une réaction épidermique au processus de Super Forma, un disque sale, fait tout seul chez moi en deux mois… Super Forma, dès l’entrée en studio, je l’ai senti maudit. Aujourd’hui, je l’aime bien, j’ai fait la paix avec lui, mais il a longtemps été mon cancer.
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